jeudi 31 décembre 2009

"Sur les cimes du désespoir"

L'on termine donc l'année 2009 comme d'habitude; peurs, pleurs, cris, violences. L'espoir s'est donc affalé sur 2010. Comme il fera de même tous les 31 décembres, en réalité; un monde "meilleur", nous souhaitons tous. Pas un monde où le Bonheur, la Justice, la Vertu, l'Abondance se détacheraient du monde des Idées pour devenir les plus beaux fleurons de la terrestréité. Ca n'existe pas. Le vice guide toujours les hommes, un seul diablotin suffit à troubler l'eau. Pessimisme. Ou réalisme, son synonyme.


Evidemment la liste est longue : chacun se cherche une cause à défendre : la majorité cagnarde, les musulmans ont leur dada, la cause palestinienne; les plus romantiques ne jurent que par le Dalaï-lama; les plus têtus écrasent une larme pour l'Afrique; les plus oisifs se soucient des droits des transsexuels; seul le Pape semble se désoler d'une manière indiscriminée.


L'Iran est la toute première cause de l'année 2010. La plus "fraîche". Celle que l'on a héritée de 2009. Les Iraniens s'agitent en ce moment; depuis juin, plutôt. Au nom de la Liberté et de la Justice. J'ai une attention particulière pour ce peuple si fascinant, un des plus instruits et cultivés de la planète; un simple pâtre adossé contre un arbre serait capable de réciter par coeur Ferdowsi ou Hafez, nous dit-on.


Ils viennent d'inhumer leur conscience vivante: Montazeri; le grand Montazeri. L'éminentissime. Une "source d'imitation", un marja-e taqlid. Le Déchu, aussi. En 1989, on avait choisi (Rafsandjani avait réussi à imposer, plus précisément) un "petit", Ali Khamenei, élevé en une nuit à la "dignité" d'ayatollah (âyatollâh = signe d'Allah). Un religieux qui n'avait d'autre mérite que de porter un turban noir (les "sayyid", descendants de Hussein, petit-fils du Prophète, ont ce privilège, les autres portant un turban blanc). Ali Montazeri révélait trop de choses; Khomeini n'appréciait pas. Il fut renvoyé à ses chères études...


Même Shîrîn Ebâdi a pleuré pour le Grand Ayatollah Montazeri; elle lui a attribué le titre de "père des droits de l'Homme en Iran" ("peder huqûq beşer Irân": پدر "حقوق بشر" ایران ) et s'est adressée à lui : "Je te demande pardon, père ! Je ne t'ai pas soutenu contre le Shah (...); je te demande pardon, père ! Je ne suis pas venue à ta visite lorsque tu as recouvré la liberté ! (...); je te demande pardon, père ! Je n'ai pas prêté l'oreille à tes dénonciations en 1987-1988 (...). Je te dis père car c'est de toi que j'ai appris à défendre les prisonniers politiques. Tu étais à ce point engagé que tu as repoussé les plus hautes fonctions de la République. Je te dis père car c'est de toi que j'ai appris comment défendre l'opprimé sans recourir à la violence (...), tu as des millions d'enfants et de disciples...". Un vibrant hommage, ça s'appelle. Une grande voix, assurément. Un grand théologien.


De son côté, la Chine s'est encore une fois manifestée en mal. L'on sait que la Chine déteste les ingérences. Comme tous les pays, d'ailleurs. Mais elle a une particularité dans ce domaine : c'est que, sincèrement, elle ne comprend pas ce qui peut bien pousser des étrangers à s'ingérer dans son intimité. Au nom de quoi ? Alors, l'on tente de lui expliquer la théorie classique : la souveraineté des Etats n'a rien d'absolue, elle doit se conjuguer avec l'attention légitime que pourrait porter les autres en matière de respect des droits de l'Homme. Mitterrand l'avait mieux dit, comme d'habitude : "l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance". Joli.


La Chine gronde en général dans ces moments. L'on se souvient de la tournée du dalaï-lama; en France, le président Sarkozy croyait pouvoir faire ce qu'il voulait chez lui. Pas de bol, la Chine avait haussé le ton. Et dégaîné la liste des contrats aussi. Alors, plus de rendez-vous. Ou des entretiens en catimini. Idem pour les "émeutes" de Lhassa, l'insurrection ouïgoure au Xinjiang. (Même le Turc Recep Tayyip Erdogan avait fait profil bas; pourtant, on trouve la ville de Kashgar dans la région; celle de Mahmud, le célèbre Kasgarli Mahmud, rédacteur d'un dictionnaire turc, le Divanü Lugati't Türk au XIè siècle). Derniers épisodes : les dissidents ouïgours sont pendus, le dissident Liu Xiaobo parlait beaucoup, on lui a promis onze ans de prison; un Anglais s'amusait à vendre de la drogue, malade mental qu'il était, on l'a exécuté. Brown n'était pas content, évidemment. Les Chinois s'en fichent : "souveraineté de la justice chinoise"... Une nouvelle grande puissance arrogante est née. La roguerie des Grands, un fléau.


De leurs côtés, les terroristes font toujours frémir; ceux qui se réclament de l'islam. Mais ceux que les musulmans rejettent. D'autres veulent absolument les qualifier de "musulmans"; une occasion rêvée pour taper sur du musulman, évidemment. "Pourquoi on se ment, hein ! C'est un dogme de l'islam que de tuer, reconnaissons-le, c'est un complot mondial !"... D'accord, je l'avoue : le milliard musulman se réunit tous les cinq ans quelque part dans le monde; en catimini; on prend nos décisions là-bas, on planifie des choses et on passe à l'acte le moment venu. Je l'avoue. Et à La Mecque aussi, tous les ans, en tournant autour de la Kaaba, vous ne pouvez pas savoir tout ce que l'on se murmure. Je l'avoue. Nous sommes mauvais, nous sommes dangereux, nous aimons le sang, nous adorons les cadavres, nous nous contentons des explosions ici ou là. Je l'avoue. Ca nous fait une belle jambe, comme on l'aura remarqué.


On a peur. On entre en 2010. On en sortira dans le même état. C'est ainsi. L'important est de rêner nos révoltes internes. Il y a bien quelque chose, quelque part pour entendre les hurlements des opprimés. Si l'on pouvait troquer nos rêves avec ceux des Gazaouis, des Tamouls, des Darfouris, l'on aurait compris un certain nombre de choses... Anna Tibaijuka, sous-secrétaire générale de l'ONU avait vu juste : "en Afrique, est pauvre celui qui est menacé de mort; en Europe, celui qui a du mal à payer son emprunt immobilier"... Un abîme. Pour comprendre la vie, il n'y a rien de mieux que de visiter les cimetières. Chaque année, on ne fait que déshabiller l'Espoir pour le monder et le rhabiller de ses haillons. Et on se souhaite bonne année. Bonne année, donc. Qu'elle soit joyeuse. Que l'on rie beaucoup. Que l'on s'éclate. "Tchin tchin, mon ami !"...

dimanche 27 décembre 2009

Dâr ur-riyâ'

C'est une coutume; on ne parle jamais de sexe dans les familles normalement constituées. En Orient et en Occident. C'est comme ça. Mais les parents guettent toujours; ils sont vigilants. Mais nuance. En Occident, la mère veut que tout se passe bien lors de la "première fois"; en Orient, elle se projette plus dans l'avenir, elle veut que tout se passe bien lors de l' "unique première fois". Affaire d'épanouissement dans un cas, souci du devoir dans l'autre.


En Australie, un daron, apparemment bileux, a beaucoup réfléchi sur l'avenir de son fils; trop, peut-être. C'est qu'il avait une peur obsessionnelle, que son rejeton bien-aimé sombre dans l'homosexualité. Il a donc emmené son garçon de 14 ans dans un lupanar et l'a forcé à avoir une relation sexuelle. Principe de précaution... "Attends je vais t'aider, comme ça, voiiiiilà". Résultat : juges et psychiatres ont été alertés...


En France, nous fûmes confus, aussi. M. Mitterrand. Frédéric de son prénom. Le "neveu de l'Oncle". Celui qui avait avoué avoir fréquenté des prostitués en Thaïlande. Evidemment, l'attaque émanant du Front national, ça ne pouvait qu'être fétide. Puisque comme on le sait, invectiver le Front national et les Le Pen est un sport favori en France. L'on connaît l'intimité de notre Ministre, désormais. Etre homosexuel n'est pas interdit, évidemment. Heureusement. Pédophile, si. Ca tombe bien, M. le Ministre est homosexuel. Et c'est tout. Les mots "enfants", "gosses" et autres termes employés grossièrement ne devaient pas être pris au sens littéral, nous avait-on dit. Ce sont des adultes; consentants dans le cadre de leur métier. Il avait défendu son honneur, Monsieur le Ministre. On l'avait écouté. On n'avait pas pleuré. On n'avait pas ri non plus. On le regardait. C'est un ministre. Polanski aussi a des soucis. On l'accable pour un viol commis il y a un siècle; mais la justice ne devrait pas s'acharner; un scandale, ça s'appellerait. Bon. Le monde tourne à l'envers; on avait croisé un homosexuel nazi, aussi. Le défunt Haider... "Outé" post mortem.


Notre père australien fait jaser, évidemment. Un journal turc a donc demandé à des célébrités de réagir à son attitude. "Moi je donnerais volontiers un coup de pouce à mon fils, a lâché le commentateur sportif Erman Toroğlu, je lui trouverais des gonzesses; mais de toute façon, être gay maintenant, c'est la mode, rien à faire !"; "moi je pense que c'est l'affaire des grands frères du quartier car les jeunes de notre pays se déniaisent toujours dans les bras d'une pute", nous a appris le comédien Behzat Uygur; le psychiatre Nevzat Tarhan n'y va pas par quatre chemins, lui : "la pression sur les fils conduit à l'homosexualité". Voilà donc pour les fistons. Ils doivent goûter le plus vite possible à défaut de quoi ils peuvent basculer. En somme, les forcer à être hétérosexuels... sans les cabrer. Hypocrisie.


Quant aux demoiselles, dans toutes les contrées musulmanes, elles doivent arriver vierges pour la Nuit. Les gonzes, eux, n'ont rien à prouver. On les aime comme ils sont. "Et puis c'est un mâle, c'est pas pareil, pfff!". Véridique. Hypocrisie. Cacher aux hommes ce que les anges regardent avec des loupes est une de nos plus tendres pathologies.


Les sociétés conservatrices, comme on le sait, sont celles qui remuglent le plus. On étouffe tellement de choses. Des salissures universelles, en fait. Tout est interdit, il faut donc descendre dans les sous-sols pour vivre certaines expériences. Prostitution, pédophilie, inceste, viol existent bel et bien dans les pays arabo-musulmans. Sauf que l'on feint de les ignorer. Résultat : les cris butent sur les murs et c'est tout. Double peine : violence et injustice.


