jeudi 31 mars 2011

Responsabilité de... se ménager


Nous sommes donc fixés. Les Etats-Uniens sont en Libye, nous a annoncé le Président Obama, pour défendre leurs valeurs. D'accord, il a rajouté "et nos intérêts" mais les experts le jurent, c'était pour apprivoiser les républicains qui n'ont que faire des interventions humanitaires. La vie n'est que recette ou dépense, pour eux. Le Président devait donc absolument avancer un argument beaucoup plus massif, c'est-à-dire ahumain. D'ailleurs, les "craintes" n'ont pas tardé à émerger : "jure-le qu'tu vas pas nous aventurer dans d'autres contrées, y a plus de pognon, guy !".


Dennis McDonough, le conseiller diplomatique de l'Empereur, a mis les points sur les i : "Nous ne prenons pas de décision en fonction d'un précédent ou d'un souci de cohérence, mais sur ce qui avance le mieux nos intérêts". Voilà bien un diplomate qui sait manier la langue du peuple. Tout est clair, aucune nuance, aucune porte de sortie "au cas où". La realpolitik réduite à sa plus simple expression. Le saint patron de cette "conception", n'est autre que le Sieur Kissinger. Celui qui incarne le cynisme complet, flanqué quand même d'un prix Nobel. Celui qui, confronté à la question de la persécution des juifs (ses coreligionnaires) en URSS, disait le plus naturellement du monde, attention pour les estomacs sensibles : "And if they put Jews into gas chambers in the Soviet Union, it is not an American concern. Maybe a humanitarian concern"... Maybe...


Kissinger, un vieux de la vieille, pourtant. Celui que Golda Meir avait calmé en moins de deux; alors que cette dernière demandait à Kissinger d'honorer sa judéité et d'aider Israël, il répondit : "je suis d'abord Américain, ensuite Autrichien, enfin juif". Golda Meir, un cerveau puissant, rétorqua au tac-au-tac : "ça tombe bien, chez nous, on lit de droite à gauche !". Ouahhh ! Ah oui hein, ça existe les répliques célèbres. Mustafa Kemal, par exemple. Alors qu'il recevait un ambassadeur important et qu'il voulait lui démontrer le degré de modernité que son peuple avait atteint, le domestique turc renversa la boisson sur le convive; un geste qui glaça l'ambiance. Le servant, tête baissée, tout penaud, s'attendit à une remontrance publique. L'ambassadeur savourait ce moment de gêne. Atatürk lui lança : "Milletim herşeyi bilir de, bir uşaklığı bilmez", "Excellence, mon peuple est capable de tout sauf la domesticité", en jouant sur les deux sens du mot "uşak" signifiant à la fois "servant" et "laquais"...


On sauve donc des vies humaines. Et on pense à l'avenir, aussi. C'est précisément le métier d'un diplomate. Et nulle honte à retourner sa veste. Les intérêts de la Nation priment sur toute chose. La Turquie, par exemple. Elle a pris la sage habitude d'agencer son discours officiel aux variations du vent. Ben Ali s'est enfui ? Le ministre des affaires étrangères jure qu'il ne demandait que cela. Moubarak vacille ? Le Premier ministre dispense un cours de théologie, rappelant au vieux lion qu'il y a un au-delà et des comptes à rendre. Khaddafi massacre ses sujets ? Le Président de la République se targue de n'avoir jamais invité le Criminel en visite officielle. Heureusement, Ahmadinajad n'avait pas cligné des yeux, la diplomatie turque n'a pas eu à s'adapter... De même pour l'autre "frère", Bachar Al-Asad, occupé à passer l'éponge, mais rien de grave pour le moment. Pas besoin de dégainer les grands principes...


La diplomatie turque pouvait, pourtant, invoquer la "doctrine Sarkozy" et se reposer pour un bon moment. Celle-ci nous enseigne que l'ancien colonisateur ne doit pas se lancer à corps perdu dans la dénonciation des violations des droits de l'Homme dans ses anciennes dépendances. Histoire de ne pas donner des verges pour se faire fouetter, car la pratique démontre que ces dernières s'emparent immédiatement de l'occasion pour fustiger le "néocolonialisme". Eh bien, ça tombait à pic pour le Grand Turc : les révoltes éclatent en Algérie, en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie, au Yémen, en Jordanie et au Bahreïn. L'ancienne terre ottomane (les Turcs ne parlent jamais de colonies)...


