mardi 30 septembre 2008

Fascistique

Comme dans une bonne dissertation juridique, commençons par une citation : Roland Barthes disait jadis que "le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire".
Sans transition, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, nous a encore pondu une ire "tirée par les cheveux". Pour le plaisir de clouer. Le voici, maintenant, se draper dans les habits d'un mufti : aujourd'hui, c'est la Fête du Ramadan (du moins pour les Turcs, le CFCM ayant opté pour le mercredi) ou, en arabe, l'Aïd el-Fitr.

Les Turcs, spécialistes en acclimatation religieuse, parlent du "Şeker Bayramı" ou "Fête du sucre" (ou des sucreries) car on fait bombance. On honore les enfants; le rituel est bien défini : on téléphone à la famille, on rend visite aux plus âgés et aux malades, on salue les voisins et proches, on leur baise furtivement la main et on empoche un bonbon ou une piécette d'argent. Quand j'étais plus jeune, moi et mes petits camarades ricassiers, nous nous lancions à l'assaut des maisons; c'était mécanique, un peu comme le Bonjour, Merci, Au revoir des caissières : ouverture de la porte, sourire, phrase sacramentale "Bonne fête", main droite tendue, un petit baiser, sachet de bonbon tendu et ciao. Et le soir, c'était une nouvelle dose de goinfrerie avec notamment le "baklava". Un coma à la fin de la soirée; une fête, quoi. Un "remplumage", un mois disetteux (tout ça dans la théorie), un jour gargantuesque.

Bref, M. Erdogan a donc décidé d'imposer le qualificatif "Ramazan" en lieu et place de "Sucre". Pour éviter une érosion culturelle, nous dit-il. "Les laïques font ça pour nous enquiquiner, ne les suivez pas, oh les croyants, les païens sont à l'oeuvre, attention !". Les journalistes qui forment le vivier de laïcistes, ont élevé la plume, bien sûr : le spécialiste du bon parler turc, Hakki Devrim, n'y va pas par quatre chemins : "laisse la langue tranquille, occupe-toi de la crise économique !"; un autre le nargue : "tu sais quoi, M. le Premier Ministre, ma grand-tante, une ottomane, offrait même du liqueur, hahaha, alors, qu'est-ce t'en penses ?".

Il faut dire que l'ambiance dans le Pays se prête à ces sermonnades pour le moins saugrenues. La diva turque, Bülent Ersoy, arpente les tribunaux pour avoir osé dire : "si j'avais un enfant (elle est une transsexuelle), je ne l'aurais pas envoyé au service militaire se faire tuer dans les montagnes pour une guerre qui dure depuis des années", "comment peux-tu parler de cette manière, pouffiasse, ose et tu verras...". C'est une star, en Turquie; les militaires ont froncé les épaulettes mais peu importe; c'est Bülent la Gracile. Sa seule vêture fait trembler; et ses bijoux qu'elle aime s'agrafer, personne n'ose l'envoyer en prison, c'est de l'art. Et la faconde ! Même le juge a dû s'agiter.



Et que dire du credo scolaire récité par la gossaille turque : "Türk'üm, doğruyum, çalışkanım", "Je suis Turc, je suis droit, je suis travailleur". Depuis, ni l'indice de développement ni le PIB se sont améliorés... Tout ça au nom de Mustafa Kemal, ils nous l'ont chipé, c'est comme ça. "Chut! baisse la tête et récite". Le par-coeurisme, un molestage intellectuel. Mais des adeptes, il y en a. Je ne pense comme personne, j'en suis fier; je ne pense jamais la même chose, j'en suis encore plus fier. Les néo-fascistes en redingote sont légion et knout en main, bronchent : "j'ai raison donc pensez comme moi; allez, enlevez, c'est pesé !".

Les Turcs le disent bien : "et ta mère, elle est belle ?"; les Français ne sont pas en reste : "et ta grand-mère, elle en fait de la planche à voile ?". Joyeuse Fête, cela dit. Et bonne année pour les Juifs.