Nos cheikhs saoudiens et égyptiens en sont, quant à eux, aux formalismes; le devoir de la femme, c'est d'élever ses enfants et de leur inculquer les valeurs religieuses, nous sermonnent-ils. La mère, inculquer les valeurs religieuses, lesquelles valeurs sont définies par des hommes, évidemment. Hypocrisie. L'un se tue à prouver qu'il est interdit à la femme de conduire, l'autre nous balance des données scientifiques pour prouver que l'excision est une bonne chose (makrouma), un autre nous assure que le Prophète avait bien dit que les femmes n'avaient qu'une demi-cervelle, etc.


Résultat : la phallocratie et la mesquinerie. J'ai lu un paquet de fatwas, dernièrement; j'en sors convaincu : le Prophète nous crachera sur la figure pour avoir tant dénaturé la religion. Tendre qu'il est, il n'osera peut-être pas. Il se détournera, en tout cas. Ca suffit déjà pour être malheureux Là-Haut...

lundi 21 décembre 2009

Empathie

C'est qu'il parle beaucoup. Il balance souvent, aussi. Il énerve. Sa Sainteté le patriarche Bartholoméos, le chef des orthodoxes. Le primus, en tout cas. C'est que mes ancêtres étaient orthodoxes, je me sens un brin concerné... Un des plus célèbres rouspéteurs de Turquie. Devant un journaliste américain venu lui arracher complaintes et désolations, il a repris le chapelet : "on souffre dans ce pays, on est considérés comme des citoyens de seconde zone, on se sent crucifiés !", "bah, faites votre hijra vers la Grèce", "jamais, c'est la terre de mes ancêtres, ma terre, je suis né ici, j'ai oeuvré ici, pas question d'aller ailleurs, nous vivons notre Passion ici". Helal...



Evidemment, lorsque Sa Sainteté se déplace à l'étranger ou ouvre la bouche en Turquie même, la classe politique s'agite; c'est qu'il dérange. "Qu'est-ce qu'il veut encore ?". Rien de grave : l'ouverture de son séminaire à Heybeliada (Halki). C'est qu'en bon berger, il craint pour son troupeau. Les Orthodoxes ne seraient plus que trois mille; et les jeunes ne se bousculeraient pas pour entrer dans les ordres. Ca tombe bien, l'unique séminaire chargé de les former est fermé depuis les années 70. C'est comme ça. Une question juridique, nous jure tout le monde.


En plein Noël, en plus, la polémique. Tiens, bonne nouvelle, en parlant de Noël : comme on le sait, les Turcs aiment bien rappeler leur place singulière dans l'histoire; Mustafa Kemal avait inauguré cette pathologie, jadis. Tiens, on apprend que le sapin de Noël est une invention turque. C'est la "dernière reine sumérienne", la nonagénaire Muazzez Ilmiye Çığ qui l'a déclaré. Notre arrière-grand-mère nationale. La grande spécialiste de la civilisation sumérienne; civilisation turque, pour elle... L'Europe est donc en Turquie : sapin de Noël, Saint Nicholas, Paul de Tarse, l'apôtre André, Troie, l'Asie mineure,... "Mais attention, la Turquie n'est pas en Europe, hein !" D'accord. T'inquiètes...


Le patriarche apprécie le gouvernement AKP, pourtant; celui-ci ose promettre des choses. Promettre. Ca enchante les oreilles, au moins. Mais sincérité, il y a, reconnaissons-le. Car les conservateurs musulmans sont, naturellement, beaucoup plus pénétrés du sentiment d'ouverture que les autres formations. Cest un fait. Un héritage ottoman, une vision beaucoup plus rassembleuse; le Premier ministre est tellement mû par cette doctrine que personne n'a pu encore l'entendre dire "je suis Turc"; en bon ottoman, il refuse les catégorisations ethniques. "Citoyen de Turquie". Les autres partis sont plus "républicains" à cet égard; d'ailleurs, après la protestation officielle du gouvernement, c'est le sinistre Onur Öymen qui a déploré les propos de Bartholoméos; un social-démocrate comme on le sait. Et les nationalistes ont exprimé leur indignation d'usage.


Protestation officielle du gouvernement, donc. Et c'est le ministre des affaires étrangères qui a répondu, allez comprendre pourquoi. L'inconscient; l'on n'arrive pas à considérer les Orthodoxes comme des citoyens turcs; c'est donc le chef de la diplomatie qui s'enflamme le premier... Un homme sensé, pourtant. Il a pris le mot au sens littéral et a lâché dans un air désormais impérial : "notre histoire n'a jamais connu la crucifixion". Et c'est reparti pour vanter l'esprit d'ouverture de nos ancêtres à l'endroit notamment des Juifs persécutés. En Europe... C'est une fierté; les Nicolas Sarkozy, Esther Benbassa, Alexandre Adler et autres ont laissé des souvenirs sur le sol turc...


Evidemment, s'agissant du chef d'état-major, personne n'a l'habitude de protester en catastrophe; ou de protester, tout court. Il y a quelques jours, sur la proue du vaisseau amiral, il menaçait la justice, les médias, les intellectuels. Le ministre de la défense, personne ne l'a entendu; d'ordinaire, personne ne l'entend non plus, c'est qu' il n'a aucune compétence. Un simple rang protocolaire. Le "Guide" (ou der Führer, disent certains) était en tenue de guerre, nous dit-on, un symbole; dans un navire, un autre indice; c'est que l'on avait appris qu'un énième plan de coup d'Etat avait été préparé par la marine, cette fois-ci, il vient donc défier gouvernement, justice et bon sens. Toujours avec son air comminatoire et patibulaire. "Oui oui, mon Général, c'est ça, c'est fini vos grondements, faîtes donc confiance à la justice turque, impartiale et indépendante lorsqu'il s'agit de s'en prendre à l'AKP et au DTP"...


Ingratitude, aussi. Sa Sainteté est un des plus fervents "VRP" de la Turquie dans le monde. Il commence toujours par se plaindre; on le comprend. Mais il finit toujours par demander l'adhésion de la Turquie, de son pays, à l'Union européenne. On le comprend, aussi; il veut voir sa situation s'améliorer. Et l'oecuménisme, un autre débat absurde; une question théologique à laquelle l'Etat turc pointe le bout de son nez alors qu'il n'a aucun titre de compétence.


Certains apprennent donc que les Orthodoxes ont quelques soucis; d'ailleurs, chose bizarre, le porte-parole du gouvernement vient de demander au patriarche de s'adresser prioritairement aux instances de son pays lorsqu'il a des réclamations à faire. L'on rêve ! Comme si le gouvernement ignorait les raisons de son râlage ! C'est le devancier de l'actuel ministre des affaires étrangères (aujourd'hui, ministre de l'économie) qui était venu devant le Parlement européen pour expliquer, en somme, qu'aucune confession n'était épanouie en Turquie ! Un pays laïque, soit dit en passant...


C'est qu'il existe des gens qui prennent trop au sérieux, les textes. La Constitution dit que..., la loi a confirmé que..., la Convention me permet d'espérer que... Sa Sainteté fait partie de ces gens-là; il croit tout ce que dit la Constitution. C'est un Turc en plus, il devrait savoir comment ça se passe dans son pays.


Le Premier ministre faisait ses crises de démocrate irréprochable pour les minarets suisses; c'est lui qui co-dirige l'Alliance des civilisations; celui-là même qui, comme un disque rayé, ne cesse de citer Rûmi : "viens, qui que tu sois, viens...". "Ils sont là, coco, c'est bon, on a compris, passe à autre chose maintenant, allez"...

vendredi 18 décembre 2009

De-ci, de-là...

Etre soufi; abolir l'Espace, déchirer le Temps. Vivre en suspens. Le temps passe si vite; on est déjà en 1431. Jadis, quand mon père luttait, le temps coulait plus lentement; l'on vivait au ralenti, presque. C'est qu'il menait une lutte. Le temps ne bronchait pas, il s'adaptait. Traître. Mon père parti, il s'est accéléré. L'aventure continue.


C'est bien la grève; on attend. On compte les minutes. Le temps défile devant nous, l'occasion de le narguer; le RER A fait grève, a-t-on dit. Heureusement. C'est que je prends le RER B. Et je voyais défiler plus de RER A que de RER B, ce matin. Je n'ai toujours pas compris.


Le temps se fige parfois; quand deux yeux étrangers s'enlacent; ils se frôlent d'abord, puis s'épient, enfin se fixent. "Instant indétectable pour la foule, éternité pour l'amant" disait Amin Maalouf. Il a toujours raison celui-là, ça énerve à force...


S'il y a bien une pensée qui me fait frémir, c'est celle de "tuer" le temps. Ne rien faire. Tiens, un conseil pour l'éphèbe : travailler, travailler, travailler. "Lève-toi, on a l'éternité pour dormir" disait Khayyam.


L'islam nous prévient : le Jour du Jugement, Dieu va fouiner. La convocation. Le grand Oral. Et tout penaud, l'on dévoilera les heures passées à ne rien faire, à ne pas réfléchir sur la Nature. Les voyages en train sont formidables en réalité pour tout psychologue ou sociologue; les uns qui lisent, d'autres qui papotent quasiment avec tout le train, d'autres encore qui parlent au téléphone; le petit capuchonné en train de rouler une cigarette. Tout le train attend avec impatience s'il va l'allumer; les yeux rivés sur lui. Mais personne n'ose rouspéter à voix haute; c'est comme ça. Il parle verlan, il porte capuche, il est incorrect. Il fait peur. Même Nadine tremble.


Moi je lisais Mahmoud Darwich; pour la première fois, je l'avoue. Honte. Il le dit : "Ce siège durera jusqu'à ce que l'assiégeant, comme l'assiégé, réalise que l'ennui est l'un des attributs de l'Homme". Encore le Temps. Paradoxalement, dans ce cas, il reste discret, le Temps. D'ailleurs, on ne l'attend plus, qu'il aille au diable ! Oh hisse !


Ah oui, mes deux yeux, j'en étais resté. Ca ne s'oublie pas; l'amour ? Le Temps obviera. Encore lui. L'on vante souvent l'aspect thérapeutique du temps; il effacerait, apaiserait, récompenserait. Le "sabr" dit-on, "l'endurance", la "patience". Une éponge, soi-disant. Mais qui a dit que je voulais oublier, pfff ! Barbouiller le Temps de ses larmes...


Il y a les nostalgiques, aussi; les otages du Temps. Ou ses hôtes, pourquoi pas. Dans l'islam, beaucoup de barbus veulent absolument disparaître dans l'antique; "émigrer" vers l'époque du Prophète. Pourquoi pas. J'ai tellement envie de le voir; de le consulter; de me confier. Qu'il tranche donc tous nos débats. Qu'il nous aide à pleurer. Qu'il nous dise qu'il nous aime toujours. Qu'il nous console. Temps révolu... Personne n'ouvre.