Encore plus flagrant : la Turquie, comme on le sait, avait horreur du mot "Kurdistan". Non pas pour qualifier sa propre zone géographique (qu'on appelle, depuis la République, le Sud-Est) mais pour parler de l'espace irakien. Alors les diplomates s'éreintaient à imposer une expression précise : "le Nord de l'Iraq". Et sûrement pas, "l'Iraq du Nord". Nuance. Eh bien, on apprend que tout ce pinaillage n'est que du passé. C'est que les intérêts sont passés par-là. On l'a dit, les pépètes n'ont pas d'odeur. Si bien que le Premier ministre de la République de Turquie se rend officiellement au Kurdistan irakien pour inaugurer l'aéroport d'Erbil, construit par les entreprises turques. Barzani qui était, hier, "un coupeur de routes" est devenu entre-temps, "Monsieur le Président"...


On n'oublie point la France, évidemment. Le Président l'a énoncé de manière beaucoup plus relevée : "pour la France, ce qui se joue, ce sont les relations avec les pays arabes pour les décennies qui viennent". Certes, on avait raté le coche en Tunisie et quelques diplomates, usant de "pseudos", comme les adolescents, avaient dénoncé l'amateurisme de la France. Nous eûmes même une ministre des affaires étrangères qui avait honte de sortir à l'étranger. Et pour couronner le tout, notre ambassadeur en Tunisie, le bouillant Boris qui épate tous les arabisants de l'Inalco, avait piétiné tout ce qui faisait les "valeurs tunisiennes" rabrouant journalistes et exposant son magnifique corps. Il avait dû s'excuser.


Bon ça pouvait arriver les dérapages. On avait vu plus grossier. Tzipi Livni, la ministre israélienne, disait fièrement en 2007 : "je suis avocate mais je suis contre le droit, surtout le droit international !". On avait vu plus candide, aussi; le Tunisien, un diplomate de carrière, qui était tombé dans les bras de MAM à sa première visite en France : "c'était le rêve de ma vie de vous voir Madame, je suis comblé". Bah, il avait été remercié à peine le pied posé sur le sol tunisien... Et on vient de voir plus, comment dire, impardonnable : le chef de la diplomatie libyenne vient tout bonnement de fausser compagnie au Guide et de se réfugier au Royaume-Uni; ça ne s'invente pas...


Sous Nasser, l'ambassadeur de Turquie, Fuad Tugay, avait fait parler de lui, aussi. Il était marié à une princesse égyptienne et pas de bol, la famille régnante avait été expédiée en 1952. La presse, exacerbée par les autorités, se mit à colporter des rumeurs de mauvaise vie concernant sa femme, restée en Egypte en tant que Madame l'Ambassadrice. Eh bien Fuad Tugay ne s'est pas démonté, un jour que le corps diplomatique fût invité à une soirée, le Turc, pour protester contre ces insinuations qui pleuvaient sur sa femme-princesse, refusa de serrer la main à Nasser : "je ne serre la main qu'aux seuls gentlemen". Le show fut court, Son Excellence, déclaré illico "persona non grata", dut plier bagage et "payer" : expédié comme un bandit, il fut soigneusement fouillé à l'aéroport en violation de la tradition diplomatique. Il faut dire qu'il l'avait cherché...

Jadis, Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l'ONU, avait fait un rêve : "la question de l'action internationale doit se poser lorsque les États (...) contreviennent aux principes fondamentaux de la Charte et lorsque, loin d'être les protecteurs de la personne humaine, ils en deviennent les bourreaux". Mitterrand avait trouvé une bonne formule, aussi : "aucun Etat ne peut être tenu pour propriétaire des souffrances qu'il engendre ou qu'il abrite". Des prises de position très généreuses, comme on le constate. Tellement surréalistes qu'on a envie de continuer par un "et si nos intérêts en venaient à s'accorder avec ladite action, ça ne serait que pure fortuité"...