jeudi 25 septembre 2008

Empire

Les Russes boudent; personne ne veut leur donner raison. Seuls le Nicaragua et la Gagaouzie se sont empressés de reconnaître l'indépendance de ces deux beaux pays que sont l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Comme une comédie. Et les Russes savent bouder aussi; ils en ont l'art. Alors, c'est parti pour les chaises vides et les pieds de nez dans les enceintes internationales. La Chine se pétrifie dans ces moments-là, "réfléchis quand tu parles, bourrique, et le Tibet, et le Xinjiang, tes idées à la gomme, garde-les pour toi, vieux".
"Tu me soûles" ne cesse de répéter Condi à Sergueï. "C'est ça, ma belle, fais tes valises, je ne te sens plus" lui rétorque ce dernier. Il faut dire qu'il ne l'a jamais portée dans son coeur. Il est plutôt d'avis que Condi, pourtant spécialiste de l'URSS, vogue quand elle réfléchit sur la situation actuelle de la Russie; ce n'est plus l'époque de Boris, avec son joli nez de pompettes. Poutine a secoué le pays, depuis. Mais les Etats-Uniens bronchent aussi : boucliers, bases, les petits soins aux Géorgiens et Ukrainiens, crânerie en costume de bal, etc. Ca les exaspère, ils sont Russes.
D'autres dirigeants s'en étaient donnés à coeur joie : l'Argentine Kirchner, espiègle, a lancé : "alors, frère américain, c'est quoi cette formidable intervention de l'Etat de mémoire d'homme ? 700 milliards ! Et le marché ? Et la main invisible ? Hein, poltron".
Le plus radieux, sans conteste, est le Sieur Ahmadinejad, toujours vaticinant : "les piliers du système oppressif s'effondrent". Il a une tribune, il en profite. Avec une salve de critiques au sionisme aussi, évidemment. C'est un "must"; on ne peut pas comprendre la finance sans les Juifs, on ne peut donc comprendre le désastre actuel sans les sionistes. Shimon Pérès ne s'en indigne même plus. Même notre Président a dû balbutier quelques mots, éructant le classique "capitalisme régulier et régulé"; toujours cette manie de faire des jeux de mots.
Et on apprend, par-dessus le marché, que la Corée du Nord a décidé de se redraper dans sa dignité : "les Américains ne sont que des guignols, ils ont été incapables de nous retirer de leur liste, allez, on reprend tout...".
Les intellectuels soupirent : "ouais, ça y est, c'est le monde multipolaire, on s'éclate, la foire sera bonne, voilà bien des marchands"; les Américains sont en crise. Ils ont mis de côté leur trompette et ils ont entamé une profonde réflexion, en famille. Sans nous. Alors qu'on le sait, quand ils toussent, on s'enrhume. Les économistes le disent, je ne saurais inventer dans ce domaine. Je n'y comprends rien. Le Président Sarkozy est furieux; il en a marre, en réalité. L'autre incapable n'en a plus rien à cirer, il s'en va bientôt. L'intérêt pour les affaires du Pays ne peut se poursuivre au-delà de son mandat logiquement; sinon, à quoi bon le débarquer. Mc Cain non plus, un peu comme Mitterrand, il n'a jamais rien compris à l'économie. Mais lui, il est là; il doit promettre, il doit débourser, l'argent fait chanter disent les Turcs. On sombre mais on avait une gesticulation. La faute à Bush. Que dire du Premier ministre Erdogan, lui, économiste de formation : "ne vous inquiétez pas mes petits, pas de panique, rien à se reprocher, le FMI nous a bien garnis". D'accord. Ce serait même une chance pour la Turquie. Je l'ai dis, je n'y comprends rien aux arguties de l'intendance.
Ce que je sais c'est que multipolaire, ça nous fait une belle jambe; on est content, il y a d'autres pôles. Plus de contrepoids. C'est bien. Drôle de multilatéralisme : les cordons sont ailleurs, on trinque toujours. L'argent a son maître, multipolaire ou pas, à quoi bon ? Un brin de causette... Au plaisir ! Les miches de certains, entre-temps, font bravo. Je ne me laisserais pas convaincre pour un empire. Allez, la théorie de l'effondrement, pour une autre fois. A force de vouloir se convaincre qu'il y a des "émergeants", on va finir par enfoncer l'encensoir dans le nez des Russes, des Chinois, des Brésiliens et des Indiens, au grand rire... de l'Empire principal, Unicus Primus.

mercredi 24 septembre 2008

Histrionnerie

Ca y est, lui aussi s'est "dénaturé". L'ancien Président de l'assemblée nationale turque, Bülent Arinç. C'est un type de haute volée, conservateur patenté, un vieux routier de la politique. Il dit tout haut ce qu'il ne faut pas vraiment oraliser. Les laïcistes le détestent, donc. Lors des élections présidentielles, il avait émis la volonté d'élire, enfin, un homme pieux, de la trempe d'Abdullah Gül. "Rétracte-toi, chariatiste, comment oses-tu réclamer un Président pieux à la tête d'une république laïque ?", "j'ai le droit, non ?", "misérable, dis-le, tu veux fausser la République !". Depuis, Gül est Président et la République se porte bien...