La mort, in fine. Notre famille a une connexion très forte avec la Finitude. Une sorte de "rigolade". L'on ne pleure même plus; l'on guête le suivant. La Mort donc, la fin du Temps. L'apaisement. Eternité. Première question à poser à Dieu : le Coran est-il créé ou incréé ? C'est que le cours de droit musulman m'obnubile; les mutazilites ont dit que... les asharites ont pondu que... Juste pour savoir si c'était une "prise de tête". Je prends note.


Les soufis ont vraiment de la chance, eux. Ils sont ailleurs, par définition. Entre ciel et terre. Ils montent l'escalier et se dépouillent au fur et à mesure. Ils ont assommé le Temps. Ils ont aboli les frontières. Un peu de "zawq" Yâ Rabbi !


"Tu délires ?". L'on ne comprend certaines choses qu'avec le temps; à mettre dans cette catégorie. Je déteste l'écoulement du temps. Un tas de chose à faire. "nan, c'est rien, c'est la fatigue"...

Dudaktan Kalbe - Gurur (Full versiyon)

Dudaktan Kalbe - Toygar Işıklı - Siyah Yıldızlar

dimanche 13 décembre 2009

"Par ces motifs, décide : on préfère le PKK"...

Ca y est. Enfin ! Oh ! La Cour constitutionnelle turque a interdit le parti kurde, le DTP : "parti de la société démocratique"; le parti ayant une rose pour emblème. Mais "vitrine politique" du PKK, organisation séparatiste. Terroriste. 7 soldats d'ailleurs sont encore tombés dernièrement. Le "on ne sait plus combientième parti kurde dissous" attendait son procès depuis deux ans; procès lancé par le Procureur général près la Cour de cassation, celui qui s'en était pris à l'AKP il y a quelques mois.


Şükür donc, on l'a également interdit. Un avenir meilleur nous attend, pas de doute. C'est que le DTP gesticulait beaucoup; il demandait trop de choses, trop vite, trop fort. Ca gênait. Un Kurde osait demander des comptes ! L'on rêvait. "Ouvrez les charniers, identifiez leurs meurtriers, laissez-nous enseigner le kurde, investissez dans nos contrées, reconnaissez nos droits culturels". Dérangeant pour un Etat-Nation assimilationniste. Atatürk les avait bien eus à l'époque; "arnaqués". Evidemment, dans les "pays outrancièrement républicains" (suivez mon regard), l'on préfère toujours écraser, étouffer, ignorer. L'on temporise toujours en réalité; ça éclate un jour ou l'autre. Et l'on se retrouve, un jour, face à des Kurdes pétris d'acide par-ci, des musulmans gonflés de bile par-là. C'est comme ça.



Le DTP a porté atteinte à l'indivisibilité du peuple et de l'Etat en recourant à la violence, nous ont appris les juges constitutionnels; concrètement, en frayant avec le PKK. Ce n'est pas un scoop, évidemment. On savait; on sentait; on devinait. Mais on fermait les quinquets, histoire de ne pas saper le mouvement de démocratisation. D'ailleurs, à quoi bon ouvrir les yeux ? L'on regardait, l'on ne voyait rien.



Evidemment, demander un changement institutionnel ne devrait pas être condamnable. Une fédération, une confédération, pourquoi pas une indépendance. "Des patates ! Quoi encore ! Jamais !", "Ca s'appelle l'exigence démocratique, mon petit". Même divaguer est permis dans les démocraties, on l'oublie souvent. Rêver au coeur de l'assemblée nationale est toujours mieux que rêver le fusil à la main. En Italie, comme on le sait, la Ligue du Nord participe au gouvernement tout en rêvant d'une désagrégation de l'Italie. En Belgique, on en vient même à faire des blagues sur l'éclatement et personne n'a encore été pendu. Chez Sa Majesté, on ne sait même plus s'il faut toujours parler d'un "Royaume-Uni"; tiens, le petit père Al Fayed, l'ennemi juré de la famille royale, n'a pas hésité à appeler les Ecossais à voter en masse pour leur indépendance. C'est qu'il veut être leur Président... Bref, ces choses-là se discutent, ici ou là. Quoi d'incendiaire ?



Les petits Kurdes préparent déjà leurs valises, disent certains; direction : les montagnes. Adieu donc l'ouverture démocratique. En éliminant le DTP, on n'a plus qu'un seul interlocuteur : le PKK. D'ailleurs, "Apo" a immédiatement envoyé une couronne au parti: "ça va, arrête de pleurer Ahmet, ce n'est pas la fin du monde...". Il s'esclaffe. Bravo.



La Cour constitutionnelle qui sait pourtant violer si bien la Constitution a voulu faire dans l'art cette fois-ci; "nan, j'ai décidé d'être positiviste, nanik". Elle aurait pu encore une fois lire "autrement" la Loi fondamentale. Prendre en compte le contexte; atténuer la sanction : un simple avertissement, avait demandé l'ancien juge turc à la Cour européenne des droits de l'Homme, Rıza Türmen. "Vous êtes jamais content ! On fait dans l'idéologie, on est incompétents ! On fait dans la dentelle, on est incompétents ! Flûte à la fin !". D'ailleurs, le président de la Cour, Haşim Kılıç, était remonté; il demandait presque à la Turquie entière de bien excuser la Cour pour avoir décidé cette dissolution : "on en marre des politiciens qui veulent que la Cour règle des problèmes politiques ! C'est la dernière fois ! Après démerdez-vous !". "Calme, calme, Haşim" a répondu le juriste national néanmoins de carure internationale, Sabih Kanadoğlu, le croque-mort patenté des partis : "coupe court, Monsieur le Président; lis ta décision et ferme le clapet ! Le tribunal rend des décisions, il ne distribue pas de conseils !".



Une bizarrerie saute aux yeux : le président du DTP, la colombe Ahmet Türk est interdit de vie politique pendant cinq ans. Le faucon Emine Ayna, celle qui demandait au gouvernement de marchander directement avec le terroriste en chef Abdullah Öcalan, s'en sort. C'est comme ça. La Cour a décidé ainsi; souverainement. Jadis, lorsque la Cour avait interdit le parti soi-disant islamiste Fazilet Partisi ("parti de la vertu"), celle qui avait été déchue de son mandat et interdite d'activités politiques pendant cinq ans, ce fut Nazlı Ilıcak. La Cour constitutionnelle avait décidé à l'époque que cette femme qui ne porte pas le voile et qui se targue de boire de l'alcool menaçait l'ordre laïque turc... Son tort avait été d'introduire la députée voilée Merve Kavakçi dans l'hémicycle...



D'ailleurs, cette aberration n'avait pas échappé à la Cour européenne : "les mesures litigieuses ont porté atteinte à la substance même du droit de la requérante d'être élue et d'exercer son mandat, et aussi au pouvoir souverain de l'électorat qui l'a élue députée" (Ilicak c. Turquie, 5 avril 2007, § 36).


Les députés qui ont "sauvé leurs peaux" ont décidé, en guise de protestation, de rendre leurs démissions; mais comme l'absurdité est un principe qui se love dans chaque rouage de l'organisation institutionnelle de la Turquie, leurs démissions doivent être confirmées en séance plénière à l'assemblée nationale. Or, les députés des autres partis ne veulent pas entendre parler d'élections anticipées dans les circonscriptions kurdes. Entre-temps, les députés kurdes ont décidé de se retirer sur l'Aventin.


C'est comme ça : "Bize ümit haram. Bize hayal haram. Bize barış haram". Les passions sont désormais aux premières loges; on a interdit le DTP. Bien. Les Kurdes sont toujours là, eux. Ils attendent toujours; comme des fleurs. Les pancartes en main. Les voix éraillées, les gorges nouées. L'Etat ferme les partis kurdes; eux sont toujours là, à la même place, avec les mêmes doléances, les mêmes attentes. Mais l'Etat ferme les partis; son zèle est proverbial. "Mais arrête de dire ça, le DTP-PKK ne représente pas les Kurdes !", "seulement 2 millions de voix sur 15 millions, c'est vrai"... Deux millions... Le droit au bonheur. L'apaisement. La sérénité. La normalité. Toujours des pièges. Encore des déconvenues. L'Etat en est toujours à l'interdiction des partis, de son côté; les Kurdes sont toujours là pourtant. Coups de pieds aux derches des colombes kurdes, tapotements sur l'épaule d'Apo. Bravo. La Paix est au coin de la rue...

vendredi 11 décembre 2009

Caritas in veritate

C'est que l'homme est ainsi fait. Il désire. Il veut. Il aime ça. Ca naît, ça dure et ça s'évanouit. Mais ça naît toujours, le désir sexuel. Un poison installé en nous. Un sentiment naturel, donc. Mais certains ont estimé que cette nature devait être "dressée". Allons donc.


Les prêtres catholiques, comme on le sait, ne peuvent pas se marier. Ils sont tenus au célibat; histoire de penser à autre chose. Un peu mieux que les "réguliers" qui, eux, sont tenus à la chasteté. Nuance. Le Père Alain de la Morandais y tient, c'est que l'auto-érotisme est permis pour les premiers...


La théorie voudrait qu'ils fassent don de leurs personnes pour Dieu et les hommes. Et ils travaillent beaucoup; de grands savants, aucun doute. Comment ne pas admirer un homme qui parle plusieurs langues, qui discute aisément aussi bien des Evangiles que du Coran, qui garde à toute épreuve une face apaisée, déterminée, confiante ! Et les soeurs ! Une vie de sacrifice, d'amour, de résignation à faire pleurer de rage un laïciste régulier.


Mais comme interdire une chose revient toujours in fine à lui rendre honneur, il fallait s'attendre à des déraillements. "Le moins de péché possible, c'est la loi de l'homme. Pas de péché du tout est le rêve de l'ange. Tout ce qui est terrestre est soumis au péché. Le péché est une gravitation" (Victor Hugo, Les Misérables). Si bien que l'Eglise catholique est quasiment devenue le point de rencontre des pères de la débauche. Pis, de l'ignominie. L'on s'en prend à des enfants. Et toujours la même bêtise : la hiérarchie celait. Des hommes de religion; de Vérité; de Dieu...


Le Vatican est obligé d'intervenir, c'est dire. Le clergé des Etats-Unis n'en finit toujours pas de solder sa "dette" envers les victimes. Maintenant, c'est celui de l'Irlande. Encore une fois le même discours : "profondément choqués par l'ampleur et la perversion des abus, et couverts de honte face à l'ampleur des dissimulations", "Nous reconnaissons que cela est le signe d'une culture qui était répandue au sein de l'Eglise". Eh ben...