Point besoin de tirer des plans sur la comète; c'est cruel mais c'est ainsi : dans les relations internationales, les larmes se monnayent. Car les guerres, les mouchoirs, les pansements coûtent chers. Et chaque dirigeant jette d'abord un coup d'oeil sur l'état de ses finances et sur le "revenant-bon" de l'action humanitaire. Les considérations d'humanité sont mécaniquement tempérées par le cadre prosaïque des capacités et des espoirs de pétrole et de gaz de chacun. Car, on veut l'escamoter, mais le président d'un Etat doit penser à sa réélection. Et nous autres, citoyens de cet Etat, ne sommes pas si généreux qu'on voudrait le croire. La responsabilité de protéger et de se ménager. Rarement l'une sans l'autre. Tiens, l'Afrique du Sud par exemple, la locomotive de l'Union africaine, elle a béni l'intervention; alors que l'UA est partagée. C'est qu'elle rêve de chiper un siège de membre permanent au Conseil de sécurité... Et, pardon, pense d'abord aux victimes libyennes. Officiellement...

dimanche 20 mars 2011

Au malheureux fait confort d'avoir compagnie dans son sort

"Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale". "Nos compatriotes veulent choisir leur mode de vie, ils ne veulent pas qu'on leur impose un mode de vie".


Voilà ce qu'en pense Monsieur le ministre de l'Intérieur. Alias, le cardinal Guéant. Avec un peu de retard, il rejoint enfin son collègue d'outre-Rhin qui avait dit des choses semblables mais de manière plus franche : "L'islam n'appartient pas à l'Allemagne". Le nôtre opte pour un langage diplomatique : "à force d'immigration incontrôlée". On a l'impression que Monsieur le Ministre de la République française parle des "boat people" qui déferlèrent sur le sud de la France avec boubous et voiles, cheveux crépus et barbes. Mais ça ne serait qu'une impression. Car le contexte n'orienterait pas vers cette interprétation.


M. Guéant voudrait signifier par-là, les musulmans. Il faudrait se mettre à la place d'un électeur du FN (que certains diffament en écrivant FHaine) pour comprendre la sentence. Le public visé devient alors, les immigrés et leurs descendants. Autrement dit, ces ouvriers qui furent appelés pour participer à la reconstruction de la France. C'est tout de même étrange car toutes les études montrent que les immigrés de la première génération se sont précisément fait un point d'honneur de rester discrets, histoire de ne pas bousculer la "cohésion nationale".


Monsieur le ministre ne parle pas de cette masse, non plus. Il parlerait de nous, des "descendants". Ce qu'il appelle "immigration incontrôlée" ne serait donc que les Français d'origine étrangère. Autrement dit, jusqu'à nouvel ordre, ses compatriotes. Lorsqu'on continue l'exégèse, on se rend compte que ce qu'il appelle "mode de vie" n'est rien d'autre que la religion de ces nouveaux Français. Et les pratiques qui s'imposent aux Français de souche, de culture catho-athée, ce sont les voiles, les barbes, les mosquées, des couleurs et des couleurs. Et "les robes longues", depuis peu... Les Français d'origine étrangère, donc. Ceux qui sont "communautariser" par un ministre de la République (toujours le même d'ailleurs, celui de l'Intérieur) et à qui on reproche ensuite d'entretenir un certain communautarisme. Bref, "l'altérité ne semble pas aller de soi pour ceux désignés comme "autres", en demande d'invisibilité et d'indifférence, à qui elle apparaît comme un moyen pour exclure du corps social, les empêchant de se fondre de façon individuelle et anonyme parmi les Français "normaux" par un effet de survisibilité négatif ou positif" (Leyla Arslan, Enfants d'Islam et de Marianne, p. 9).


Jadis, Nadine Morano avait déjà envoyé des messages : "le jeune musulman ne doit pas parler verlan et mettre sa casquette à l'envers". Pascal Clément aussi, avait dit une évidence : "le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales, ça ne sera plus la France". Brice Hortefeux, on connaît. Jean-Claude Gaudin fait également partie de la liste avec "le déferlement musulman". Françoise Hostalier aussi, avait eu son heure de gloire; elle ne comprenait pas, et nous avec elle, comment une femme pouvait assister aux débats de l'assemblée nationale avec un voile sur la tête. La "nargueuse" aurait dû être mise à la porte. Et Madame Hostalier s'était interrogée, et nous avec : "Mais comment une chose pareille peut-elle intervenir dans le temple des valeurs républicaines, dont l'un des piliers est la laïcité et l'autre, l'égalité entre hommes et femmes ?". Elle avait raison, Françoise. Même si j'eus préféré "l'égalité entre les femmes et les hommes"...


