dimanche 30 novembre 2008

De ira : nil mirum !

Et voilà un nouveau bain de sang au nom de l'islam. Des attaques, des morts, des blessés, des familles foudroyées, des pleurs, du sang, etc... L'indignation est, évidemment, de mise. Alors, on répète inlassablement que ce terrorisme ne peut avoir le qualificatif musulman, que ces gens-là ont sans doute des motivations religieuses légitimes mais que les moyens et la méthode n'ont rien d'islamiques. "Ca tombe bien, on parle d'islamistes de toute façon !".

Les Indiens tournent mécaniquement la tête vers les Pakistanais; "avoue ou j'te bute !", "mais, ce n'est pas nous, ce sont les terroristes", "c'est ce que je dis"... Au moment où l'on apprend que les services secrets pakistanais vont se calmer, ça ressemble à un baroud d'honneur. Toujours cette ronceraie : le Cachemire; un poison britannique. Le successeur du Général "fired", le "Widower" Asif Ali Zardari jure, on veut le croire mais il n'a jamais été enclin à dire la vérité, on doute. Et on se rappelle ses sorties mielleuses depuis son accession, c'est un homme de la conciliation; il a même proposé de fournir de l'aide aux inspecteurs indiens en leur envoyant son chef des services secrets; ce dernier a admirablement toussé, on n'a plus insisté.

Or, tout le monde connaît la source de ces "tragédies" : le sort des musulmans et le conflit israélo-palestinien. Un autre poison britannique. J'ai l'impression que connaître l'histoire de la Grande-Bretagne suffit amplement à comprendre l'histoire de la planète. Un sentiment. Elle est partout : aux Etats-Unis, au Canada, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique. De l'esprit jusqu'au bout des ongles.

Tiens, voilà qu'encore une fois, des fanatiques portent atteinte au droit de propriété des Palestiniens. "On veut restaurer l'antique Israël". Les autorités font semblant de s'intéresser à la détresse des Palestiniens, on nous rappelle que c'est une période électorale, qu'il faut modérer, nuancer les propos, qu'il faut patienter encore un peu. La Cour suprême pond des décisions honorables de sorte que les "résistants juifs" redoublent de hargne. Olmert sur le départ se trouve des c... au c... La raison se sent disqualifiée quand l'interlocuteur oppose un argument historique : la persuasion contre la fixité mentale, l'explication contre le dogmatisme. Les Juifs sont divisés, et comment ! Certains sont pro-nazis (la Patrouille 36), d'autres antisionistes (les Haredim), d'autres encore rêvent d'Eretz Israël, on ne s'en sort plus.

Et les musulmans trinquent encore une fois; ce n'est pas une formule de style, on le sent concrètement : un jour, alors que je marchais tranquillement dans la rue, un exploit, un "type" m'accosta et me demanda si j'avais un lien de parenté avec Ben Laden; "comment ?", "vous ressemblez à Ben Laden avec votre barbe, j'chai pas moi, l'habit ne fait pas le moine"... Ayant compris que lui-même n'avait sans doute pas saisi le sens de l'expression qu'il utilisait, je m'éloignai. Etre pris pour un juif ou un Libanais, je ne m'en offusquais plus, mais la possibilité d'être confronté à une telle bêtise, je l'avoue, je n'y avais jamais pensé. Et la barbe que je porte devient alors, instinctivement, un signe de protestation et de solidarité. Je l'ai mauvaise.

Les poudres ont été disséminés par ceux-là mêmes qui s'indignent les premiers; "c'est du passé, vieux, passe à autre chose". Apportez de l'espérance, vous qui entrez; c'est un cercle vicieux : les musulmans pourchassent les terroristes qui salissent la Religion, les terroristes tuent les Occidentaux qui ont semé toutes les discordes imaginables par l'Homme, les Occidentaux se méfient des musulmans qui réclament dignité et respect. Ils les butent, on les rebute, ils nous imputent; il l'avait si bien dit pourtant le Président Chirac en 2004; à fouetter le sang : "La communauté internationale doit se rassembler pour lutter contre le terrorisme de toutes ses forces et sans relâche. Mais soyons lucides. Nous devons aussi nous rassembler pour mettre un terme aux conflits qui alimentent la colère et la frustration des peuples, pour lutter contre la misère, l’humiliation et l’injustice qui sont des terreaux de la violence. Nous devons choisir l’espoir, la solidarité, le dialogue et notamment le dialogue des cultures contre la prétendue fatalité d’un choc des civilisations." On attend, comme une fleur. Fiat Justitia...

vendredi 21 novembre 2008

Misère que misère !