La religion est pernicieuse, assurément. Il faut faire quelque chose. Surtout quand elle en vient à produire des pervers. "Ouais, d'abord, tiens je le dis, l'Eglise est un formidable bordel !", "chut mon petit ! Ne dis pas ça, c'est contraire à l'héritage chrétien de la France, le Président l'a dit lui-même, les musulmans doivent se taire"... Le Président de la République ne vient-il pas de lancer un ultimatum à ses "compatriotes musulmans" : "mais faîtes ça dans l'art vous aussi ! Ne heurtez pas les vieilles dames avec vos minarets et vos barbes et voiles ! Respectez l'héritage chrétien ! les valeurs de la République !". Laïcité et héritage, deux termes opposés dans la même phrase...


Soyons donc interventionniste c'est-à-dire républicain, un instant. Après tout, comme personne ne se gêne pour pointer le bout de son nez dans les pratiques musulmanes... Libérons les ecclésiastiques ! Vive Charles Chabert ! Il faudrait abolir l'obligation du célibat. Au nom de la dignité humaine. Ou interdire l'Eglise, d'ailleurs; tout le monde se gargarisait de la condamnation de l'Eglise de scientologie. Ils ne pensent qu'à "ça", on l'a compris désormais. Ils souffrent. Un mandat d'arrêt international contre Sa Sainteté serait le bienvenu aussi; non-assistance à personne en danger. Benoît XVI faisait le malin en attirant les anglicans mariés, qu'il s'occupe d'abord de ses calotins dépravés...


Au point où nous sommes arrivés, un référendum sur la question ne sera pas de trop, nous pensons. "Dignité humaine, coco; c'est capital", "désolé, héritage chrétien, on ne peut rien faire, c'est comme ça, jeannot"...

mercredi 2 décembre 2009

"Commediante ! Tragediante !"

La bêtise l'a emporté. Les Suisses ont interdit la construction des nouveaux minarets. Les minarets, des baïonnettes, comme on le sait. Ils avaient peur. La paranoïa, encore une fois. Comme on le sait, les mosquées inondent la Suisse; il fallait donc s'inquiéter, la routine. Quoique. Tous les politiques sérieux, les représentants religieux, les hommes sensés avaient demandé aux électeurs de ne pas humilier la Suisse.

Evidemment, soumettre à référendum des questions relatives aux libertés fondamentales est, en soi, incompréhensible mais bon; la Suisse, voyons, celle qui proposait jadis d'instituer une Cour mondiale des droits de l'Homme. Naguère. On le sait, les pathologies ne se soignent en Europe qu'en fessant les musulmans, des proies faciles; ça tombe bien, les musulmans s'énervent un temps et oublient vite. C'est connu, un musulman doit toujours être conciliant; "j'en ai marre, je proteste, je hurle et...", "chut ! dis pas ça, excuse-toi, tu provoques, tu fais peur, sıs". Qu'ils touchent donc aux églises et aux synagogues, le Conseil de sécurité se serait déjà réuni en urgence, "arrête d'exagérer, t'es antisémite hein, avoue-le !"...

Mais la tradition veut tout de même que l'on marmonne des choses lorsque l'on viole les droits de l'Homme; "un scandale" a lâché notre Kouchner national; "intolérance" a même déclaré le Vatican; "anachronique" a déclaré le ministre turc de la culture, "d'ailleurs venez chez nous, on va vous apprendre la tolérance". Les théologiens de l'UMP en étaient, entre-temps, à convaincre les Français de l'inanité des minarets dans le dogme islamique... De son côté, le Président de la Cour européenne des droits de l'Homme, Jean-Paul Costa, celui qui, lors de la Commission Stasi donnait des astuces aux sages pour interdire le voile, n'a pas pu se retenir : "alors, quid de ce référendum sur le plan des droits de l'Homme ?", "oulala, c'est très compliqué tu sais, hein, intérêt à agir, épuisement des voies de recours internes, etc., allez, allez...". Complexe. Evidemment. Simple pourtant, limpide : violation de l'article 9.

"Arrête de dire ça, les minarets ne sont pas une exigence de la Loi islamique, pfff, avoue que vous faites exprès de les ériger pour nous provoquer !","mais on s'en fout de vous, on ne vous a même pas calculés, arrêtez de délirer !", "j'ai peur moi, regarde je tremble","bah consulte"... Une vieille dame qui venait de voter oui à l'interdiction avait déjà préparé dans sa petite tête, le discours qu'elle allait tenir aux journalistes si on l'interrogeait à la sortie : "bah quoi, et chez eux, les églises sont interdites et toc, je suis intelligente hein ?", "oui oui mémé". Il faudrait donc s'abaisser au niveau de ces pays. La réciprocité, en somme, dans la violation des droits de l'Homme ! D'ailleurs, les extrémistes de tout bord ont commencé à vomir; c'est connu, la banalisation brise les laisses; elle éperonne l'intolérant qui demeure en nous et qui est prêt à se déchaîner à la première occasion.

Evidemment le Premier ministre turc se devait de donner son avis; un islamiste-terroriste-fasciste comme on le sait. D'ailleurs, l'on apprend que les autorités helvétiques avaient supplié la diplomatie turque de tout faire pour l'anesthésier; motif : sa colère est proverbiale. Il ne fallait surtout pas brusquer les électeurs. Maintenant que c'est fait, Erdogan peut tempêter : "il y a des demeurés qui disent que les minarets sont l'étendard des islamistes, regardez moi ça franchement, il faut être con pour réfléchir ainsi !".

En Turquie, on ne dépense pas des sommes faramineuses pour des référendums lèse-liberté; la justice joue déjà ce rôle : une Cour constitutionnelle remplie d'incompétents, un Conseil d'Etat qui estime que l'égalisation des conditions d'accès à l'université entre les élèves des lycées normaux et ceux des lycées religieux est précisément contraire à l'égalité (sic !), une Cour de cassation qui n'en finit pas d'élargir la notion de liberté d'expression lorsqu'il s'agit d'insulter les politiciens kurdes. L'esprit turc, être malin. Violer les libertés à l'oeil.

Jadis, notre Prophète l'avait dit : "quiconque nuit à un chrétien ou à un juif sera mon ennemi le jour du Jugement et le paiera". Les Suisses, dit-on, seraient gênés, ils ont honte. Nous autres musulmans, nous sommes fiers. Fiers d'être les suiveurs d'un homme qui a dit cela il y a 1400 ans. Notre nourriture est autre, elhamdulillah...

samedi 28 novembre 2009

Subreptice accoutumance

Faut-il commencer à s'inquiéter, c'est la question que je me pose. Quoique l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme est là, bien ancré, droit dans ses bottes : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi". Mais l'on a bien compris que l'on ne se situe plus dans la sphère purement normative. La stigmatisation a commencé; tranquillement, sans indignation, en douce, petit à petit. Une indolore mise en mouvement.

L'on a le droit d'être contre le voile; de "rétrograder" sa valeur religieuse, de repenser sa légitimité à notre époque, de pleurer sur le sort des "folles" qui le portent, de fustiger les phallocrates qui l'adorent, etc etc. Mais l'on n'a pas le loisir de porter atteinte au droit de celles qui ont décidé de le porter par conviction religieuse. C'est que la liberté religieuse est une des plus sacrées, c'est comme cela. Le fait est que le monde compte plus de théistes que d'athées. Et les premiers n'ont pas encore atteint l'état d'éveil des seconds; ils comptent donc sur des fables, des principes, des règles transcendantales pour mener leur barque. Et il s'avère que leur Créateur leur a imposé quelques devoirs; ce n'est pas qu'ils ne savent pas vivre et qu'ils n'ont pas envie de faire la fête sans arrêt, de forniquer à tout bout de champ, de balancer par-dessus bord toute rigidité, bref de s'installer dans ce monde; c'est que l'au-delà, l'hypothétique les préoccupe plus; d'autres se contentent d'être pascaliens et de réprimer leur naturelle insoumission "au cas où". Résultat : certains vivent "soumis" à Dieu et se concentrent sur leurs obligations vis-à-vis de Lui.

Il est vrai qu'en France, il est de tradition de pyrrhoniser; et les racines du concept de tolérance ne se perdent pas dans les tréfonds. Une histoire de greffe, parfois ça ne tient pas. L'Histoire de France n'a jamais été irisée. La mentalité n'est donc pas instinctivement portée vers la tolérance de l'Autre. Martine a beau jurer; dorénavant le Parti socialiste va reprendre du poil de la bête, nous dit-elle, il va se reconcentrer sur les valeurs de gauche dont le projet d'intégration est un des chapitres. Bien.

Mais comment changer ce qu'il y a dans la tête des gens. Les esprits guinguets existent aussi, il faut faire avec. Lorsque l'on disait burqa (ou niqab plutôt), il fallait en réalité comprendre, voile. Ce fichu qui symbolise la soumission de la femme. Et comme l'hypocrisie n'a jamais ruiné personne, l'on se complaisait à commencer chaque phrase par le distinguo classique entre le voile, nécessairement respecté, et le voile intégral, évidemment honni. Les hommes sensés ne sont pas en voie de disparition certes, mais l'on sent bien que quelque chose bascule. Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil d’Etat de 1995 à 2007, pouvait déclarer tout naïvement : « le milieu de l’enseignement public est très anti-religieux, très intolérant sur le plan religieux, alors qu’il est laxiste sur ce qui touche à la tenue vestimentaire des élèves. Je n’ai jamais compris, pour ma part, comment on laisse entrer des gamins avec des casquettes vissées de travers sur la tête ou des gamines avec des mini-jupes et le nombril à l’air, et qu’on se pâme de fureur à la simple vue d’un mouchoir sur la tête d’une jeune fille qui ne se livre à aucune provocation ni à aucun prosélytisme » (Droit et société 68/2008, p. 209). Dorénavant, l'on commence à préparer les esprits à une grande offensive; l'on essaie de légitimer les discussions les plus illégitimes, les plus dangereuses.

L'on rêve, en réalité; ça doit être ça. Des référendums sur des minarets par-ci ! Des députés qui crient haro sur le voile en plein hémicycle par-là ! Alors que Lubna al Hussein ne cache pas son désir de voir un jour une Mecque où les femmes ne seront plus voilées, l'on apprend qu'une Canan Aritman version française, commence à émerger. Madame la députée Françoise Hostalier. Furieuse. Enragée que l'on puisse venir aux portes du temple pour braver spécialement la République. Fanatisme. L'on se souvient encore du respect que les députés de la République avaient manifesté à l'égard d'un de leurs anciens collègues, un abbé.


Il fut un temps en Turquie où le Premier ministre social-démocrate Bülent Ecevit avait littéralement foutu dehors une députée qui avait eu le tort de porter un voile; voilée non pas du jour au lendemain mais depuis les origines. Elle avait été élue par le peuple dans cet état. Une impolitesse qui ne seyait pas à Ecevit, un Monsieur pourtant. Fanatisme.

Dernièrement, c'était en Belgique que l'on essayait d'enquiquiner une députée voilée. Echec. Elle triompha.