Le jeu continue. D'autres preux se lâchent. "C'est l'histoire d'un Arabe...". Ha ha, que c'est rigolo. Un Arabe parasite, vivant aux crochets de la société, avec sa CMU, son RSA, son APL et ses allocations familiales. Bah c'est vrai quoi. Chirac avait déjà relevé ce fait quand il était encore immature: "Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela".


Et quand on lit que "les candidats UMP aux cantonales espèrent tirer profit de la sortie de Guéant", bah, ma foi, on relit la phrase. Et pour les enquiquiner, ces candidats UMP, on se demande s'il nous faut pas voter FN. Ah oui, tiens. Voter FN. Le candidat FN du canton de Montargis est très présentable, en plus. Au premier tour, il faut toujours voter pour un physique. Une théorie que je me suis faite... Et il faut choisir l'original à la copie. D'ailleurs, Marine Le Pen lui a lancé un bulletin d'adhésion à M. le ministre. Un honneur. Ça ne s'oublie pas dans une carrière politique...

On apprend en même temps que l'UMP vient de créer son "Union des Français musulmans", le groupement de ceux qui seraient en intelligence avec Monsieur le Président. Le Sieur Boubaker y figure-t-il, me suis-je immédiatement demandé. Instinctivement. C'est étrange comme réflexe... Un grand chapeau à la déclaration du MJS; très drôle : "Le FN l'a rêvé, l'UMP l'a fait : la création de la nationalité musulmane". Nous étions des Français musulmans; l'UMP nous a fait des Franco-musulmans. Notre ami UMPiste a mal rédigé, c'est bon, on ne va pas en faire un plat. Qu'il se cultive d'abord, ok. Rue la Béotie, des erreurs peuvent arriver. Le texte a d'ailleurs été retiré. Rue la Béotie...


Tiens, la Cour européenne participerait aussi de son côté, au débat sur le "mode de vie". Elle avait dit dans l'arrêt Dahlab contre Suisse (15/02/2001), s'agissant d'une institutrice voilée, que : "le Tribunal fédéral a justifié la mesure d’interdiction de porter le foulard prise à l’égard de la requérante uniquement dans le cadre de son activité d’enseignement, d’une part, par l’atteinte qui pouvait être portée aux sentiments religieux de ses élèves, des autres élèves de l’école et de leurs parents et par l’atteinte au principe de neutralité confessionnelle de l’école. (...) La Cour admet qu’il est bien difficile d’apprécier l’impact qu’un signe extérieur fort tel que le port du foulard peut avoir sur la liberté de conscience et de religion d’enfants en bas âge. En effet, la requérante a enseigné dans une classe d’enfants entre quatre et huit ans et donc d’élèves se trouvant dans un âge où ils se posent beaucoup de questions tout en étant plus facilement influençables que d’autres élèves se trouvant dans un âge plus avancé. Comment dès lors pourrait-on dans ces circonstances dénier de prime abord tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes. Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves".

Le voile de l'institutrice aurait des effets négatifs sur des enfants en bas âge. Mais quand il s'agit du crucifix, symbole beaucoup plus européen, la Cour nous surprend en changeant complètement de rhétorique. Et du coup, fait jaser. La célèbre affaire Lautsi contre Italie. L'histoire d'une mère athée qui voulait soustraire au regard de ces deux enfants de 11 et 13 ans, le crucifix qui trônait dans la salle de classe. "Contraire à mes convictions et donc à celles de mes enfants", avait-elle dit. Car l'article 2 du protocole n°1 à la CEDH assure : "Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques".

Le gouvernement italien se la jouait anthropologue : "mais non, la croix, c'est le signe de l'identité italienne, allez allez". Dans un arrêt du 18 mars 2011, la Grande chambre vient de lui offrir une épaule : "Il n'y a pas devant la Cour d'éléments attestant l'éventuelle influence que l'exposition sur des murs de salles de classe d'un symbole religieux pourrait avoir sur les élèves; on ne saurait donc raisonnablement affirmer qu'elle a ou non un effet sur de jeunes personnes, dont les convictions ne sont pas encore fixées" (§ 66). La Cour a bien conscience qu'elle ne peut pas mettre sous le boisseau l'arrêt Dahlab. Elle rappelle donc que "l'affaire Dahlab concernait l'interdiction faite à une institutrice de porter le foulard islamique dans le cadre de son activité d'enseignement, laquelle interdiction était motivée par la nécessité de préserver les sentiments religieux des élèves et de leurs parents et d'appliquer le principe de neutralité confessionnelle de l'école consacré en droit interne. Après avoir relevé que les autorités avaient dûment mis en balance les intérêts en présence, la Cour a jugé, au vu en particulier du bas âge des enfants dont la requérante avait la charge, que lesdites autorités n'avaient pas outrepassé leur marge d'appréciation" (§ 73). Comprenne qui pourra...


