dimanche 25 janvier 2015

"J'étais Ahmed"

"Il est vrai qu'il ne faut pas réagir violemment mais si M. Gasbarri - l'organisateur du voyage en Asie au Vatican, présent à côté de lui - parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing, et c'est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision !". Bouhhh ! Le chef du "monde chrétien" n'était pas un Charlie. Le "mufti" de France, Dalil Boubakeur, lui, était en tête du cortège. Celui qui se démenait jadis pour faire condamner Charlie Hebdo était là, en fauteuil roulant, devant la pancarte "Nous sommes Charlie". A tel point qu'il débordait de la procession, devant les élus... 



Des musulmans avaient tué des athées ou agnostiques. La raison ? Ils avaient caricaturé le Prophète. A l'occasion, des juifs furent assassinés. La raison ? Ils étaient... juifs. Evidemment, tout être doué de raison condamna sans réserve. Comme qui dirait, l'offense commise contre le Prophète était l'affaire de Dieu. On ne tuait pas un être humain qui l'insultait. "La règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique ou religieuse voire raciste n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions; en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent" (Elisabeth Zoller). Belle conception américaine de la liberté d'expression...

Et la Cour européenne ne disait pas autre chose : "la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec ferveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance ou l'esprit d'ouverture, sans lesquels il n'y a pas de société démocratique"

Voilà pour le droit. On exigea des musulmans qu'ils arborassent des pancartes, histoire de démontrer qu'ils étaient "pleinement intégrés". Unanimisme oblige. Qu'ils pleurassent non seulement pour le massacre d'êtres humains mais également pour la violation du droit de dépriser leur Prophète. Et le chef de l'Etat n'hésita pas à "déconner" : les musulmans doivent se sentir "unis, protégés, respectés comme eux-mêmes doivent respecter la République". Comme eux-mêmes, les musulmans donc, devaient respecter la République ! Avaient-ils l'air de faire le contraire ? Son pote, Julien Dray, en rajouta une couche : "Quand une religion comme l'islam apparaît comme une composante majeure de la République, elle doit s'imprégner de la réalité de la société française". "Réalité" d'une société française dont 42 % pensaient qu'il fallait éviter de publier ce type de caricatures pour ne pas blesser les musulmans...

Assimilation, intégration, francisation, naturalisation, tout ce qu'on voulait. Un Français de religion musulmane aimait son Prophète plus qu'autre chose. Pour reprendre les termes de Waldeck-Rousseau, "le complot matériel" était certes un crime, mais "la conspiration morale", un droit... Le musulman avait le droit mais surtout le DEVOIR de bouder. "Lorsque vous entendez qu'on renie les versets (le Coran) d'Allah et qu'on s'en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu'à ce qu'ils entreprennent une autre conversation. Sinon, vous serez comme eux" (4, 140). Ou : "Quand tu vois ceux qui pataugent dans des discussions à propos de Nos versets, éloigne-toi d'eux jusqu'à ce qu'ils entament une autre discussion" (6, 68). Mais seulement bouder et s'éloigner pour revenir plus tard. Ni tuer, ni insulter, ni couper les ponts... 

"Charlie couvrait le Prophète de brocards. Un droit. Les musulmans pouvaient au plus respecter ce droit, pas défendre son contenu", avait éructé l'ami Muhayyel. Après tout, le blasphème n'était pas une infraction. C'était une simple question de politesse. Quand, dans la vie courante, on manquait de respect à quelqu'un, à un vieillard, à un gros, à un handicapé, l'indignation prévalait mais on ne courait pas devant le tribunal. C'étaient les "exigences minimales de la vie en société". Le vivre-ensemble, quoi. Ce concept qui existe dans toutes les bouches. D'ailleurs, le juge constitutionnel avait créé cette expression qui n'existe nulle part pour valider la violation de la liberté religieuse des femmes niqabées. "En France, c'est comme ça !", version juridique.

En France donc, c'était comme ça. Le niqab ? Une horreur puisque contraire aux "exigences minimales de la vie en société". Une liberté sacrifiée ? Tant pis. La paix sociale devait prévaloir. Le blasphème ? Une liberté. ("On peut tout dessiner, y compris un prophète parce qu'en France, pays de Voltaire et de l'irrévérence, on a le droit de se moquer de toutes les religions" dixit Christiane Taubira alors que l'offense au drapeau et à l'hymne national était punie). Les "exigences minimales de la vie en société" sacrifiées ? Tant pis. Le caprice des Français, des vrais Français, de ceux "qui vivent ensemble entre eux" devait prévaloir. Avec ça, on formait une Nation....

Un musulman n'était pas Charlie, il était Ahmed. Ahmed le policier, Ahmed le défenseur de la légalité. Et Ahmed le Prophète. Mettre mal à l'aise 5 millions d'individus chaque année, rien d'illégal. Mettre mal à l'aise 5 millions de concitoyens auxquels on demandait sans arrêt des marques d'allégeance à la République, une blague. Et Rama Yade d'en profiter : "Il faut commencer par cesser de renoncer à la laïcité. Comment a-t-on pu autoriser le port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires ?" (sic). Le rapport ? Autant que celui des propos qui dégoulinèrent de la bouche présidentielle...

Les musulman(e)s, encore victimes. L'un des leurs massacra. L'oumma trinqua. Encore au pourchas du voile... "Si j'ai bien compris, avança l'ami Muhayyel, la Nation française, c'est 'ceux qui vivent ensemble entre eux' moins les musulmans". Ils n'étaient bon qu'à produire des fous qui tuaient au nom d'Allah et qui les poussaient, eux les majoritaires, à tenir les lampes sépulcrales de l'islam. En sus, la République s'efforçait à les bouter hors du temple dont Ahmed semblait pourtant être un des piliers...   

Sami Yusuf - Supplication