Madame la députée Hostalier, nous dit-on, avait rédigé une proposition de loi en vertu de laquelle le voile serait interdit "dans tous les établissements où est exercée une activité de service public"; comprenez l'espace public. L'on y arrive petit à petit. Et elle serait inconsolable sur la loi de 2004, elle aurait préféré que les universités aussi entrent dans son champ d'application... Le mérite des musulmans dans ce pays, c'est qu'ils contribuent à la définition de l'identité nationale; une contribution en creux, c'est déjà ça. "Cétait bien le temps où ils étaient dans leurs caves hein ?", "ouais franchement, plus ils sont visibles, plus ils nous narguent j'ai l'impression !","on les aura un jour ou l'autre tu verras, ils s'excuseront eux-mêmes d'être musulmans, les valeurs de la République, c'est ça mon ami, du vent, ça débarrasse...", "et d'ailleurs, s'ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à activer la hijra, hein, qu'est-ce t'en penses ?", "bah oui tiens, qui a dit que l'on ne pouvait pas fuir la patrie des droits de l'Homme ?"...

dimanche 22 novembre 2009

Des valeurs européennes

L'on ne pouvait pas faire mieux. La recherche de l'identité nationale. La France et la Turquie se ressemblent tellement. N'en déplaise à M. Sarkozy. Celui qui a du dédain pour les Turcs; l'Empire ottoman, la terre de ses ancêtres martyrisés, au temps jadis, par les "Très Catholiques". Il faut avoir un talent pour être ingrat, c'est sûr, ça ne s'invente pas. D'ailleurs, les Turcs n'arrivent toujours pas à oublier ce fameux chewing-gum qui encombrait sa bouche alors qu'il accueillait le Président Gül. Les valeurs européennes sans doute, être "cool" sans arrêt. L'on s'attendait presque qu'il se mît à gonfler sa gomme; avec des grosses bulles. Les "chiclettes", très connues en Turquie; les femmes désoeuvrées en raffolent. C'est un art que de mâcher une gomme.


Evidemment, la question des civilisations a refait surface depuis que l'Union européenne a trouvé son "Président". Une potiche. Un numéro de téléphone au moins, c'est déjà ça. Jadis, Kissinger avait beau éplucher le répertoire, il n'arrivait pas à trouver un interlocuteur. Désormais, en voici un. Un Belge, par-dessus le marché. Un très beau symbole. Le Premier ministre d'un pays au bord de l'éclatement... "Arrête de dire ça, on l'a trouvé durement déjà !", "franchement, c'est quoi qui vous a poussé à le sortir de son patelin", "dis pas ça, il déteste les Turcs et les musulmans en général, c'est un bon critère !". Bon. Sarkozy et Merkel ricanent.


Un Président. A la première question qui lui a été posée, il a trébuché : "alors très cher, la Turquie dans l'Union ?", "bah j'en sais rien moi, c'est les 27 qui vont décider !"... Heureusement que les journalistes savent fouiller dans les archives; on apprend du coup que Monsieur le Président avait affirmé en 2004 : « Un élargissement à la Turquie ne peut d'aucune manière être comparé aux vagues d'élargissement précédentes. La Turquie n'est pas l'Europe, et cela ne sera jamais. Les valeurs universelles qui ont cours en Europe, et qui sont aussi fondamentales dans la doctrine chrétienne, seront diluées par l'entrée d'un grand pays musulman tel que la Turquie ». Ben voyons. Heureusement que je suis opposé à l'entrée de la Turquie dans l'UE, je ne m'essuie pas les yeux... Mais évidemment, lorsque l'on occupe un poste d'importance et qu'il faut se couler dans le moule, on se doit de balayer tous nos anciens propos; "ce fut une maladresse de langage". Kouchner et Lellouche en sont les exemples typiques.


On croit dire des choses sérieuses lorsqu'on pointe le fossé entre les valeurs européennes, nécessairement chrétiennes, et les valeurs turques, évidemment arabo-musulmanes. C'est que l'on n'a pas pu trouver pour l'instant, un autre argument plus sérieux. D'ailleurs, personne n'a pu encore réciter le chapelet. Une Irlande qui refuse bravement l'avortement, une Grèce officiellement orthodoxe avec un mont Athos dont l'existence aurait fait scandale s'il existait en Turquie (aucune créature femelle n'y serait admise !), une Suède qui ouvre désormais les portes de ses églises aux couples gays, une Italie qui n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi la Cour européenne se mêle de ses crucifix gentiment exhibés dans les écoles, une France qui multipliait les crises de syncope lorsque tous les autres voulaient inscrire les racines chrétiennes de l'Europe dans sa Constitution, un Royaume-Uni où le chef de l'Etat dirige, excusez du peu, une Eglise, etc. L'Europe brille effectivement par sa cohérence.


C'est qu'il est difficile d'avouer, comme on le sait. L'islâm. Les Européens n'aiment pas les musulmans parce-qu'ils sont polygames, qu'ils voilent leurs femmes, qu'ils rougissent devant une scène olé olé, qu'ils font trop de bruit dans l'immeuble, qu'ils profitent de toutes les aides sociales, qu'ils ne savent pas s'excuser quand ils bousculent, qu'ils puent, etc. Une représentation; et c'est tout à fait normal, on extrapole toujours. Mais ce n'est jamais le Marocain, le Malien, le Turc, l'Algérien, c'est le musulman. Comme on a l'habitude de le faire pour le juif. C'est l'Europe qui a créé les plus dangereuses idéologies, faut-il le rappeler... La réflexion demande de larges tranches de temps, évidemment. Or il faut coller les étiquettes le plus rapidement possible. Un Turc bouscule une mémé, c'est un musulman, évidemment; une voilée se dépêche pour chiper une place dans le métro, c'est une musulmane mal élevée, évidemment. Un pléonasme, d'ailleurs.


Il faut briser sa coque, nous dit-on, "allez, tiens ce verre, tchin tchin şekerim", "merci canım". Il faut donc pour devenir chrétien c'est-à-dire européen que les Turcs, paradoxalement, se sécularisent plus. "T'imagines des femmes voilées s'amasser aux champs-élysées !", "bouh !". On l'oublie souvent mais le droit turc est laïque; aucune trace de droit musulman. Si la différence ne se situe pas au niveau normatif, c'est qu'elle se retrouve au niveau sociologique; et c'est là que jaillit l'incohérence : pourquoi réclame-t-on alors l'intégration des immigrés (essentiellement musulmans) si d'emblée, on a décrété qu'il n'y avait aucune possibilité de cousinage ? Un slogan. Soit dit en passant, le droit musulman n'est-il pas plus "soft" que le droit hébraïque ? Il suffit d'étudier la situation de la femme dans ce dernier système, on en sort effaré... Mais valeurs judéo-chrétiennes, nous dit-on, n'est-ce pas ?


Bon allez on peut le dire maintenant; les valeurs cardinales européennes : la morgue, l'intolérance, l'hypocrisie. Les "ismes" les plus psychopathes sortent de là, désolé de le rappeler. Alors que l'Orient envoie sans arrêt des Prophètes... Si Mehmed II s'était converti sur les instances de Pie II, l'axe Paris-Berlin-Constantinople dirigeait l'Europe d'aujourd'hui. Et personne n'aurait pris une équerre, un compas, une règle pour délimiter des géographies ni ouvert des livres pour souligner le fossé civilisationnel; le christianisme nous aurait soudés. Comme au bon vieux temps. Sans partager aucune valeur chrétienne, d'ailleurs... Des couples gays dans les églises suédoises, une femme à la tête des Anglicans, un barbu chez les orthodoxes... Même les Européens n'ont toujours pas compris que ce qui les unit, ce n'est pas les valeurs chrétiennes, c'est la simple croyance que les valeurs chrétiennes les unit. Un mirage. Chut ! ne les réveillons pas, je ne veux pas d'une Turquie dans l'Union européenne... Elle doit continuer à se croire d'essence chrétienne.

vendredi 13 novembre 2009

Précis sur les dirigeants du CHP

Je l'avais déjà dit, je n'apprécie pas les gens du CHP. "Parti républicain du peuple", le repaire des gens qui ne savent pas parler sans crier, sans insulter et qui croient oeuvrer pour le bien du pays en s'indignant pour des insignifiances. Quand quelqu'un parle "le coeur dans la bouche", il est soit timide soit dogmatique. Il faut dire que certains arrivent à conjuguer calme et dogmatisme. Un talent, assurément. Le CHP est une clique de malfaisants, de provocateurs, de pathologiques. Le cadre dirigeant, évidemment. Les partisans ou les membres soutiennent le CHP en général par tradition familiale. Même les universitaires ne sont pas capables de penser par eux-mêmes, c'est dire.


Le type le plus malin, c'est le Chef, Deniz Baykal. Sisyphe. Un homme qui n'a jamais été corrompu, c'est au moins son mérite. Qui dit prévarication, dit fonction. Il faut dire qu'il n'a presque jamais exercé de grandes responsabilités où l'on peut se permettre de confondre ses poches, cela aide... Mais c'est un lion de la politique. Il parle bien, aussi. Il est grand rhéteur. Mais s'il pouvait mettre ses talents au service des intérêts de son pays, il aurait été un homme d'Etat. Ce n'est donc pas une aspiration. Celui-là qui demandait une amnistie pour les terroristes kurdes et qui se rétracte aujourd'hui, celui-là qui demandait que des têtes militaires tombent après les révélations sur les différents plans de coups d'Etat mais qui a ensuite avalé son chapeau, celui-là qui demandait une refonte de la Constitution mais qui a changé d'avis lorsque l'AKP est arrivé au pouvoir (neme lâzım), etc. Dernièrement, il demandait que l'on revînt sur la réforme constitutionnelle qui prévoit l'élection du Président de la République par la populace, euh pardon, par le peuple. Or, c'est lui même qui avait bloqué tout le processus en 2007 estimant que le Parlement n'avait plus de fraîche légitimité pour élire le Président; maintenant, il veut revenir à l'ancien système. C'est que le peuple est dangereux; une imprudence que de lui confier son destin, évidemment. Il fut un temps où le nationaliste Bahçeli avait dit des choses semblables : "le peuple peut s'égarer en votant pour un réactionnaire !" Eh ben voyons. Quand on pense que ceux qui débitent ce genre d'idées sont des députés élus par ce peuple...