L'arrêt de chambre en date du 3 novembre 2009 avait, pourtant, donné raison à Madame Lautsi, car il s'alignait tout simplement sur la jurisprudence Dahlab : "La Cour reconnaît que, comme il est exposé, il est impossible de ne pas remarquer le crucifix dans les salles de classe. Dans le contexte de l'éducation publique, il est nécessairement perçu comme partie intégrante du milieu scolaire et peut dès lors être considéré comme un « signe extérieur fort » (Dahlab c. Suisse (déc.), no 42393/98, CEDH 2001-V). La présence du crucifix peut aisément être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux et ils se sentiront éduqués dans un environnement scolaire marqué par une religion donnée. Ce qui peut être encourageant pour certains élèves religieux, peut être perturbant émotionnellement pour des élèves d'autres religions ou ceux qui ne professent aucune religion" (§ 54-55) et "La Cour estime que l'exposition obligatoire d'un symbole d'une confession donnée dans l'exercice de la fonction publique relativement à des situations spécifiques relevant du contrôle gouvernemental, en particulier dans les salles de classe, restreint le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire. La Cour considère que cette mesure emporte violation de ces droits car les restrictions sont incompatibles avec le devoir incombant à l'Etat de respecter la neutralité dans l'exercice de la fonction publique, en particulier dans le domaine de l'éducation" (§ 57).



Non non, je rassure : je suis favorable à l'arrêt de la Grande chambre. Car je suis pour une totale liberté des signes et symboles religieux dans les administrations. Là n'est pas la question. J'ai toujours été opposé à la théorie de l'apparence. Dahlab était une mauvaise décision. L'arrêt de chambre, aussi. Effectivement, la croix peut être l'identité de l'Italie et elle devrait rester dans les salles de classe à partir du moment où il n'y a aucune pression sur les enfants. Le juge maltais Bonello, dans son opinion concordante à l'arrêt de grande chambre, a raison : "C'est à chaque Etat d'opter ou non pour la laïcité et de décider si – et, le cas échéant, dans quelle mesure – il entend séparer l'Eglise et la conduite des affaires publiques. Ce que l'Etat ne doit pas faire, c'est priver quiconque de sa liberté de religion et de conscience" (§ 2.3) et "en Europe, la laïcité est facultative ; la liberté de religion ne l'est pas" (§ 2.5). Ce Monsieur Bonello avait également participé à la décision Dahlab. Mais comme cette dernière était une décision d'irrecevabilité, le détail du vote n'est pas indiqué. C'eût été intéressant de voir s'il avait soutenu Mme Dahlab ou non. Dommage.


Ce qui dérange est cette "impression" de double standard. Les mauvaises langues vont encore souligner l'incohérence de la Cour pour une problématique qui est, en somme, identique dans les deux affaires : signe religieux ou pas, en classe ? Dans l'arrêt Lautsi, deux juges (sur 17) ont contesté la décision des majoritaires. Le juge suisse est allé plus loin; il a estimé que la présence du crucifix est beaucoup plus critiquable que le voile de l'enseignante : "La présence du crucifix dans les écoles est même de nature à porter plus gravement atteinte à la liberté religieuse et au droit à l'éducation des élèves que les signes vestimentaires religieux que peut porter, par exemple, une enseignante, comme le voile islamique. Dans cette dernière hypothèse, l'enseignante en question peut en effet se prévaloir de sa propre liberté de religion, qui doit également être prise en compte, et que l'Etat doit aussi respecter. Les pouvoirs publics ne sauraient en revanche invoquer un tel droit. Du point de vue de la gravité de l'atteinte au principe de la neutralité confessionnelle de l'Etat, celle-ci est donc moindre lorsque les pouvoirs publics tolèrent le voile à l'école que lorsqu'ils y imposent la présence du crucifix" (§ 6).