A un agriculteur qui se plaignait des prix de vente du raisin cette saison, lors d'une réunion locale à Manisa, sa circonscription, il lui répondit sans barguigner : "tu mens, bouffon, vendu...". Les répliques au peuple ne sont certes pas les joutes les plus réussies des hommes politiques, sauf en période électorale; on sait caresser dans ces moments-là. Le reste du temps, on vient, on visite, on interroge et on repart sans écouter; écouter voudrait dire tendre l'oreille à des sons; et des sons, il y en a une kyrielle. Ce brave paysan avait cependant sa carte à l'AKP; un membre actif, les mains gercées à force d'applaudir; il s'est senti trahi : "c'est donc comme ça, hein ? Paltoquet !".

Bien sûr, pour un Occidental, poser une question à son représentant, c'est comme acheter du pain, c'est normal; d'ailleurs, les députés sont au petit soin dans leurs permanences : factures impayées, arranger un boulot, aider à se débarrasser du fisc, etc. La Déclaration des droits de l'Homme le dit si bien dans son article 15 : "la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Ne vous bousculez pas, il faut savoir comprendre ce texte, évidemment... Mais l'esprit est là.

Le respect de l'autre aurait suffit à modérer le ton d'ailleurs; pas besoin d'avoir une loi pour fixer les canons de la discussion. Jadis, le Premier ministre Tayyip Erdogan avait rustiquement insulté un autre paysan venu demander des explications : "alors, tes promesses, où elles sont, on a faim, tu as fait pleurer nos mères (belle expression turque qui consiste à insister sur le degré de la détresse)" et le Premier minsitre de répondre : "prends ta mère et tire-toi !". La France se torche toujours les yeux depuis le rabrouement désormais rebattu de Monsieur le Président à un type, il faut dire, pour le moins grossier : "casse-toi alors, pauvre con".

Les Princes de la politesse, il y en a : en Turquie, on cite souvent le feu Premier ministre Bülent Ecevit (jusqu'à ce qu'il ordonne de jeter dehors la députée Merve Kavakçi qui s'était présentée à l'Assemblée avec son voile) et le feu ministre des affaires étrangères, Erdal Inönü, le fils de Ismet Inönü, le compagnon de guerre de Mustafa Kemal et son successeur à la Présidence en 1938. Un flandrin; un politicien malgré lui. Toujours poli et toujours respecté. Enfin, Ismail Cem, un ancien ministre des affaires étrangères aujourd'hui décédé; la politesse portée à son plus haut niveau. En France, les parangons de la correction et de l'honnêteté en politique sont assurément le Général de Gaulle et Pierre Mendès-France.

Les gens de l'élite sont ainsi faits; le dédain est le corollaire de la fonction ou de la situation sociale. Et comme la fonction se tient désormais ad vitam aeternam, la condescendance tend à se gonfler de mandat en mandat. La solution est le non-renouvellement des mandats; une rotation là où il y a du pouvoir. La tentation du mépris vient d'un sentiment profond, celui de figement de son état : ayant approché l'autorité, le pouvoir et donc ressenti la prééminence et les louanges, les prônes et les exaltations s'ensuivent. La solution est facile à envisager pour ceux qui sont en politique, la liquidation démocratique, mais difficile pour les riches et les aristocrates; la hauteur ne se perd jamais, elle est imprimée.
Les imprécations sont d'un autre temps. En même temps, le respect de la dignité ne doit pas être une formalité, vu d'en-haut. Un ami me proposait d'imaginer une scène pour atténuer le sentiment d'injustice qui point dans ces moments-là : le scatologique; une besogne, nous dit-on, à laquelle même la Reine est astreinte. Les hommes sont vraiment égaux...