Kemal Anadol, un balourd chevronné du CHP, est un type qui figure dans la première catégorie; il parle bien, les mots sont bien employés, mais la pensée est fascisante et soutenue par une salve de postillons à faire pâlir Finkielkraut. Le 10 novembre, comme on le sait, est certes la date de décès de Rimbaud mais c'est surtout celle de Mustafa Kemal Atatürk. Le "Chef éternel". Que Dieu l'absolve ! Mais comme en Turquie, le peuple l'adore dans tous les sens de ce terme, l'anniversaire de sa mort est presque un jour férié. A 9h05 pétantes, tout le monde s'arrête pour une minute de silence : les voitures, les vendeurs à la criée, les parlementaires, etc. On arrête de marcher, aussi. La scène est absolument à voir; les rues sont remplies d'hommes et de femmes qui s'immobilisent mécaniquement. L'intérieur des maisons n'est pas encore surveillée par les services de renseignement. Kemal Anadol donc, cet homme de gauche qui adore écouter de la musique classique le matin en se rasant, n'a pas failli à la coutume; il a allumé la chaîne publique TRT 3 et s'est mis à barbouiller de mousse ses grosses joues et sa grasse gorge. Tout morne qu'il était, ce 10 novembre, il écoutait de la musique classique; ça tombe bien, la musique classique, c'est fait pour amplifier la tristesse. La population en général n'écoute pas de la musique classique pour le souvenir de ses morts; elle récite plutôt le Coran. Mais bon, pinaillage que tout cela. Et d'un coup, coup de tonnerre; le présentateur lâcha ce mot si horrible, si indigne, si ignoble : "Je vous souhaite une bonne journée, chers téléspectateurs". Monsieur s'est sans doute tailladé mais a filé immédiatement à l'Assemblée nationale où le gouvernement avait décidé d'inscrire à l'ordre du jour les discussions sur l'ouverture démocratique. Celui-ci chipa immédiatement le micro, l'assistance retint son haleine, les joues rouges comme d'habitude, il se lança : "Vous avez entendu ! Scandale ! La chaîne publique nous souhaite une bonne journée ! Qu'est-ce que cela veut dire ! Je le demande au gouvernement, répondez, comment se fait-il que l'on puisse avoir une bonne journée un 10 novembre ! Parle !", "mais c'est la phrase classique, il n'y a rien à chercher là-dessous","menteur, mes chers amis, nous nous dirigeons vers un régime sharaïque, Atatürk n'est plus pleuré dans les chaumières !"...



Si cela peut lui faire du bien, rappelons tout de même que la très grande majorité des Turcs n'écoute pas la musique classique de TRT 3; ils ont d'autres choses à faire. Ils lisent le Coran peut-être, allez savoir... Et les grands prêtres du temple ne finissent pas de nous conter la ferveur des fidèles amassés aux portes du Tombeau; les questions de ferveur sont toujours épineuses; s'il y a un accord complet entre les théologiens de l'islam et ceux du kémalisme, c'est que la forme est plus importante que tout. Il faut faire la prière, jeûner, faire son pèlerinage même si l'on est quasi mécréant, il faut pleurer sur la tombe de Mustafa Kemal, balancer les drapeaux même si on n'a jamais rien compris à la pensée de Mustafa Kemal. Le vernis avant tout.

Onur Öymen, l'ambassadeur en retraite, est le type même de la seconde catégorie; celui qui parle doucement, d'une manière apaisée et qui attire donc instinctivement les oreilles. Mais une fois qu'il a la maladresse de partager ses pensées, on est dégoûté; de sa personnalité même. Celui-là même qui vient de déclarer à propos de "l'ouverture démocratique" en direction des Kurdes initiée par l'AKP : "les mères pleurent tout le temps; va-t-on arrêter une guerre parce-que des mères pleurent ? L'on aurait donc dû arrêter la guerre de Canakkale ou celle de Dersim". Le mot est tombé, Dersim. Une ville kurde alévite martyrisée en 1937 pour cause de soulèvement : bombardements (la "fille" d'Atatürk faisait office de pilote), pendaisons, déportation. Une riposte disproportionnée.



Selon Son Excellence, il faudrait donc revenir aux bonnes vieilles méthodes. C'est un diplomate, le Sieur. Un homme bien élevé, en théorie. Il parle bien le français, raffiné, il devrait donc être. Mais, non, c'est celui-là même qui avait poussé jadis la Turquie aux préparatifs de guerre contre la Grèce pour une question de propriété d'une île inhabitée, Kardak. Un diplomate va-t-en guerre. Bill Clinton se marre toujours lorsqu'il se rappelle cet épisode...

Canan Arıtman est la plus dangereuse car paranoïaque. La "chienne de garde" de la République turque, comme on le sait. Celle qui insultait le Président de la République pour ses origines supposées arméniennes. Evidemment, l'on avait compris à cette occasion qu'il lui manquait quelques cases mais le Chef Baykal n'ayant jamais voulu lui montrer la porte, elle continue sereinement son mandat. Voilà donc sa nouvelle lubie : intenter une action en justice contre la femme du Président de la République et celle du Premier ministre. Motif : elles sont voilées et ternissent donc l'image de la femme turque. Une dame qui a la haine du voile; le voile, la soumission de la femme. Une meurtrissure. Une femme de combat. Les gestes de ce type me paraissent anormaux et je suis toujours étonné que cela ne soulève pas des tempêtes d'indignation dans la presse turque; le peuple, on a compris, n'est pas très à l'aise avec les manifestations, il a peur des représailles, mais les intellectuels, les penseurs devraient être unanimes pour condamner cette dame. Car c'est une pensée maladive, pathologique. Mais au contraire, la contamination se poursuit : l'on apprend ainsi qu'une association de femmes d'affaires turques en visite à Strasbourg s'est pliée à un drôle d'exercice; elles auraient littéralement harcelé leurs hôtes français pour qu'ils les croient : "on vous jure, chez nous, les femmes ne portent pas de niqab, nous sommes modernes, croyez-nous, s'te plaît !"... Le complexe. Toute cette psychologie découle du complexe. L'élite turc est profondément bling-bling, "sonradan görme" dirait le Turc; aucune noblesse.


La paranoïa, comme on le sait, est une maladie. Il faut alors consulter. Le CHP pour sa part, n'en croit pas une miette, il a donc intégré tous les paranoïaques dans ses rangs. Pour ma part, je n'arrive toujours à comprendre comment on peut, dans la Turquie contemporaine, voter pour des fascistes. Le parti d'Atatürk est devenu un parti fasciste. Il suffit de fermer les yeux et d'imaginer ce que serait le pays si cette engeance tient le gouvernail; imaginer dis-je car seule l'imagination nous permet de les voir au pouvoir. Heureusement, cela dit. Hafazanallah. Le parti de Mustafa Kemal me fait peur. Salut ô Géant !

lundi 9 novembre 2009

Sexologique

C'est donc décidé; les potaches anglais vont apprendre les méandres de la vie sexuelle. Ou plutôt les moyens de faire la chose sans engrosser leurs copines. C'est qu'ils ne savent pas comment s'y prendre; résultat : beaucoup d'adolescentes enceintes et donc beaucoup d'avortements. Détresse donc avortement, comme on le sait. Bêtise donc avortement, comme on l'a compris. C'est comme ça. L'irresponsabilité portée aux nues.


L'on apprend à l'occasion que devant le Royaume-Uni en matière de taux de grossesse des adolescentes, se bousculent le Mexique, la Turquie et les Etats-Unis. Et l'adolescente consciente, toujours aussi sérieuse et impeccable, c'est la Néerlandaise. Evidemment. Ils sont comme ça les Néerlandais, Danois, Suédois, Norvégiens et Finlandais; toujours des modèles. Evidemment, ce n'est pas que les éphèbes et minettes néerlandais soient prudes; que nenni ! C'est qu'à l'école, on leur apprend des choses; ils peuvent ensuite se déniaiser en toute sérénité. Pas de grossesse, pas de détresse et naturellement pas d'avortement. La panacée. D'ailleurs, les maîtresses, nous dit-on, n'y vont pas par quatre chemins : "bon, écoutez bande de sauvageons, vos parents vous mentent, ce ne sont pas les cigognes qui vous déposent dans les berceaux; ils font comme ça, ouvrez la page 47 et admirez vos parents !", "j'ai honte Maîtresse", "t'as pas le droit mon cochon ! Le ministère nous l'impose : ouvre bien les yeux, après c'est la sécu qui paie les avortements que tu vas occasionner un jour ou l'autre", "bah nan, moi je veux être prêtre","bah tant mieux, t'en auras autant besoin"...

S'il y a bien une création qui passionne les hommes, c'est la femme. La mère, la soeur, la copine, la femme, la fille, la petite-fille. On les aime, c'est comme ça. Ca tombe bien, elles aussi. D'ailleurs, les hommes préféreraient papoter avec des femmes plutôt que boire des bières avec leurs poteaux; les experts nous l'apprennent. L'homme peut donc être romantique; parler avec une femme. Comme une copine. Sans rien attendre en retour. Ca tombe bien, les femmes adorent raconter leur vie; et celle des autres. Et elles pinaillent toujours, c'est un fait : il faut réciter le chapelet plusieurs fois par jour : "Ouais c'est vrai, haha, bon bah maintenant, on va passer...", "attend, redis-le moi que tu m'aimes","je ne peux pas faire sans toi", "mais encore ?", "tu es la femme de ma vie", "ouais...", "la mère de mes enfants"... Et l'homme n'avouera jamais, évidemment. Quoique. On n'a pas vu plus coulant qu'un homme en rut. C'est l'occasion rêvée pour lui arracher de la bouche, amour, émeraude, et autres objets de valeur.

Les sondages, enquêtes, recherches scientifiques nous apprennent à nous connaître davantage. Ainsi, il avait été demandé aux femmes de bien vouloir nous avouer ce qu'elles pensent des hommes qui fréquentent leur plumards. Les Allemands sont les pires des amants; ils puent, nous apprend le sondage. Rien que ça ! Les Anglais, en deuxième position, seraient trop paresseux. Si la paresse, c'est être un des pays où le taux de grossesse des adolescentes est le plus élevé, on ne peut que dire "elhamdulillah". On n'arrive pas à imaginer leur position si les Anglais étaient moins indolents... Les Suédois sont trop rapides, les Hollandais rustres (pas tant que ça, ils sont champions en matière de savoir-faire), les Américains dominateurs, les Grecs trop sentimentaux, les Gallois trop égoïstes, les Ecossais trop gueulards, les Turcs trop suants et les Russes trop poilus. Des Russes poilus ! La meilleure... La palme revient aux Latins : Espagnols, Brésiliens, Italiens, Français suivis par les Irlandais, Sud-Africains, Australiens, Zélandais, Danois et Canadiens. Un Nordique pour mari, un Latin pour amant devrait faire l'affaire. Les canons de la beauté ne peuvent être identiques pour tout le monde. Mais la performance au lit est beaucoup plus objective et c'est toujours les femmes que l'on interroge pour balancer sur leurs amants.

Evidemment, les autorités religieuses se sont immédiatement dressées contre ce projet; elles préfèrent vanter le mariage et l'abstinence pré-nuptiale, deux archaïsmes. Mais la religion n'est-elle pas le pôle par excellence de l'archaïsme dans nos sociétés modernes ? Et les Français adorent montrer à chaque occasion qu'ils se sont sécularisés; les enfants issus de parents non mariés représentent 52 % des naissances. "Mais on s'aime, c'est l'essentiel nan ?". Bien sûr. D'ailleurs, mariage signifie paperasses, délais, procédures, régime matrimonial, éventuellement divorce. Et les curés ne sont pas contents, "ne forniquez pas, venez !", "bah nan, la France est laïque et elle le restera !", "mais c'est quoi le rapport ?", "on s'en fout du rapport, je récite ma leçon"...


