lundi 26 mars 2012

Musulmans putatifs, musulmans abrasifs...

Un vendredi pas comme les autres, assurément. L'imam racontait des choses, comme à son habitude. Et au mépris de leur habituelle nonchalance, les ouailles écoutaient avec attention. Alertes, ils étaient. Pour une fois, peut-être. C'est que le "sabir ordinaire" devait bien aboutir sur "l'événement". Fumant de colère, ils voulaient entendre un son, un dépit, une condamnation. S'indigner ensemble. La sentence, armée de quelques versets, coula des lèvres : "l'islam ne tue pas, l'islam ne massacre pas, l'islam n'explose pas !". Ni emphase, ni atténuation.

Elhamdulillah, a-t-on envie de lâcher. Et si un cerveau brûlé avait tenté d'excuser l'horreur ? Si le plus exalté avait relevé les injustices commises, dans d'autres contrées, par les coreligionnaires des victimes pour tenter de justifier des choses indicibles ? Elhamdulillah, assurément. Voilà où nous avons abouti, on se met à appréhender les probables dérapages de nos frères spirituels ! Un drame dans le drame : c'est que les "islamistes" se disent, se croient, se sentent musulmans ! Un souvenir, celui de l'enfant innocent, prunelle des yeux, celui que tout le monde chérit à la maison, embua les yeux. "Des enfants étaient morts" et c'était tout. L'humanité tout entière a péri ("quiconque tue un innocent est considéré avoir tué l'humanité tout entière", Coran sourate 5, verset 32). Et personne ne s'est précipité pour pondre des réflexions techniques, froides, orientées, du genre à torturer l'âme de ces pitchouns...

"Déclassement social", "crise identitaire", "victimisation" : l'analyse des "sachants". Quel rapport ? a-t-on envie de brailler ! Le problème n'est pas social ni économique, le germe est malheureusement ailleurs : le craquèlement de la Communauté musulmane, la putréfaction intra-islamique. Des types qui accaparent l'islamité éclaboussent la religion. Il n'appartient pas aux autorités politiques de rendre des arbitrages, de s'auto-flageller. Il incombe aux musulmans de faire des purges. Fondamentalement, ce n'est pas une question de "République, école, laïcité" comme le glisse M. Valls, en bon laïcard. "A ce degré de violence, ça n'est pas le sujet" dixit plutôt M. Minc. Depuis quand justifie-t-on des atrocités par le désarroi social dans lequel se débattrait le coupable ? Pourquoi Breivik serait un malade pathologique et Mehra un pauvre hère ? Quelle est la logique, au fond, de malaxer un crime et les origines sociales de son auteur, sinon ajouter la lâcheté à l'horreur ?

Le levier premier est simple : une mauvaise lecture de l'islam et non une relégation sociale. L'idéologie et non le déclassement. La morbidité et non le ressentiment. Et aucun musulman ne devrait s'offusquer de cela car aucun musulman digne de ce nom ne saurait ressentir une quelconque proximité avec ces "monstres". Il doit lutter pour bouter hors de son champ mental, ce type de déviants. L'absorption des salafistes est une affaire de la Communauté musulmane, pas de la République; celle-ci ne peut qu'agir pénalement contre ceux qui débordent (répression) ou risquent de déborder (prévention, tout en respectant jusqu'à la plus extrême limite la liberté de conscience).

Islam anxiogène. Connais pas, personnellement. Ne l'imagine pas, au juste. Quand tout le monde voue aux gémonies un "Mohamed", eh ben on s'offusque, on se volcanise mais on finit par baisser la tête. Car la réalité est là : un "Celui qui est loué" ("Mouhammed" en arabe) a fini en "ennemi public numéro un". Il a souillé notre religion, notre Prophète et finalement notre honorabilité. Comme pour l'autre, le dam et rien d'autre...

lundi 12 mars 2012

Craquèlement

Il est une "coutume" que les musulmans qui viennent de se rencontrer, doivent respecter : non non, pas les salamalecs. Cette formule de salutation commence à concerner dorénavant tout le monde et plus spécifiquement les musulmans. Notre "coutume" est beaucoup plus doctorale et beaucoup moins quiète : il s'agit tout bonnement de s'écharper sur les prescriptions de la religion...

Celui qui a lu trois hadiths et deux sourates de plus prend les allures d'un puits de science, il lance des phrases toutes faites, chipées à droite à gauche et espère troubler l'esprit nécessairement étriqué de ses interlocuteurs. Celui qui préfère vivre aux crochets de la tradition sans se soucier de la réflexion primaire que demande toute adhésion à une doctrine, se dresse immédiatement sur ses ergots. Il rétorque à sa manière, en décochant tous les arcs que lui a préventivement procurés son maître (ou starets ou cheikh ou imam ou tout ce qu'on veut car, faut-il le rappeler, le bon musulman est avant tout un suiveur; qui a lu le Coran en entier, franchement, avant de se déclarer musulman ? Personne. Chacun suit un exégète et s'en contente). Enfin, dans ce groupe où le "docte" (l'avocat du diable, donc) et le conservateur se chamaillent, il y a toujours un tiers indécis; celui qui se range d'emblée aux côtés du conservateur avant de basculer, au fil de la discussion, vers les vues de l'hérésiarque et de revenir in fine sur ses premières pensées, au cas où, mais avec, à chaque fois, une conviction un peu plus entamée. Et ces trois types sont, en théorie, les adeptes d'une seule et même religion...