La perspective des élections révèle toujours des bizarreries; les politiciens accordent alors des exceptions à leurs grands principes, font des déclarations attrappe-tout si bien que le citoyen, déjà empêtré dans les prospectus-fleuves, n'arrive plus à faire un choix. C'est sans doute un des rares moments où les partis politiques défenestrent certains pans de leurs idéologies.


Deniz Baykal, le président du CHP (parti officiellement de gauche), nous a, encore une fois, fait montre d'une élasticité politique digne d'être enseignée dans les Instituts d'études politiques; il a agrafé la rosette du Parti aux nouveaux adhérents; rien d'extraordinaire, même si de nos jours, les gens ne se bousculent pas trop. Il s'agissait, en l'occurence, de femmes voilées et mieux encore (ou pis encore), de femmes portant ce que l'on appelle le "çarşaf" c'est-à-dire le voile intégral avec la seule ouverture au niveau des yeux ! Le CHP, le parti qui s'est démené pour faire annuler l'autorisation du port du foulard dans les universités, le parti qui boycotte les soirées au palais présidentiel parce-que la Première Dame est précisément voilée, ce parti, delta historique des laïcistes, a ouvert ses adhésions aux femmes de cet acabit.


Canan Arıtman, une députée de ce parti, avait même osé : "mes chères soeurs, enlevez vos voiles et libérez-vous !". Une autre, Nur Serter, ancienne vice-présidente de la prestigieuse université d'Istanbul, avait également dit des choses : "le voile marginalise la femme, il la refoule"...


Bien sûr, il faut tempérer l'événement; à un journaliste qui lui demandait s'il allait cesser de s'opposer aux voilées dans les campus, il a rétorqué avec la célérité d'un idéologue pris en défaut : "ah ça, coco, jamais"... Il faut donc se pencher sur les subtilités; selon sa classification, il y aurait donc des femmes en "çarşaf" qui seraient simplement conservatrices mais pas réactionnaires. Parmi celles-ci, il y aurait celles qui veulent porter leurs voiles dans les universités; la réponse est alors claire : NON. Pas de voile dans les "nids du savoir et de la science". "Nous acceptons toutes les pauvres d'esprit; seules elles, peuvent se voiler"... Voilà donc le message en substance. Bienvenue aux "techniciennes de surface", aux "paysannes", aux "ouvrières". Il les appelle "mutaassıp"; bien sûr, Baykal connaît les mots, c'est sans doute l'un des plus doués parmi les hommes politiques. Mais les dictionnaires ne mentent pas quand même : mutaassıp = borné, fanatique, obtus. Chassez le naturel, il revient au galop...


D'ailleurs, les contestations au sein du parti commencent à poindre; "si elles entrent, moi je sors !"; un pas en avant deux pas en arrière. Les chroniqueurs "républicanistes" pleurent : "toi aussi ! Porte une calotte en dentelle et crie "ALLAH est grand" pendant que tu y es !". On n'est pas habitués.


Le mari de la femme voilée a mis les points sur les i : "chers amis, certes ce n'était pas une mise en scène, mais j'dois rappeler que dans ma conception de la vie, la femme ne doit pas trop se mettre en avant, elle doit préparer le futur, quoi de mieux donc que de pondre et d'élever la marmaille". Bon vent !


Mais les félicitations et les auto-satisfactions pleuvent aussi : "T'as vu, comme on est tolérant ! Et toi, misérable AKPiste, est-ce que tu peux ouvrir les portes de ton parti aux gays ?". Voilà donc une bonne interrogation proportionnée. Le MHP (parti de droite nationaliste) a dû faire des concessions aussi : "et nous, nous reconnaissons le fait alévite !". Oui mais encore ? "Ta gueule". "Bon au moins, dans l'apparence, ils délaissent le kémalisme de garde-robe, allez déride un peu !". Les journalistes conservateurs sont déjà ailleurs : "allez, c'est pesé, la prochaine je vote pour toi".


Les simples citoyens savent rougir, eux. Ils savent faire la part des choses aussi. Toutes les analyses politiques le montrent : il n'y a pas électeur plus réfléchi que le citoyen turc. Il braille, proteste, insulte mais retrouve la raison dans l'isoloir. C'est bien de poser les boucliers; allez, encore un peu de sincérité : mouchetez vos lances et on avisera.

mardi 18 novembre 2008

Eléphants, lions, rossards, caméléons...

Comment ne pas soupirer ? Même Edouard Balladur se désole; un parti qui se déchire à nouveau, nous dit-on. Après Rennes en 1990, Reims en 2008. Les noms ont changé, la problématique reste la même : conservatisme contre "aventure". Jadis, Jospin ne voulait pas d'un parti de "supporteurs", chéri par Fabius; aujourd'hui, Aubry veut garder un parti de militants. Pas d'américanisation à outrance.