Evidemment, l'éducation sexuelle est une nécessité. Comme ma mémoire visuelle est excellente, comme par hasard, je me souviens toujours d'un cours relatif à ce sujet quand j'étais en CM2 ! Une maîtresse en train de nous expliquer l'organe masculin, gênée aux entournures, les garçons regardant ailleurs, les filles les yeux fixés sur nous plus que sur les diapositives. Le sentiment de honte. Il faudra apprendre ce sentiment aussi dans les écoles. Avoir honte, balbutier, être gêné, etc. Ca serait utile. Education sexuelle, c'est bien. Education morale en rab, ça serait mieux. Mais bon, un autre archaïsme. Le fléau des temps modernes, c'est qu'on ne sait plus rougir. "Mais on se libère, arrête de pleurer, regarde ma mère, elle me met des préservatifs dans ma sacoche, c'est moderne non ?", "bah oui, tu as raison, moi je pense même qu'il faut abolir l'interdiction de l'inceste, après tout, c'est qui qui nous l'a imposée, hein ?"


Les temps modernes : un seul démon suffit pour dévisser les plus fermes fondations. L'essentiel, ce n'est pas de réprimer les idées pernicieuses, c'est d'éviter leur éclosion dans l'esprit humain. Une fois que les plus viles pulsions sont titillées, elles finissent par devenir légitimes. Si bien que l'on en vient à tourner des films pornographiques mettant en scène deux frères jumeaux ou encore, préparez les sacs de vomissement, un père et son fils ou une mère et son fils !!! Mais le paradigme ne change pas: il faut comprimer sa légitime indignation de peur de passer pour rétrograde. Il est impérieux d'être rétrograde ! Wallâhi...

vendredi 6 novembre 2009

De l'identité nationale


Nous sommes donc à la recherche des piliers de l'édifice national; c'est que les élections régionales approchent, on a donc un besoin pressant d'étreindre les valeurs qui font la France. C'est connu, notre classe politique ne prend au sérieux les Le Pen qu'à l'approche des élections; ça tombe bien, le contexte est particulièrement morose, il fallait donc faire papoter la masse, histoire de faire un peu de "démocratie participative". Et Marine Le Pen d'aller frapper à la porte de l'Elysée, "ouvrez, c'est moi, la prêtresse des questions d'identité, je viens vous donner les définitions, allez !", "euh, Monsieur le Président ne croyait enclencher que la phase traditionnelle de palabres sur l'identité, une tradition liée à la période électorale", "ah, mince alors, bon bah j'vais crier ailleurs","oui oui, c'est ça...". Ca sent le rance.



Le Ministre de l'identité nationale, celui qui sans doute est un des meilleurs parleurs du Gouvernement, veut que les Français planchent sur la question; "allez, sortez les tablettes et appliquez-vous; premièrement, les définitions, deuxièmement, les exceptions, et bourrez bien la catégorie exceptions, haha". C'est que lui-même s'est lancé : il faut, nous a-t-il enseigné, commencer par avoir "le culte de la République". C'est donc bien parti...



Evidemment, les réponses se bousculent. Tant mieux. D'autres, comme les socialistes (sauf Ségolène Royal), préfèrent bouder; c'est que la Nation est un sujet qui n'enflamme pas les hommes de gauche modernes. Dites "République", ce sont les premiers à compter les cervelles à sauver, mais les discussions sur la Nation, l'Ordre, la Sécurité, etc. ne relèvent plus vraiment de leur intérêt depuis l'affaire Dreyfus. Des thématiques de droite.



En réalité, l'identité de la France est déjà connue; elle est même couchée par écrit; notre Constitution ne cite-t-elle pas des mots ô combien ronflants du type Liberté, Egalité, Fraternité. Pour ma part, je préfère la première phrase du préambule : "Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004".




D'ailleurs, on est en droit de s'interroger : est-il légitime de parler d'une identité "nationale" au sens politique du terme ? Une identité française, une identité turque, une identité américaine, une norvégienne, une afghane. L'Homme n'a-t-il pas une égale dignité partout ? Des valeurs universelles, éternelles, intangibles n'existent-elles pas ? Beaucoup de théorie. Trop d'abstraction. L'identité de la France, son mérite, à mon sens, c'est d'avoir pu universaliser sa préoccupation, les droits de l'Homme. Evidemment, les identités culturelles sont différentes; et tant mieux. Des civilisations existent. Les traditions, la morale, la gastronomie, la bienséance, etc.; mais ce n'est que le volet culturel, le reste ne peut être relatif à la localité; l'on ne devrait pas estimer que dans certains coins de notre planète, les atteintes à la dignité des femmes relèvent d'une conception "nationale" des droits de l'Homme. L'Immortel Claude Lévi-Strauss ne l'avait-il pas dit : différence et universalité ne sont pas, au fond, des antagonismes; le fameux structuralisme.


La France, c'est donc le respect des droits de l'Homme, la culture scientifique, littéraire, artistique, la protection des opprimés et le défenseur de la Dignité. Un phare dans le monde. Ce n'est pas un pays où l'on en vient à renvoyer en correctionnel un ancien Président de la République pour, excusez du peu, détournement de fonds publics, un pays où l'on minimise les propos racistes d'un Ministre de l'Intérieur, un pays où l'on est tenté de légiférer sur les habits des gens, un pays où l'on en vient à renvoyer en Afghanistan des étrangers en situation irrégulière, contrée où règne la terreur (d'ailleurs, le ministère français des affaires étrangères l'a tellement bien compris qu'il déconseille de s'y rendre et l'ONU s'apprête, de son côté, à rapatrier quelques centaines de ses membres), un pays où le nom d'origine étrangère entraîne fichage, discrimination, suspicion, un pays où l'on perd sa dignité à peine posé le pied sur le seuil de la prison, etc.



La France prend les airs d'une princesse descendue de son plein gré au marché du coin mais qui refuse néanmoins de saluer toute la "gueusaille" qui l'entoure; une incapacité structurelle à s'adapter. Un problème congénital avec l'altérité. A-t-elle des outils, une mentalité, une expérience pour changer ? Difficile de répondre par l'affirmative; il lui manque la quintessence : l'expérience de la tolérance. Et la formule "Black-Blanc-Beur" n'est restée qu'un slogan enserré dans le seul domaine sportif.


Il faut donc discuter, nous dit le Gouvernement. Fouiller les cartons. Mais une identité ne se décrète pas, on le sait aussi; celle-ci a besoin d'être partagée par le corps social. Une identité qui ne laisse personne au milieu du gué. Le défi est ailleurs, en réalité; la vérité est que les concepts n'ont jamais réussi à changer le regard des autres. Il ne suffit pas de dire que la France est la patrie des droits de l'Homme pour que ses habitants se transforment illico presto en enfants de choeur. C'est la mentalité des gens qu'il faut changer. La normativité n'est d'aucun secours. On devrait surtout rechercher un nouveau regard; casser des atomes, en somme. Bon courage !

vendredi 30 octobre 2009

Epilogue ?

"Un bout de papier" avait juré le Général Başbuğ; la Turquie entière était accrochée à ses lèvres; il était question d'un document supposé préparé par un officier de la marine et destiné à enflammer la Turquie. Le but était clair : affaiblir le Gouvernement et finalement le démissionner. Mettre fin à la "dictature" du "régime AKP", nécessairement fasciste-islamiste-terroriste-despotique. L'Armée. Sa messianité est clairement admise par certains kémalistes...


C'est rassurant, cela dit. Les militaires veillent; la République ne saurait somnoler. La démocratie, peu importe; un parent pauvre; on l'aime bien mais elle est mineure, seconde par rapport à la République. Ca tombe bien, la soldatesque ne cache pas sa "naturelle stature" dans son activité de patronage. Elle a déjà un "casier judiciaire" assez gribouillé dans ce domaine, elhamdulillah.


L'on était à la recherche de ce document; c'est que l'on avait déjà une photocopie mais le droit est ce qu'il est, il fallait prouver l'authenticité de la signature. Personne n'avait réussi à le faire; le Général s'était donc crispé devant les journalistes : "je vous l'ai dit, bande de contre-révolutionnaires, l'Armée ne fomente plus des troubles, c'est un bout de papier sans valeur, regarde caaaart...". Malgré toute leur bonne volonté, les experts n'avaient rien trouvé : la véracité de la signature de l'officier-zoro n'a pu être attestée. Pas de flagrance.


Or désormais, on sait que ce document n'est pas un faux; un vaillant soldat, une taupe disent déjà les kémalistes, a "balancé"; l'honneur, cela s'appelle; et l'amour de la Patrie. La loyauté au gouvernement démocratiquement élu. "Arrête de dire des bobards, c'est les Américains qui les ont placés ici, tu le sais !", "moi je dirais même les Juifs", "ouais c'est ça, les Fethullahçi aussi j'pense"...


Les soldats ont donc rechuté dans ce qu'ils savent faire le mieux : chasser des gouvernements. Par la stratégie de la tension, quelques assassinats de chefs alévites, quelques pisse-copie sommés de déblatérer autant que faire se peut contre le gouvernement, quelques munitions placées dans les établissements des "Fethullahçi", etc. Une bonne stratégie. Perspicacité d'un militaire. Rappelons que cet officier zélé est un "docteur", il a écrit une thèse de doctorat. Un homme intelligent, en somme. Quoique. L'on sait comment les universités turques distribuent les titres de "docteur" aux militaires, il suffit de frapper à la porte pour qu'un professeur les accueille les bras ouverts; "je suis à vos ordres mon caporal !"...


Pourtant les services de l'Armée auraient fait des heures supplémentaires pour "nettoyer" les archives. Des autodafés. Des sacs de documents auraient ainsi été détruits pour ne pas qu'ils passent aux mains de l'ennemi, la justice turque. D'ailleurs, sa première réaction a été révélatrice, "p'tain, comment vous avez fait pour trouver ?"... Grâce à une taupe. Le tragi-comique dans cette affaire, c'est que certains journalistes entichés de l'ordre militaire ne cachent plus leur déshonneur : "euh... ben... et tiens d'abord, pourquoi la taupe en question parle maintenant ? Hein ? Dites-le ? Quel est son but ? Qui le pousse ? Pourquoi était-il resté silencieux pendant tout ce temps ?", "mais c'est un détail ça, et sur le fond alors ?","nan, bah nan, moi je suis procédurier...". D'accord. Noyer le scandale dans le superfétatoire. "Détailliser" le schproum. Comme pour l'affaire de l'Ergenekon. Des journalistes.