Bref, ce sont ces décisions, déclarations, agitations qui insufflent, qu'on le veuille ou non, un doute dans l'esprit des musulmans. Et vas-y pour une "impression" de "réserve" anti-musulmane. Il est sain de le savoir; lorsqu'on attaque régulièrement un élément de l'identité d'une personne, combien même cet élement reste insignifiant aux yeux de cette personne, celle-ci développe instinctivement un sentiment de défense. Même ceux qui sont fermement opposés aux groupes, clans, chapelles, etc. succombent et se mettent à serrer les rangs. Ceux qui s'entêtent à ne pas comprendre cette phrase de DSK ont maintenant un élément de réponse. Qu'avait-il dit : "Je me lève tous les matins en me demandant ce que je peux faire pour Israël". L'antisémitisme pousse tout juif qui se respecte à défendre coûte que coûte la seule institution qui apparaît pour lui, comme une émanation de son identité, l'Etat d'Israël. Eh bien, c'est le même réflexe pour les musulmans. Plus on les stigmatise, plus ils font bloc. Un ami me l'avait susurré : "DSK, c'est le candidat naturel des musulmans; on mange à la même écuelle". Je viens tout juste de comprendre...

lundi 7 mars 2011

Quand Jules Ferry rêvait : "Les questions de liberté de conscience ne sont pas des questions de quantité : ce sont des questions de principe"...

C'est donc ainsi. "Héritage chrétien" et "racine juive". Voilà l'ADN de la France. Monsieur le Président de la République l'a dit en personne. Et il a raison. Politiquement, historiquement, économiquement et culturellement. On ne va tout de même pas inventer à la Nation, une branche musulmane. Les musulmans d'Algérie n'étaient pas citoyens, on ne va pas prétendre le contraire. Non non, ça serait pure démagogie. Quoiqu'on ne sait jamais avec le Président. Il aime distribuer des "louanges de circonstances". L' "héritage chrétien", c'était devant les catholiques et la "racine juive" devant le CRIF. Peut-être que devant le CFCM, un jour,...


Le ministre de l'Intérieur allemand y est allé franco, lui : "Der Islam gehört nicht zu Deutschland". Et le représentant des Turcs d'Allemagne a immédiatement sorti les gants de boxe : "Wenn der Innenminister den Streit sucht, wird er ihn bekommen". Un béotien, assurément. Heureusement pour la France, les musulmans de céans sont plus lisses. Le CFCM s'excuse de devoir publier de temps en temps des communiqués pour rappeler le principe de laïcité ou demander de cesser de nous stigmatiser, nous autres citoyens FRANÇAIS mais musulmans. Ça arrive...


Depuis le temps pourtant, on avait compris. D'accord, la "culture" islamique ne fait pas partie de l'identité profonde de notre pays. En France, effectivement, les femmes voilées restent cloîtrées, on les dénomme "soeurs" et on leur voue un très grand respect. Du coup, quand leurs "consoeurs" musulmanes descendent dans les rues pour acheter du pain, les Français, les vrais, ceux de souche, de l'histoire longue et des sépultures, sont choqués. Oui, les Français, les authentiques, ne se perdent pas dans des salamalecs quand ils se croisent dans l'ascenseur; un simple "bonjour" et un hypocrite "au revoir" suffisent. Oui, les Français, les purs, sont des gens polis et ne comprennent pas l'hostilité de certains barbus à la mixité des sexes; les femmes et les hommes vivent en bonne intelligence, en toute égalité, dans les conseils d'administrations des plus grandes sociétés françaises, dans les assemblées parlementaires et surtout dans les foyers. Les études ont beau avancer le terrible chiffre de 80 % pour souligner la proportion des femmes dans les tâches ménagères, c'est du pipeau. Seulement 20 % des femmes occuperaient des postes de direction dans l'administration et 10 % dans les entreprises. C'est une farce. Oui, les Français, les canoniques, ne comprennent pas comment un livre saint peut autoriser la polygamie; car dans le pays, l'adultère est toujours un délit pénal et une cause péremptoire de divorce. Et surtout les Mitterrand et autres célébrités qui entretiennent maîtresses et assimilées ont, sans aucun doute, une ascendance islamique. Et l'assemblée nationale n'a nullement honoré, par une minute de silence, un des siens qui avait tué sa maîtresse...