On n'y comprend pas grand chose; "Ségo" serait honnie de l'appareil, "Martine" pourrait compter sur Delanoë tout en sachant que la moitié de ses soutiens seraient des hollandistes en froid avec les fabusiens qui eux-mêmes sont derrière elle ! Il y a aussi les strauss-kahniens et les hamoniens.


Les gens de la droite s'esclaffent, Bayrou tend la perche, Besancenot ignore le manège alors que les Verts essaient hardiment de s'intéresser à leur propre congrès tout en ayant un oeil chez le voisin. Et en Allemagne, un Allemand d'origine turque prend la co-présidence du parti écologiste. Elle est donc là, la solution : la codirection. Deux secrétaires au Parti socialiste ! Comme une insulte. "Allez viens, on fait une coalition, tu me soutiens, et je te soutiens", "d'accord mais tu ne la soutiens pas, hein !", "d'accord mais elle ne doit pas te soutenir hein !"...


Jack Lang, bien sûr, salue "l'esprit de sacrifice" du Maire de Paris; lui-même était passé par là en 2007. L'intérêt du Parti, voilà un domaine où il n'a pas à rougir. Les "quadras" poussent aussi : Arnaud Montebourg toujours aussi tonitruant, Vincent Peillon toujours correct, Emmanuel Valls qui s'embellit à mesure que son ambition gonfle, rappellent inlassablement l'âge de Barack Obama. Pierre Moscovici qui voulait éviter le choc des écuries se justifie comme il peut, on ne comprend rien.


Il faut rafistoler, c'est sûr; d'ailleurs, ça se sent : les qualificatifs baroques s'empilent : rénovateurs, reconstructeurs (ah que c'est moche !). On connaît les raisons de la cacophonie : la présidentialisation du régime. Il faut avoir un secrétaire présidentiable, un candidat clair, préparé; or, il était de coutume jusqu'alors de faire durer le suspens. "Les militants désigneront notre candidat pour 2012, ne bousculons rien". Entre-temps, réfléchir sur la substance serait un passe-temps; "tu bronches !"...


L'UMP est tenue d'une main de fer; Nicolas Sarkozy s'intéresse à tout, nomme les secrétaires adjoints et guette l'occasion de débarquer Devedjian qui, tout dévoué, attend l'heure où il troquera son tablier actuel contre un ministère. Dati serait partante, Patrick rêve de ce ministère, ça tombe bien. Mais les UMPistes doivent dénoncer la situation qui s'enlise au Parti socialiste, c'est leur rôle aussi et ils s'amusent : "aujourd'hui, le PS est un "quatre quart "qui exclut de se retrouver sur une ligne commune, qui est même en désaccord sur l'essentiel et qui se fait l'idée qu'il va être dirigé par l'une des quatre minorités. Les trois autres s'apprêtant à rentrer dans l'opposition interne et larvée. Monsieur MELENCHON a déjà pris la fuite et d'autres vont suivre". Au MODEM, les choses sont semblables : Bayrou trône, Sarnez tient les quelques membres. Au FN, on s'occupe des purges et des autels, pas le temps de papoter.


Bien sûr les conflits au sein d'un parti politique n'ont rien de surprenant et de scandaleux, c'est la "vivacité interne" en terme poli; et il faut un Chef, pas de doute. C'est un peu comme chez les Chiites, on attend le Chef disparu, celui qui vaincra "Sarko" et annoncera l'avènement d'une société plus juste et plus humaine. Blabla. Si ils veulent trouver un Chef, il faut changer de parti, celui du PS n'a jamais eu l'intention de partir : "Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas". "Encore lui !", "bah oui, vieux, il a hanté, il hante, il hantera"... Une question d'étoffe.


Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, y a-t-il plus bel alexandrin dans la poésie politique française ?

samedi 15 novembre 2008

"Nation ethnographique"

Nous voilà repartis à la quête de la Nation turque; les propos se suivent et se ressemblent. Les indignations et les protestations s'ensuivent et se ressemblent.

Tayyip Erdoğan, Premier ministre turc de plus en plus nationaliste à mesure que les élections municipales approchent, a lancé aux Kurdes qui s'agitent : "un seul drapeau, un seul peuple, un seul Etat; celui qui refuse ce triptyque peut s'en aller". Allez oust ! Promouvant ainsi, sans le vouloir bien sûr, l'idée d'un Kurdistan. Ein Volk, ein Staat, eine Fahne.

Il fut un temps où les laïcistes invitaient Erdoğan et ses affidés passéistes vers la sortie : "si vous n'êtes pas contents, montez vos chameaux et allez où vous voulez". L'ancien Président de la République, Süleyman Demirel, celui-là même qui vient de la mouvance démocrate mais qui glisse à gauche à chaque fois qu'il ouvre la bouche, avait même osé : "les filles voilées qui veulent étudier peuvent toujours partir en Arabie Saoudite"... C'est donc une tradition : quand vous insupportez, on vous montre la porte. Ca s'appelle une Nation.