Dans ces moments précis, on a envie de compatir avec Dieu. Comment ne pas le faire, franchement ! Il en voit tellement des vertes et pas mûres qu'on ne peut s'empêcher de se figurer un dieu passablement mal à l'aise avec les scènes auxquelles il est témoin. Alors vas-y quand les femmes arabes de l'ère post-révolutionnaire supplient à leurs nouveaux gouvernants "islamistes" de ne pas appliquer la charia ! Des musulmans donc, demandent le plus sérieusement du monde, de ne pas transcrire dans les faits les prescriptions de leur Dieu auquel ils se disent pourtant très attachés ! Et ce n'est pas une simple revendication, il y a des larmes, des supplications, des avertissements, des peurs. Peur du Coran !

Évidemment, le benêt rétorquera : "t'as rien compris, dégage, ces femmes ne sont pas contre l'application de la charia, elles sont contre la notion même de charia, elles pensent que l'islam ne renferme pas de code juridique prêt à l'emploi !". Oui, ça, je le sais. Merci. Mais ce n'est pas ce point de vue qui m'intéresse. Je parle de Dieu. Une partie de ses créatures se déclarent contre l'application de son Livre sacré ! Car d'autres en ont monopolisé le sens ! Imaginons, des gens qui promeuvent l'inégalité entre les sexes, des types qui croient que couper des mains et des pieds relève de la normativité islamique passent pour ses plus fidèles lieutenants ! En somme, ils croient que dire à tout un peuple (par exemple tunisien), "allez, on revient en arrière, depuis 1956 on vit dans le péché !" est tout simplement une exigence de leur religion. Islam et réaction ! Le monde moderne a octroyé des droits aux femmes ? tant pis, Dieu veut la discrimination ! Le monde moderne a interdit tout traitement dégradant et les peines corporelles ? tant pis, Dieu veut la barbarie, des mains arrachées, des femmes lapidées !

Dieu veut, Dieu demande, Dieu impose... Dieu doit être gêné, c'est clair. Pour un sanguinaire, il passe, excusez du peu. Comment partage-t-on une même religion avec deux conceptions aussi radicalement opposées ? L'un dit "ferme application", l'autre dit "phénoménologie historique". Deux approches ou deux religions différentes ? Car ce n'est pas de la simple spéculation théologique qu'on peut faire bien au chaud, un verre de thé dans la main, des surligneurs et des tonnes de livres sous les yeux. On touche, là, à une notion fondamentale, la justice. Il ne peut y avoir de gris, c'est soit blanc soit noir. Soit la femme hérite moins que l'homme comme nous l'enseigne le Coran du VIIè siècle soit elle hérite au même niveau que lui comme nous l'ordonne l'esprit du Coran au XXIè siècle.

Si les femmes en sont toujours à des "appels pour la dignité et l'égalité" auprès de leurs gouvernements "islamistes", c'est qu'il faut pleurer. La religion révélée au Prophète pour, justement, rétablir la dignité et l'égalité, se voit rappeler à l'ordre, 14 siècles après ! Car elle est devenue le symbole de la barbarie et de l'injustice ! La conception de la justice du VIIè reste le modèle pour certains, comme si le cran n'avait pas été rehaussé depuis 14 siècles. Il faut être fixé une fois pour toute sur "notre" religion. Un des deux groupes a forcément tort. La déviation peut-elle continuer à demeurer une "des" conceptions de l'islam ? Une épuration est impérieuse. Une redéfinition de l'islam est nécessaire. Des démissions sont indispensables. Car quand mon soi-disant coreligionnaire défend la lapidation et le sang à tout prix, moi je ne comprends plus rien. Je suis de sa religion ? On s'est trompés quelque part. Nous ou eux. Il faut des excommunications, assurément.

Il s'avère que Dieu n'intervient plus depuis belle lurette et les savants ont dépouillé l'islam. Il ne reste plus que le "chacun pour soi" et le discernement. Le Prophète avait dit : "l'islam est né à l'étranger. Il finira comme il a commencé : en exil. Bienheureux sont ceux qui s'expatrient". S'expatrient dans leur for intérieur. Voilà la solution. La foi du charbonnier, les musulmans "culturels" et faussement conservateurs, par-dessus bord. Il nous faut des mystiques car comme le disait Ibn Arabi, "la Certitude jaillit des profondeurs du coeur". L'islam sera spirituel ou ne sera plus, en somme. Car on n'est plus dans les querelles d'exégèses ou dans les bienfaits de la pluralité, on est dans la recherche d'un dénominateur commun. Autant dire, au stade où il faut s'affoler...