Et surtout, les Français, les idéaux-typiques, sont pour la plupart athées et agnostiques. Résultat : on vit sous l'empire de la loi de séparation de 1905 mais avec l'état d'esprit de 1904 (cf. Jean Baubérot, L'intégrisme républicain contre la laïcité, pp. 161-174). Car les Français de souche reprochent aux musulmans de croire dur comme fer à cette fameuse laïcité de 1905. Alors que celle de 1904, celle du père Combes, sied plus à l'air du temps. Ce qu'on reproche aux musulmans français, c'est, au fond, de casser cette harmonie née du désenchantement. On doit tous êtres pécheurs, histoire de souder les rangs, face à un probable Dieu. C'est la psychologie du laïciste athée, un croyant comme les autres, en réalité : "je suis un croyant comme toi mais moi je pèche, alors toi aussi pèche, j'ai peur de me retrouver seul devant Dieu !". Combes n'était-il pas un séminariste...


Et on en vient légitimement à s'interroger sur la place de l'islam dans cette configuration, une religion si lointaine aux "moeurs républicaines", la fameuse "religion civile". Des gens se prosternent le fessier en l'air, jeûnent, vont se perdre dans les déserts en Arabie pour tourner autour d'un cube noir avec des millions de blancs, jaunes et noirs et en reviennent requinqués ! Quelle drôle de religion ! Alors que la Raison, fille des Lumières, mère de l'Idée-République, devrait suffire. Ces musulmans sont animés par l'instinct grégaire, par-dessus le marché. Les études ont beau démontré que les mariages mixtes explosent, que le nombre de lycées musulmans est inférieur à celui des lycées catholiques et juifs, que les parents fuient les banlieues pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants et que les listes communautaires n'ont jamais percé lors des élections. Tronquées, assurément.


Un ministre de la République en vient à interdire aux mères voilées de prendre part aux sorties scolaires (décidément, on ne les aime que cloîtrées, dans ce pays). Motif : elles deviennent fonctionnaires pour une poignée de minutes. Donc ? Bah il faut que Madame Al-Hasnaoui, par exemple, "se la joue" fonctionnaire neutre. Elle est sans doute la femme de l'épicier du coin, tout le monde la connaît, toutes les maîtresses, tous les parents d'élèves, toutes les associations de parents la connaissent. Mais le directeur va quand même lui dire, toute honte bue, qu'elle ne pourra plus être "des leurs"; qu'elle ne pourra plus distribuer des boissons et des gâteaux, tenir la main aux écoliers, dont elle a beau connaître les prénoms par coeur puisque du même quartier. Désormais, elle pue. Au nom de la laïcité nouvelle version.


De bons chrétiens ont décidé de tenir des conventions sur l'islam. La deuxième religion de France. Monsieur Copé se fait ses petites fiches : par exemple, imposer les prêches en français, ça serait pas mal. Et les vieux de la première génération qui ont toujours du mal avec cette langue, se demanderont ce qu'ils font dans un édifice religieux où ils ne comprennent plus la "langue de travail". Et on sera contents. Un grand pas, assurément. Jadis, l'abbé Grégoire ne disait pas autre chose pour les juifs : "lorsque pour des affaires indispensables de leur religion, ils seront obligés de tenir conseil et de voter, un commissaire royal surveillera ces assemblées où tout sera traité en langue vulgaire" (Danièle Lochak, Le droit et les Juifs, p. 22). La République continuera à garantir, en théorie, le libre exercice du culte; article 1er de la loi de 1905, excusez du peu. Et à chaque fois qu'on verra le Sieur Copé chiper un micro pour exposer une nouvelle idée phare, on se rappellera cette phrase de Claude Chabrol et on apprendra à ne plus le prendre au sérieux : "Je pense qu'il faudrait instituer pour les hommes politiques une punition appropriée, le châtiment corporel élémentaire, autrement dit la fessée. C'est la seule manière d'empêcher les récidivistes de nuire. C'est pire que la peine de mort. Évidemment, la peine de fessée serait prononcée par la justice et par elle seule. Cela peut paraître complètement futile, mais je crois que cette idée restera comme le principal apport de mon existence à la société"... (Le plus drôle de l'humour de Coluche à Jean Yanne, pp. 109-110).