Le ministre de la défense dont personne n'arrive toujours pas à comprendre comment il meuble son temps, lui aussi, s'est lancé : "regarde, comme on est bien entre nous, heureusement que l'on a fait les transferts de population jadis, les Grecs chez eux, les Arméniens à l'au-delà, on est bien, hein ? Sans les giaours, hein ? Allez, viens que j't'embrasse". On les a spoliés et on a bien fait. L'argument est connu en France : les Juifs ont tout, ils dirigent la finance et l'industrie donc la politique et le monde. Le Ministre Vecdi Gönül a donc déblatéré contre les Levantins : "ils avaient toutes les richesses, on a bien fait; vraiment, je suis fier". Atatürk aussi l'avait avoué, il voulait un Etat national ethniquement et culturellement uni (“ırken ve kültürce türdeş ve birleşik"). Mais il n'a pas à s'en inquiéter. Ca s'oubliera. Et on se souvient alors de Nariaki Nakayama, ministre japonais des transports et du tourisme qui a dû quitter son poste quatre jours après sa nomination pour avoir dit : "nous, mes petits, on n'aime pas les étrangers, donc en tant que ministre du tourisme, je vais tout faire pour réduire le nombre de touristes; on est un pays homogène aussi, on est bien entre nous"...

La faute aux Alliés; ils avaient estimé que l'homogénéité serait mieux pour l'avenir. Le traité de Lausanne : 500 000 Musulmans vivant en Grèce postés en Turquie et 1 500 000 Orthodoxes vivant en Turquie replantés en Grèce. "Vous avez fait la Turquie, maintenant vous devez faire des Turcs" a dû souffler Azeglio...

Les Grecs se réjouissent de cette bourde ministérielle : "il a avoué le salaud, qu'ils ont fait une épuration ethnique !", "mais non, il s'ennuie dans son ministère, le chef d'état-major n'est pas son subordonné hiérarchique, ayez pitié de lui". Ce Vecdi Gönül, ancien préfet, ancien Président de la Cour des comptes était pressenti pour la Présidence de la République à la place d'Abdullah Gül. La raison ? C'est un type effacé et surtout sa femme n'est pas voilée. Et quand je pense que je le soutenais...

Une journaliste enrage : "on s'est tiré une balle dans le pied en les virant, les minorités; ils formaient notre Occidental intérieur"; les minorités étant perçues comme le moteur de l'occidentalisation de l'empire ottoman : industrie, commerce, littérature, habillement, musique, architecture, journalisme, enseignement supérieur et même la première imprimerie à Istanbul en 1490 établie par des Juifs.

Et voilà aussi les Alévis manifester; pour la première fois dans l'histoire relèvent les analystes, ils manifestent pour une cause communautariste. Ils ont raison, ils veulent échapper aux cours de sunnisme dans les écoles (malgré les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme et du Conseil d'Etat turc), ils veulent une reconnaissance de leurs lieux de prières, les "cemevleri", ("maisons de rassemblement") : "mais vous dansez là-dedans !", "mais non c'est notre culture et notre manière d'exprimer notre foi", "tais-toi, hérétique, dans l'islam, on ne danse pas dans les lieux de prière; si vous dansez, ce n'est donc pas un lieu de prière". Syllogisme imparable. Le Directeur des affaires religieuses tousse, comme à son habitude, "on vous aime". Et le gouvernement envisagerait de créer une "direction chargée de la question des Alévis". Enfin.

Les Kurdes sont déjà mécontents; d'ailleurs on leur a rappelé pendant longtemps que la kurdicité n'existait pas : "mais non, vous êtes nos Highlanders !"; depuis, ils veulent l'indépendance ou l'autonomie ou le fédéralisme, on ne sait plus. Le Patriarche Bartholomée a toujours les yeux embués, on ne fait plus attention... Les journalistes se bousculent pour expier la maladresse : "Aramızda zaten seyrek kalmış gayrimüslim unsurlarımız, Bakan'ın sözüne üzülmesinler; azlığın görüşüdür" (A. Turan Alkan). "Ne vous en faites pas chères minorités, les propos du Ministre reflètent la position d'une minorité"... Joli calembour.