samedi 20 septembre 2008

Désenchantement

Le Premier ministre turc, Tayyip Erdoğan, n'en finit plus de sombrer dans le "délire". Il descend, c'est certain, il divague. Il était aimé pourtant, par les libéraux du pays, soutenu par les intellectuels, chéri par les laissés-pour-compte et admiré par la gueusaille.
Il dénonce de nos jours la lie du journalisme, celle qui avait osé parler de l'affaire de détournement d'une association caritative turque en Allemagne, réputée proche de l'idéologie de l'AKP. Il s'aliène ses soutiens traditionnels et c'est étrange. La colère bouscule tout ordonnancement.
Alors que les données de l'économie, nous disent les spécialistes, sont au rouge, le Premier ministre n'a pas trouvé mieux que de lancer à ses troupes le "conseil" de boycotter la presse du groupe Doğan, celui qui est censé attiser ses "mousquetaires" contre le Gouvernement. Vraiment pathétique. On connaît déjà cette musique. L'armée turque, par exemple, a établi un système d'accréditations; les journaux et chaînes de télévision par trop conservateurs ne sont pas conviés aux réunions d'informations et aux conférences de presse. Leurs questions orientées peuvent déranger. Encore une fois, double standard; personne ne se risque à élever une indignation de tempête. C'est l'armée. C'est officiel par-dessus le marché. Alors qu'il ne s'agit, pour Erdoğan, que d'une "invitation" pour ses partisans. La droiture commande une égale opposition, "oh la la".
Ils se dégrisent, les alliés : "On te savait plus démocrate" se désolent-ils; l'un d'eux se chagrine : "j'aurais préféré que la Cour constitutionnelle te flanquât une interdiction, on aurait recommencé le combat pour la démocratie, tu me déçois, bêcheur !". Un autre a déjà commencé les comptes : "alors, la sociologie politique nous enseigne que l'électorat ne forme pas un monolithe; d'ailleurs, il est prouvé que les électeurs ne sont pas des moutons. Ouf, allez arrête de viauper, rien de grave. Nanik". Il y a des taquins aussi : "tu crois vraiment que le peuple va cesser de regarder les séries de ces chaînes pour tes beaux yeux, oust !". L'ambassadeur de France, Bernard Emié a rappelé les classiques : liberté de la presse, liberté d'expression, liberté de l'information. Un message d'importance pour un Premier ministre qui, jadis, croupit en tôle pour avoir lu un poème... Les cassandres n'en espéraient pas tant : "on vous l'avez dit, bande de citrouilles, c'est un fasciste, allez, renversons-le, oh oh".
Erdoğan a brûlé ses vaisseaux, il s'aventure. Ses amis doivent lui susurrer : "une conscience pure est un bon oreiller, pourquoi tant de patatra ?". Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, c'est connu, "ressaisis-toi, y a des élections bientôt". Les Turcs l'avaient toujours connu "rescapé" du système, "mal aimé" par la bureaucratie, un opprimé. Le zénith a l'air d'être franchi et à ce niveau-là, l'horizon est sans appel, ce n'est pas un plateau; l'oeil se compose un nouveau regard; la cause de cette gesticulation, peut-être...

lundi 15 septembre 2008

Sine curae

Le pèlerinage du Pape s'est ainsi terminé. Il est francophone et francophile, nous dit-on. Il est intellectuel, aride, sobre, timide, un bon théologien. Son Prédécesseur était plus "people", plus christique, aimant la foule et ses mouvements. Lui, droit sur ses bottes, prône un christianisme "conservateur". Il reprend volontiers l'antienne de Jean-Paul II, la thématique de la "civilisation de la mort".

Il m'a toujours semblé bizarre d'attendre d'une religion révélée une quelconque modernisation. Les sources de la Vérité sont taries, peu importe : "vas-y, balance, t'as le droit, Toi, T'es le Pape, change le dogme !". "Que désires-tu ?", "Des prêtresses et des prêtres homosexuels et moins de chasteté et moins de latin, on comprend rien...". Ca fait longtemps que l'aspect eschatologique ne séduit plus (ce que Arendt appelle "le seul élément politique de la religion traditionnelle, la peur de l'enfer"); on veut de la thérapie. On rappelle constamment au Souverain Pontife d'actualiser sa "fatwa" sur les moyens de contraception.

On lui demande de créer une nouvelle "lecture"; "allez va, on est habitué, c'est bien les hommes qui ont érigé cette religion, ne fais pas le puceau !". Saint Paul et les conciles, les conciles et toute la paperasse publiée de temps en temps. L'histoire de la Papauté, une véritable aventure. Comme quoi on sait interpréter quand il faut. Du type "clairvoyant pour découvrir et prudent pour couvrir" (Umberto Eco). Régis Debray, naturellement, le dit mieux : "Ce n'est pas le Christ qui a produit le christianisme, c'est le christianisme qui a produit le Christ". Personnellement, j'aurais opté pour l'arianisme si j'étais Chrétien, la Trinité, comprends pas trop : "un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui. La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne réside en un fait : Dieu s’est révélé" dixit Benoît XVI aux intellectuels.

"Ca remugle tout ça, les fondamentaux sont intangibles d'accord mais ceux créés par l'Homme et vendus comme venant tout droit du Ciel, on peut les modifier nan ?", "Renégat, n'bronche pas ! Rendez Gloire à Dieu en toute circonstance", "allez, allez, il nous donne la leçon, il se déplace, lui, entre-temps, dans des carrosses qui font rougir le Christ", "tais-toi, misérable, tu te crois qui pour nous lancer des invites comme ça ? Son premier moutardier ? T'occupe pas de la calotte du pape". Sa Sainteté, en pantoufles, n'a même pas écho de ces jacasseries. Il prie, lui. Pour nous tous, d'ailleurs. S'il y a bien deux hommes qui sont les plus universels, ce sont le Président des Etats-Unis et le Pape. Des Personae communes. Et d'ailleurs, les deux ont le même destin : ils sont seuls dans leur stratégie. Ils ont une mission.