dimanche 4 mars 2012

Forlignage

"Pourquoi l'agent ne me regarde même pas quand je lui dis bonjour ?" me demanda un ami. Et je venais de lui faire une dissertation, dans l'avion, sur l'hospitalité des Turcs. "Non, c'est rien, il est sans doute fatigué !". "Pourquoi le type a l'air si détaché quand je lui demande une info ?", s'enquit un autre. Et je venais de lui faire un exposé sur la serviabilité des Turcs. "Il a perdu sa mère, peut-être, qui sait !". "Les caissières font un travail forcé dans ce pays ?" m'interrogea un troisième. "Mais non voyons, celle que tu as vu avait la grippe, c'est tout !"...

Une question traversa les esprits, tel un éclair : la convivialité des Turcs, un mythe ? Ni le policier de l'aéroport ni l'agent du musée ni même le réceptionniste de l'hôtel ne surent tout simplement pas "accueillir". Et quand une dame quelque peu moderne, à qui il fut demandé de dresser son siège, refusa de le faire "parce-qu'elle voulait dormir", bah ma foi, toutes nos dissertations, explications, argumentations se consumèrent rapidement, pesamment. "Ah ! Le légendaire accueil, c'est donc ça !". Jamais plus de gnomorrhagie...

Je profitai de l'occasion pour "anathématiser" la République turque. Cette jeune fille était encore trop gauche; elle n'avait produit aucune culture de "savoir-vivre". Il lui manquait la délicatesse, cette qualité que son devancier avait porté au plus haut point. Je n'inventais rien, la République avait farci les esprits, envasé les agents. On ne savait plus se tenir, on ne savait plus agréer. Cette inélégance avait rejailli sur le corps social.

Par exemple, le patriarche de Constantinople, le primus inter pares, le "leader" spirituel des orthodoxes, "faisait escale" pour la première fois de l'histoire de la République, à l'assemblée nationale du pays. De son pays. Officiellement pour exposer ses propositions sur la future Constitution, officieusement pour délivrer ses marques d'allégeance à la Turquie. Excusez du peu mais ce n'était pas le métropolite de Sivas qui se déplaçait, c'était le Patriarche, alias Sa Sainteté ! Et aucune réception digne de ce nom ! Imaginons le Pape venir "honorer" le Parlement italien. Le nôtre vint comme un haut fonctionnaire convoqué par la représentation nationale pour dire des choses sur un projet de loi. Car ce qui manque était flagrant : la délicatesse.

Lorsque le Pape avait visité la Turquie, son "homologue", le grand mufti de Turquie (= président du Diyanet en langage bureaucratique), l'avait accueilli dans un bureau de 15 m², dépouillé de toute référence majestueuse dans un bâtiment sans envergure de la capitale tout aussi laide. C'est que les palais se trouvent à Istanbul et il eût été inenvisageable pour les culs-serrés de la bureaucratie turque de violer, pour une fois, leur règle qui consiste à accueillir les officiels à Ankara. Et il suffit de jeter un regard sur le "palais" présidentiel; une maison de campagne de couleur rose qui n'est au milieu de nulle part et qui ne scintille nullement. Le jour où le président de la République avait visité le Royaume-Uni, les journalistes s'étaient concentrés sur la tenue de celui-ci, avec une mentalité qui faisait presque rougir les lecteurs; le dirigeant d'un pays sans racine, sans gloire, sans tradition face à la Reine. Le sujet de la visite : le Président sait-il porté une queue-de-pie...

"Tam bir Osmanli kadini" disent les Turcs pour présenter une dame très distinguée, "une femme de culture ottomane". Et quand on entend, "Cumhuriyet kadini", "une fille de la République", on a presque pitié pour celle qui en est affublée. Car c'est une femme complexée, figée, aheurtée, imbue d'elle-même, pétrie d'idéologie suprémaciste. Cette gent vit essentiellement dans sa citadelle, la ville d'Izmir. Le bastion du CHP, évidemment. Comme le dit la blague, le jour où un vendeur à la criée pourra vendre une traduction kurde du Coran dans les rues d'Izmir, la Turquie sera un pays normalisé...

Et le comble fut vite venu; lorsqu'une "gitane" OFFRIT une rose à l'un d'entre nous avant d'en demander le prix, les bras nous en tombèrent... Un fiasco ? Non, assurément. Une découverte. Heureusement que la famille qui nous accueillit l'espace d'une soirée fut typiquement turque; les plats se suivirent, les sourires se multiplièrent, les marques de respect émurent. Et les "Français" oublièrent vite les déconvenues; mais la conclusion ne changea pas : la vie sociale turque est une chose, la vie personnelle des Turcs en est une autre. La prochaine fois, il faudra bien faire ce distinguo. Et lire des livres de sociologie (et de sexologie ?) car la question demeure : "Pourquoi l'agent ne me regarde même pas quand je lui dis bonjour" ?