C'est un pays comme ça. Un pays où le journal équivalent au Monde, Hürriyet (Liberté) énonce dans sa première page "la Turquie est aux Turcs". Le néo-ottomanisme est en vogue en ce moment dans la politique extérieure turque : on essaie d'intercéder entre la Syrie et Israël, le Premier ministre propose déjà à Obama de l'adouber pour s'entremettre entre les Etats-Unis et l'Iran. Et en plus, nous voilà au Conseil de sécurité. Le néo-ottomanisme, belle approche, mais on devrait aussi l'appliquer en politique intérieure. Vive le communautarisme à la Charles Taylor !

lundi 10 novembre 2008

Atatürk

Encore ? Bah oui. Aujourd'hui, je voulais me rendre au Consulat turc pour régler un problème de service militaire qui s'éternise et qui, en réalité, commence à me gonfler. Mais j'ai changé d'avis; on ne sait jamais, c'est sans douté fermé. Nous commémorons aujourd'hui la 70è année de la mort de Mustafa Kemal. Et demain, c'est le 11 novembre, les fonctionnaires du Consulat doivent faire, à coup sûr, le pont. Ils travaillent déjà beaucoup : tous les jours de 9h à 12h...

Il est une coutume : l'Eternel étant mort à 9h05, les sirènes retentissent, les gens s'arrêtent, où qu'ils soient, quoi qu'ils fassent (heureusement qu'il n'est pas mort la nuit) et enclenchent un embyon de réflexion sur le Sauveur de la Nation.

Ces temps-ci, un film fait jaser; il montrerait les derniers instants de Mustafa Kemal; rien de très grave, mais le hic est qu'il le montre dégradé, affaibli, alcoolique, diminué, comme un vieillard lambda en train de mourir. Les discussions sur sa nature ont donc repris de plus belle : les monophysites, les nestoriens et les ariens se crêpent le chignon. Comme de coutume. Deniz Baykal, le président du CHP (parti fondé par Atatürk) n'était pas content : "comment l'as-tu montré comme ça, misérable, vendu !", "mais c'est la réalité des faits, il est mort ainsi", "on s'en fout de la réalité, enjolive, qu'il meure en odeur de sainteté, réécris le scénario !"... Dans un pays où les syndicats retrouvent haleine devant le mausolée d'Atatürk lorsqu'ils n'arrivent pas à infléchir la politique gouvernementale et où les malheureux prennent en otage ses statues pour obtenir réponse à leurs doléances, on ne s'indigne même plus. C'est vrai que la Nature ne nous aide pas; il est une scène que personne n'arrive à expliquer et qui, je reconnais, m'intrigue fortement. Tous les ans, entre le 15 juin et le 15 juillet, à Ardahan, on voit cette image :




Sa silhouette. Sans raison apparente. Le Ciel s'y met aussi. Comment ne pas l'adorer.
On aime bien discuter sur Atatürk; sans doute, un des hommes les plus complexes : certains s'attellent à analyser sa psychologie, d'autres examinent les annotations qu'il a pu placer sur les livres qu'il a lus pour retracer son parcours intellectuel, d'autres réécrivent des séquences, etc. Ainsi, on apprend qu'il ne serait pas mort d'une cirrhose mais bel et bien d'un cancer. Un héros alcoolique n'est pas joyeux, il faut le reconnaître. D'autres tressent des débilités : "ouais d'accord, il buvait mais tu sais pourquoi ? Hein ? Allez demande que j'te réponde !", "Pourquoi ,", "Parce-qu'il n'arrivait pas à dormir et toc !"...

Il y a aussi les extrémistes anti-kémalistes. Des bêtes. Ils ne savent pas trop ce qu'ils disent d'ailleurs, quand vous tendez l'oreille. Deux mots sur trois sonnent faux. Mais bon, chacun son par-coeur. "C'était un dictateur, dis-le", "un révolutionnaire oui", "dictateur !", "peut-être". Un jour, un enfant, niaisement, lui aurait posé cette question : "M. le Président, on dit de vous que vous êtes un dictateur ?"; "mais si je l'étais, mon petit, tu n'aurais pas pu me poser cette question". D'accord, il voulait à tout prix moderniser la population : chapeau occidental, musique classique imposée aux paysans (ce qui en soi n'est pas incompatible mais bon); contrairement à l'histoire officielle, il n'a jamais poussé les femmes à enlever leurs voiles. Le cerveau importait plus : sapere aude !