C'est que les lumières de l'état-major restent allumées jusqu'à tard dans la nuit, nous dit-on. Les généraux sont en conclave, "bon alors, qu'est-ce qu'on fait ?", "on a qu'à faire un coup d'état !", "nan nan, c'est démodé, proposez autre chose","euh, on fait sauter l'état-major", "mais arrête de déconner vieux, qui va mourir pour ces cons","bon bah, on trouve un lampiste et on ferme le dossier", "génial !". On a donc trouvé l'annonce officielle : "j'te jure, le chef d'état-major, lui, ne savait pas","c'est ça ouais !", "bah nan hein, c'est vrai, pfff", "la preuve ?", "ma parole", "et ben on n'est pas sorti de l'auberge"... La parole du militaire ne vaut plus un kopeck, malheureux.


Il est sans doute bon de rappeler qu'un militaire ne sert qu'à une chose dans un pays, garder les frontières. Faire la guerre quand on lui demande, faire la paix quand on lui ordonne. En Turquie, il sert surtout à donner les grandes orientations de la politique. C'est comme ça. Toujours le même refrain, "s'il vous plaît, ne critiquez pas l'armée, sinon les souris dansent". Il faut aimer l'armée. Sinon, tout saute. "La bonne piété, à l'ancienne, solidement assise sur la terreur" (Jean-Paul Sartre).


Evidemment, les politiciens font semblant de s'indigner; le très kémaliste Baykal, un homme de gauche comme on le sait, est de ceux qui pinaillent sur l'identité, la motivation de la taupe; les ministres en général jettent le manche après la cognée, "encore !"; le Premier ministre dit des choses classiques qui commencent par des louanges aux militaires et qui se terminent par la même détermination à lutter contre ceux qui veulent s'en prendre à l'ordre démocratique. Fait remarquable, certains demandent la démission du Général en chef; une option, effectivement. Soit il était au courant et c'est une infraction, soit il ne l'était pas et c'est une faute. Il avait promis d'en tirer toutes les conséquences; espérons que ça ne va pas se résumer à briser la vie de la seule taupe...

samedi 24 octobre 2009

Ritournelle

Vendredi 23 octobre. 9h30. CNRS. Journée d'étude du Groupe d'étudiants et de jeunes chercheurs sur la laïcité, la liberté de religion et le droit des minorités. J'en suis un des membres. Un groupe créé en 2008 sous la direction de Mme Valentine ZUBER, enseignante à l'EPHE.


Encore et toujours, la laïcité. Nous, les "jeunes", qui présentions nos travaux et deux sommités, Jean Baubérot et Pierre-Jean Luizard. M. Baubérot était arrivé assez remonté; c'est que son audition à la "mission d'information sur le voile intégral", l'avant-veille, s'était mal passée. En visionnant la séance, on comprend. Certains députés sont mal à l'aise face au spécialiste de la laïcité; d'autres ont l'air très ignares sur les faits historiques relatifs à la naissance de la laïcité en France. Dommage pour la Nation que d'avoir de tels représentants. Evidemment "Monsieur le Président" n'a rien perdu de sa verve; le très laïque André Gérin. Et l'on note au passage que les spécialistes de la langue de bois que sont les députés face aux caméras, ont en réalité des difficultés à parler correctement la langue française. Certains sont franchement lourds; l'on croirait des maquignons en train de débattre entre eux ou des charretiers réunis dans un bistrot...


Le "Président" Gérin était sur la défensive; tellement que finalement on a rien compris de l'audition. "Je pense que vous devez élargir le champ de votre analyse aux discriminations qui alimentent les replis communautaires" a voulu signifier l' "intellectuel Baubérot", forcément déconnecté de la réalité. Et de s'entendre dire, "oh mais toi de toute façon, t'es un universitaire, tu ne comprends rien à la réalité des faits, allez..." Et j'ai eu presque honte d'entendre dire à un sociologue qu'il était déconnecté des réalités et qu'il versait dans le phébus. C'est comme dire à un professeur de droit qu'il ne lit pas les arrêts qu'il est censé commenter !


La proposition était censée, pourtant. Mais la réponse a giclé, "bon ça va hein, on sait ce qu'on fait !" On se demande si les députés n'ont pas formé cette "mission" non pas pour s'informer mais pour entendre des cris, compter les larmes, écouter des plaintes capables d'étayer leur "naturelle orientation" vers une loi d'interdiction. 367 cas, avaient dit les services de l'Etat. On a l'impression en écoutant certains des membres yeux écarquillés, joues en feu, que la "barbarie" a investi notre pays. On se souvient de l'attitude fort gauche de certains qui forcaient la main au "représentant" des musulmans de France; ça avait tourné au ridicule, "allez dites-le, c'est de l'intégrisme", "je dirais que c'est une lecture très contestée et minoritaire","on s'en fout, dis-nous que c'est l'étendard des intégristes", "je dis, Messieurs, que c'est une lecture qui doit être combattue mais sur un strict plan théologique, alors permettez-nous...", "ouais mais regarde coco, Tantawi est clair, lui !", "d'accord, mais le principe, c'est la liberté, donc on n'impose rien sur le plan théologique", "ouais mais bon, pfff, tu nous aides pas mon brave, dis ce qu'on veut entendre, regarde, franchement les jeunes filles qui sont harnachées dès l'enfance"...


En effet, l'islam l'impose : à l'échelle individuelle, les versets ne tombent réellement du Ciel qu'une fois que l'on jouit de la raison. L'ode à la raison. Mais les parents n'ont-ils plus le droit d'éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ?


Une députée s'acharnait à faire croire à l'assistance que voir le visage de son interlocuteur dans la rue, le métro et sur la place du marché était une "liberté"... Une autre voulait absolument entendre l'expression "manipulation de l'esprit" pour qualifier la situation dans laquelle se trouvent les femmes en niqab. Et rappelait-elle, la France a une loi contre les sectes; une législatrice soit dit en passant. Une loi sur les sectes ! Elle a voulu sans doute dire contre les "dérives sectaires" ce qui, juridiquement, n'est pas exactement la même chose. Et très chère n'a toujours pas saisi que toute religion est une manipulation, une "illusion" disait Freud... Ce sont des députés qui parlent, ce n'est pas un sketch. Voilà le niveau.


Bref, la République est jalouse de l'islam; car il est plus attirant qu'elle. Et elle n'arrive pas à comprendre. Comment peut-on préférer la soumission, la privation, le formalisme à la liberté, l'émancipation, l'égalité ? A la fin de ma communication, un "juriste" m'a reproché de considérer le droit comme étant essentiellement "utilitariste". Mon tort était d'avoir dit : "la laïcité juridique, ce n'est ni l'émancipation des esprits ni l'égalité des sexes". Un philosophe, un historien, un sociologue, j'aurais compris; un juriste. Le droit devrait donc postuler des modes de vie, défendre des idéologies. Ce n'est pas ma conception du droit et encore moins de la laïcité juridique.


La laïcité est un principe juridique, c'est tout. L'islam, c'est un principe de vie. Le choix est vite fait. Ca serait dommage de provoquer un bras de fer. Le "vivre-ensemble" est une exigence et un concept religieux; toutes les religions condamnent les vies solitaires pour les laïcs (dans le sens premier du terme). Paradoxalement, la République a repris ce terme; serait-elle devenue religion ? Ce n'est pas anodin si de nos jours, on essaie de réhabiliter la Fraternité. Et moi je suis libéral, je suis individualiste et la marginalité des uns ne me préoccupe pas le moins du monde. Je suis même un "fondamentaliste de la laïcité", partisan du retour aux fondements de la laïcité juridique libérale, c'est dire...

Je t'aime, moi non plus...

Les Azéris font la moue. Ils sont mécontents. Fielleux. Ils en veulent aux Turcs, les soi-disant frères. "Allez, déchirez les protocoles, ne rigolez pas, revenez pleurer avec nous, on est seuls, vous êtes nos frères !". Les Turcs de leur côté en étaient déjà à la danse du ventre, "oh oh yandan, çalkala ayol"...


Les Azéris ont donc mûrement réfléchi pour les mesures de rétorsion; alors, des drapeaux ont été baissés ici ou là, le Bien-Aimé Aliev s'est rappelé brusquement qu'il accordait du gaz à ses frères turcs à prix cassé et qu'il fallait, évidemment, y mettre fin...


La Turquie, héritière de l'Empire ottoman, aime à être magnanime de temps en temps. Alors, lorsque l'Arménie gesticula trop en 1993, la Turquie soutint moralement l'Azarbaïdjan en fermant sa frontière et en rompant ses relations diplomatiques avec l'Arménie. Les Azéris, des "oghouzes"; rien à voir avec les Kazakhs. Bref, de la solidarité, cela s'appelait. Une faveur. "Fermez les frontières, on va étouffer les Arméniens, haha"... Le très génial Demirel avait pris cette décision; celui qui, aujourd'hui, n'arrive toujours pas à prendre sa retraite. "Allez pose-moi des questions, j'ai envie de parler !"," mais Monsieur le Président, vous commencez franchement à dire n'importe quoi, vous vous êtes éloigné de la ligne Menderes, on n'arrive plus à vous prendre au sérieux", "hier c'était hier, aujourd'hui, c'est aujourd'hui"...


En réalité, il ne faut jamais accorder de faveur. On se rappelle les sultans ottomans et les capitulations. Le Grand Ottoman, le Seigneur de l'époque, jetait à la figure de ses voisins européens des "capitulations". "Pleure pas, tiens, je t'aime bien". Et après, l'empire vieillissant, ces privilèges firent office de baïonnettes dans la main de ces ingrats. La nature humaine.


D'ailleurs, les Azéris ne bronchent que contre les Turcs; car, faut-il le rappeler, Russie et Iran qui sont comme culs et chemises avec l'Arménie, n'attirent aucunement les foudres du régime azéri. "Eux, c'est pas pareille, vous, vous êtes de la famille". Bon. Il faut les comprendre, cela dit. L'obstination des Turcs permettait aux Azéris d'avoir des arguments. Un aveu, en réalité. L'on aura compris que les autocrates père et fils sont incompétents pour régler leur problème. Ils comptent sur la Turquie. Qui, elle, n'est pas l'ONU et qui a également des intérêts nationaux à privilégier; Davutoğlu ahane, Monsieur n'est pas content. D'ailleurs, les Turcs ont eux-mêmes demandé à leur cousin Kazakh, "mais comment oses-tu devenir un partenaire stratégique de la France, t'as pas honte de nous narguer ?,", "euh... bah... c'est que... c'est pour votre bien frérot, je t'expliquerai, hadi canım"...


"Que l'on peut s'en battre", aurait dit un homme forcément mal éduqué. Les diplomates sont polis, eux. Ils essaient donc de chercher des mots moins brutaux. Ils veulent la réconciliation. Ils ont raison, faut-il se détacher d'un frère si important, si fidèle, si cohérent; un frangin qui, faut-il le rappeler, n'a toujours pas reconnu Chypre... La Turquie continue à être magnanime, en dépit des lâchetés. Tout à son honneur.