Il faudrait aussi imposer, à mon humble avis, aux associations cultuelles islamiques d'ouvrir leurs portes aux athées, chrétiens, juifs et je dirais même bouddhistes, histoire d'augmenter le "fun". Les appels à la prière sont déjà interdits, ça tombe bien. Il faudrait interdire les cours coraniques, les soutanes des imams, les calottes, les chapelets. Il faudrait déchirer le Coran, d'ailleurs; et sur la place publique. Je propose de faire lire la Constitution française chaque vendredi sur les quelques minarets de France. Quant à la viande halal, il faut, évidemment, supprimer cette bizarrerie. La circoncision, on attendra un peu. Le jour où les juifs seront d'accord, on la supprimera également. Les cantines scolaires qui tournent également avec les impôts des citoyens musulmans, refuseront de servir des plats halal. Idem dans les hôpitaux.


Et nous autres Français musulmans, nous présenterons une adresse à l'assemblée nationale, copiée sur celle des Juifs du 31 août 1789 : "Messeigneurs, nous venons vous prier de mettre fin à la longue oppression d'un peuple entier, en le rappelant aux droits communs d'humanité et de cité (...). Nous vous supplions de nous maintenir dans le libre exercice de nos rites et usages et de conserver nos mosquées, nos imams et nos associations cultuelles"... Ou devrait-on peut-être réunir une convention islamique et lui poser ces fameuses 12 questions que Napoléon avait posées aux Juifs avant de les prendre pour des êtres humains :

1) Est-il licite aux juifs [musulmans] d'épouser plusieurs femmes ?

2) Le divorce est-il permis par la religion juive [musulmane] ? Le divorce est-il valable sans qu'il soit prononcé par les tribunaux, et en vertu de lois contradictoires à celles du Code français ?

3) Une Juive [musulmane] peut-elle se marier avec un Chrétien, et une Chrétienne avec un juif [musulman] ? Ou la loi veut-elle que les Juifs [musulmans] ne se marient qu'entre eux ?

4) Aux yeux des Juifs [musulmans], les Français sont-ils leurs frères, ou sont-ils des étrangers ?

5) Dans l'un et dans l'autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ?

6) Les Juifs [musulmans] nés en France et traités par la loi comme citoyens français, regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l'obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d'obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?

7) Qui nomme les Rabbins [imams] ?

8) Quelle juridiction de police exercent les Rabbins [imams] parmi les Juifs [musulmans] ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux ?

9) Ces formes d'élection, cette juridiction de police judiciaire, sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l'usage ?

10) Est-il des professions que la loi des Juifs [musulmans] leur défende ?

11) La loi des Juifs [musulmans] leur défend-elle de faire l'usure [d'emprêter de l'argent] à leurs frères ?

12) Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l'usure aux étrangers [d'emprêter aux banques] ?

Madame le Président de la République Marine Le Pen devrait s'affairer à cette tâche dès les premiers jours de son mandat en 2012. C'est donc une manie de la "France éternelle" que de convoquer, une par une, à peu près tous les cent ans, les différentes communautés qui essaient de la composer, pour lui arracher des serments de fidélité. D'un côté, c'est apaisant. En 2111, on rigolera comme on le fait aujourd'hui pour Napoléon et son délire. Ce n'est donc qu'un mauvais moment à passer. Dans un siècle, la victime sera une autre communauté. Qui d'ailleurs ? Les Mormons, peut-être. J'aurais 127 ans en 2111. Je ferais partie d'une religion respectable pour l'époque, nanik...


Régis Debray, un de ceux qui savent encore manier les bonnes formules (et qui, comble du paradoxe, ne siège toujours pas à l'Académie française !), disait jadis : "La démocratie, c'est ce qui reste d'une république quand on éteint les Lumières". Eh bien, nous, nous disons : éteignons les Lumières et permettons à ceux qui le veulent, à commencer par les religieux et religieuses de l'ordre régulier chrétien, de vivre dans leurs cavernes, leurs caves, leurs ténèbres. Car si la démocratie libérale m'honore en me laissant au milieu du gué, la république m'avilit en me prenant pour du bétail. Le choix est vite fait... Nous n'avons pas de cerveau à vendre. Ni bride ni éperon. Respect !
Ah j'oubliais, les Juifs de Paris avaient encore dit en 1789, "un objet unique domine et presse toutes nos âmes; le bien de la Patrie et le désir de lui consacrer toutes nos forces". Nous, musulmans de France, pensons la même chose. Wallâhi. Il suffit juste de nous en donner l' opportunité. Vive la France ! Vive la Démocratie ! ;)


Signé un troglodyte.