En réalité, ce sont les démocrates qui ont déifié Atatürk; le parti démocrate, celui qui était au pouvoir entre 1950 et 1960 contre le CHP. Etrange. D'ailleurs, aujourd'hui, cette dichotomie existe toujours : les familles sont démocrates ou républicaines (CHP= parti républicain du peuple). Un peu comme aux Etats-Unis. Les républicains d'aujourd'hui sont plus la queue de Robespierre que celle d'Atatürk mais bon. Ils ne le savent pas. Ou ils le savent mieux que quiconque.
Les démocrates ont donc été les premiers à "légaliser" le culte de Mustafa Kemal. C'est le zèle des gênés : quand on vous suspecte d'anti-kémalisme, eh bien, ma foi, vous faites des lois pour essayer d'apaiser. Bustes, portraits dans les administrations et loi de juillet 1951 portant sur l'interdiction de porter atteinte à la mémoire d'Atatürk (loi concoctée par le juriste en chef de la République turque, l'Allemand Ernst E. Hirsch). D'ailleurs, le CHP, toujours mécontent, s'était opposé à cette loi; avec un argument toujours "capilotracté" : "nous demandons la démission du gouvernement, si on en est venu à protéger Atatürk par la loi, c'est que sous ce gouvernement, les actions anti-kémalistes se sont multipliées"...

Pas très à l'aise avec les hagiographies, néanmoins gonflé du sentiment de reconnaissance, je livre des photos du Héros national. Dans tous ses états. Comme un être humain.

Certes il était visionnaire :





Il était un grand homme, moderne :







Il avait donc le droit d'être fier de son oeuvre :



Mais il était homme aussi; il dansait :





Il pouvait s'amuser :






Il lui arrivait même de se reposer :






Lui, le "Chef Eternel", mangeait à la bonne franquette aussi :




Comble de sa normalité, il lui arrivait de nager et de jouer au "tavla" (backgammon) :



Il ne dédaignait personne :







Atatürk et ses relations avec son beau-père, avec sa mère, Atatürk malade, Atatürk buveur, Atatürk voluptueux, enfin, un Homme que l'on aime. Certains gémissent ouvertement : "et le nimbe !". On préfère l'homme ordinaire, dont la hauteur de vue s'irradie dans les coeurs et les esprits, sans contrainte, sans obligation. N'a-t-il pas testé : "je ne vous laisse aucun verset, aucun dogme, je vous laisse en héritage la raison et la science". Il est tout de même étonnant que ses suiveurs patentés qui l'ont pétrifié dans son piédestal sont, parfois, au bord du délire dans leur raisonnement; mais bon, je le dis souvent, ils l'ont chipé, ils sont les "interprètes authentiques" et gare à celui qui ose. Interdiction du voile pour cause de kémalisme, interdiction des privatisations pour cause de kémalisme, interdiction de l'expression libre pour cause de kémalisme... "Le kémalisme, cette idéologie absurde d'un militaire immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies" ? Mais non voyons, trêve de semonces. Dors en paix, Mustafa Kemal; et pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils disent...

samedi 8 novembre 2008

Prosaïsme

Voilà donc que tout le monde se lance à la recherche de son "Obama". "Attends, je l'admire encore un peu", "mais viens, on cherche le nôtre, donne ton avis !", "c'est vrai ?", "bah oui, regarde, les candidats se bousculent, une véritable foire". Eva Morales a ouvert le bal des pâmoisons : "un Morales à la tête des Etats-Unis, youppi". Deux noms que l'histoire reçoit sans broncher : Morales et Obama. Lula da Silva essaie aussi de s'aventurer, "un socialiste, ouais !"... Se dire sorti de la cuisse de Obama, le nouveau brevet. Tiens Medvedev aussi argumente : "mais euh, moi aussi je suis jeune, beau et prof de droit".

En France, on ne sait pas pourquoi mais les yeux se tournent, mécaniquement, vers le Parti socialiste, "allez, Malek, explique-leur notre formidable politique"; l'UMP ne s'en excuse même pas, ils n'ont jamais rien promis : "nous sommes une nation une et indivisible, pas de sections chez nous", "Black-Blanc-Beur, c'était quoi alors ?", "une blague, mon poulain, tu ne l'as pas encore compris depuis"... Et ils ont Rachida; et Rama et même Fadela. Nommées mais bon. Mais ils ont Nicolas Sarkozy. Le "fils d'immigré". Alors, les privautés rejaillissent, "c'est un copain Barack, regarde, on se donne des tapes", Angela Merkel soupire, elle en avait assez de ses petites mains pianotant sans arrêt sur son dos.

Alors, on redéballe tous les débats, dissertations, riottes rouillés; c'est reparti pour les soucis des "afro-français", des jeunes des banlieues, on ressert la diversité, la discrimination positive cependant que les jeunes diplômés des cités jurent de donner du bec et de l'aile pour s'imposer.

En Turquie, pays des rêveries par excellence, on ne se sent pas trop préoccupé. Le Premier ministre Tayyip Erdogan est déjà un Obama; le porte-parole des religieux, des laissés-pour-compte, des demi-sels, des miséreux; de la "vile multitude". Et que dire des Présidents de la République : sur onze, on a eu trois kurdes (Ismet Inönü, Cemal Gürsel, Turgut Özal), un laze (Cevdet Sunay) et deux caucasiens (Fahri Korutürk et Ahmet Necdet Sezer). Un Pays d'Obamas.

On l'aura compris, la problématique n'est pas la même : en France et en Turquie, ce n'est pas l'ethnie qui met mal à l'aise, c'est la religion. Un Musulman en France et un Alévi en Turquie, voilà la révolution... Le problème, en France, c'est que les fils d'immigrés ne se sentent pas culturellement Français; ils ne peuvent donc prétendre politiquement à quoi que ce soit.

On déplore souvent l'inaction des Turcs dans la vie politique française par rapport à la réussite des mêmes en Allemagne : maires, députés, conseillers municipaux à foison. C'est vrai. Et je m'époumonne à rappeler sans cesse que l'Allemagne ce n'est pas la France, que la France a un autre air, que c'est le pays des baronnies, des écuries, du conservatisme, de l'immobilisme. La France est gérée par une clique d'héritiers. Pas de place; plus de place. "Trouve-toi un protecteur", "ah bon, c'est comme ça que ça se passe ?", "bien sûr, mon grand, il faut être introduit"... La politique est un métier, ni une mission ni un sacerdoce. On vient et on reste. Et si le peuple a le malheur de vous débarquer ou que l'on ne vous trouve plus de fauteuil, on vous nomme ambassadeur à la FAO, président de l'Institut du monde arabe, président de la Croix-Rouge. Le système des arrangements. Il faut donc introduire le non-renouvellement des mandats. Unique solution. Tout le monde y passe.

Bref, on a d'abord besoin d'un Martin Luther King avant d'avoir droit à un Obama. Yes we can but over there not here.

mercredi 5 novembre 2008

"Rejoice ! Rejoice ! Obama has come"

Alors que les Français en sont toujours au comptage des "beurettes" du Sénat, les Etats-Uniens ont décidé de tourner radicalement une page de l'Histoire. La démocratie américaine s'est enfin débarrassée de ses haillons. On les aime bien, tout compte fait. Ce sont les sénateurs de la planète. Ils ont bien voté. Ils l'ont élu : Barack (ou Bouraq) Hussein Obama.





C'est comme un réflexe; on est content. Et on ne se sent pas dans l'obligation d'en égrener les raisons. Notre Français est plus que ravi; c'est le premier à lui avoir accordé une juste importance. "C'est moi qui l'ai déniché !". Les Américains se jettent des fleurs, "On est vraiment Grands". Les Kényans aussi exultent, le semeur vient de chez eux. Nous avons tous été, pendant un court moment, les fidèles du Temple américain. Adieu démocratie tavelée...


C'est le changement de philosophie qui nous réjouit; la couleur de sa peau, son formidable tempérament, sa belle rhétorique devraient, par essence, être secondaires. Mais au regard de l'histoire des Etats-Unis, c'est une révolution. Tout le monde est content : les humanistes, les financiers, les peuples, les dirigeants. Et son éloquence ! C'est un poète nous disent les analystes. Contre Bush, McCain et Palin, il n'y a pas photo.


Mais le fond est là pour au moins quatre ans; les idéologues néo-conservateurs seront définitivement débarqués. Voici donc le nouveau paradigme : multilatéralisme. Chacun sa place, chacun digne de donner son avis, chacun une place. Bush s'en va. La Mission est terminée; et comme toute mission qui se prétend inspirée, elle a été un fiasco.

Les Européens qui ont profité de l'inertie américaine, se sont déclarés nouvelle puissance sur la scène internationale. Alors le multilatéralisme tombe bien à propos. Et voilà que l'Union pour la Méditerranée démarre aussi, avec des incidents bien sûr, notamment sur le nombre de pages du rapport, le nombre de secrétaires généraux adjoints, etc. Et les religieux musulmans et catholiques prient ensemble au Vatican. Belle journée.

On attend donc le changement; chacun a son interprétation du "changement" : le Hamas voit dans ce mot un soutien à la cause palestinienne, le Soudan espère perdre le qualificatif de "terroriste", Hugo Chavez rêve d'une nouvelle impulsion dans les "relations bilatérales", l'Iran espère continuer ses sombres activités sans plus de remous, etc. "bah, il l'a dit, hein, changement, moi c'est ce que j'comprends"...


On a sans aucun doute participé au renversement; nos indignations et vexations face aux déviances lèse-démocratie les ont ramenés à de meilleurs sentiments. Ils voulaient redorer leur blason. On a l'air de venir en cure-dents, tout confus, mais on est à notre place; on veut participer à l'étreinte universelle. Allez...

Dvorak - Symphony No. 9 "The New World"

samedi 1 novembre 2008

Présidences

Les Coréens du Nord rouspètent. Ils ne sont pas contents. Ils en veulent notamment au Japon; un pays dont le Premier ministre n'hésite pas à violer le secret médical de leur guide, Kim Jong-il. "Pourquoi tu balances ?", "Je dis la vérité", "connait pas"... Et que dire des frères d'en-bas ? Ils inondent le Nord de tracts démoralisants. "Pfff et vous êtes des frères !"...


Il serait hospitalisé mais jouirait toujours de toutes ses fâcheuses capacités à prendre des décisions. Il est vivant, le "nain immonde". D'ailleurs les spécialistes nous plombent le moral : sa mort ne changera rien. Ce dynaste n'est pas un tendre; sa vie sentimentale est une autre saga.

On ne le voit plus en public depuis quelque temps; dans un pays où il est coutume d'enclencher illico presto des mouvements de bassin en l'honneur de chaque toussotement du "Cher dirigeant", il est insupportable de ne plus avoir de signes de vie. Et comme la sincère attente de ses ouailles chaut peu à la direction, on ne sait plus rien. On attend. Chacun a ses désirs. Espérance de vie, espérance de mort. Il était content pourtant. Les Etats-Unis venaient de l'enlever de cette fameuse liste; celle qui recense les "Etats soutenant le terrorisme"; un marchandage l'en a extrait. L'Union européenne préfère suivre de loin; à part les droits de l'Homme, elle n'a pas véritablement d'intérêt. Et les droits de l'Homme, voilà quoi. On apprend que la France n'a même pas de relations diplomatiques avec ce pays. Alors on s'enferre dans ce qui est le plus sûr : l'expectative.

Un autre despote en herbe, nous disent certains au sujet de Abdelaziz Bouteflika. Il fait les yeux doux aux parlementaires; la Constitution lui interdit un troisième mandat. Qu'à cela ne tienne : les parlementaires ont déjà tout arrangé; ils ont le compas dans l'oeil, c'est le candidat idéal. Alors, Abdelaziz reprend confiance et nous déclame une leçon de démocratie : "le peuple doit avoir le droit de choisir ses gouvernants". Pourquoi rappeler une évidence ? "Arrête de calomnier, c'est un homme intègre", c'est vrai. D'ailleurs, j'ai toujours été opposé à la limitation du mandat présidentiel. Même en France, dorénavant, on ne pourra plus avoir que des "Présidents décennaux", c'est rond, ça sonne bien mais non. Le Peuple doit pouvoir se balader dans le futur et dans l'histoire avec l'Homme qu'il souhaite.

Un autre peuple qui ne sait plus manier la Constitution : les Palestiniens. On ne sait plus la date de l'élection présidentielle. "Comment ça se lit ça ?", "tourne-la j'te dis". Mahmoud Abbas qui est ravi de voir le Président tunisien Ben Ali "accepter" de se représenter en 2009, essaie de grappiller un an de plus. Théoriquement, le suffrage a lieu en janvier 2009. Mais il faut savoir lire une Constitution; ça ne se lit pas "comme ça". Et c'est parti pour les contorsions, "on préfère réunir présidentielle et législatives, c'est mieux techniquement", "ouais, c'est vrai, comment on fait du coup ? on rapproche les législatives ?", "mais non, blaireau, on reporte la présidentielle !". Alors que les Etats-Unis et Israël sont momentanément occupés, Abbas se rend à Damas recevoir l'onction avant que le Hamas élise "son" Président. Deux Présidents dans un Etat qui n'existe pas encore. La fitna.

L'élection qui a, le plus, une part d'universalité, c'est celle des Etats-Unis. Alors tout le monde se bouscule : les Européens préfèrent Obama; l'Iran et la Syrie aussi, "allez délivre une fatwa", "mais elle n'a pas force juridique là-bas", "on s'en fout, balance !". La Turquie préfère McCain; il est plus martial, plus strict, plus informé sur l'importance stratégique de la Turquie et donc moins porté à utiliser l'expression "génocide arménien"... Chacun ses critères. Al-Qaida aussi serait partisan du Vieux; c'est mieux entre virils. Les intellectuels sont ravis : l'élection de Barack Hussein Obama sera un "pas important vers une société où la race n'est plus autant un sujet de division qu'elle l'a été au cours de l'histoire américaine" (Eric Foner).

Des élections, il y en a en 2009 : Iran, Afghanistan, Israël, Allemagne, Parlement européen, etc. Dans certains pays, les élections sont perçues comme un espoir, l'occasion d'un changement de paradigme et dans d'autres, ça ressemble à présenter des noisettes à ceux qui n'ont plus de dents. Christophe Barbier dit de l'UE qu'elle est "habituée à la démocratie au point d'en bâiller". Une Europe rassasiée. Ca tombe bien, le baillement a la particularité d'être contagieux.