Allez, sois beau et tais-toi. L'Eglise ne tient personne en laisse, elle donne le la. Une différence qui a du mal à se creuser un sillon dans la cervelle de certains : au lieu de supplier les religieux de renégocier avec Dieu et d'obtenir une suppression de certains péchés, il faut, peut-être, s'interroger : essayons d'être apostolique : "niye bu telaş ?", "pourquoi cette inquiétude ?", "why this worry ?", "warum diese besorgnis ?"

samedi 13 septembre 2008

Les "chambardeuses"

Alors que le Président Sarkozy multipliait les étreintes corporelles et idéologiques au "Très Saint-Père" au grand dam de Jean-Luc Mélenchon, la rumeur courait sur la conversion de son fils, Jean le Cadet.



Il est presque de coutume, pour un homme passionné, d'embrasser la religion de sa dulcinée avant d'obtenir sa main. En l'espèce, le "fils du président" a, apparemment, refusé de s'y plier. J'ignore si les parents juifs ont un égal souci de la confession de leur gendre que les dabes musulmans. Les règles qui régissent l'entrée au judaïsme sont déjà assez alambiquées; chez nous, on connait la coupure : "il n'y de Dieu qu'ALLAH et Mouhammed est son Prophète". Les Juifs forment le "peuple élu", les nouvelles adhésions se font avec parcimonie, c'est normal.


Les filles musulmanes convoitées par des Français chrétiens ou agnostiques ou indifférents (rares sont les Juifs et les athées) appuient sur la chanterelle avec une certaine fierté : "tu dois devenir musulman". L'interlocuteur, déjà concentré sur la "nuit de l'amenée", ensorcelé par la beauté qu'il contemple, se fait grave. Le simple désir d'aller "plus loin" avec sa bien-aimée le fait entrer dans la "oumma". C'est comme ça, l'homme est ainsi fait, il chérit sa femme et ses principes... Je n'ai jamais entendu quelqu'un "négocier" à ce stade. On ne saurait faire boire un âne s'il n'a pas soif. La réponse est rapide donc fragile : "Aucun problème". Et on est content, un musulman de plus. D'ailleurs, la pratique religieuse n'est pas le souci de l'instant.


Des cas de conversion dans mon entourage, j'en connais un paquet. Un ami Chrétien, du type "culturel", se lamentait : "je l'aime, fais chier [sic], je suis prêt à me convertir pour elle; j'envisage même la circoncision". D'accord. Les "railleurs" (benêts ou racistes) parlent d'un "baptême au sécateur". Je l'ai convaincu que la théologie musulmane ne l'imposait pas aux convertis. Il était content : "j'peux être opérationnel ?", "mais oui mon brave". Mais le doute, c'est un fléau. Il n'était pas convaincu, il ne voulait surtout pas faire les choses "à moitié". "L'amour est enfant de bohême, il n'a jamais jamais connu de loi"...


Une amie Française me suppliait de faire du lobbying auprès de la mère de son jules, turc et musulman. Son argument était, dans sa logique, implacable : "Je vais devenir musulmane et d'ailleurs, je veux que ce soit ma belle-mère qui m'initie aux règles islamiques". Doucement, malheureuse ! Il faut déjà savoir si elle, elle en sait des choses.


Une autre connaissance avait décidé de franchir le pas mais il avait fait les choses à l'envers : il était devenu musulman par l'étude; la crème des convertis. Une adhésion "authentique", pas "imposée" ni "invitée". D'ailleurs, on nous apprend que "les motivations de conversion [à l'islam] sont plus liées à des valeurs morales et spirituelles qu'à des motifs politiques ou conjugaux" (Le Monde des religions, mai-juin 2008, N° 29, p. 8). En clair, tout ne se fait pas dans la perspective du lit... Depuis, il recherche une dame.


En France, la nation ne s'émeut pas lorsque l'un de ses enfants quitte la religion traditionnelle. "Ca m'en touche une sans faire bouger l'autre". En Turquie, c'est un drame national. Même les plus modérés se désolent. Un mannequin, Tuğçe Kazaz, avait ainsi fait pleurer les chaumières en son temps. Sa famille l'avait rejetée. Elle avait épousé un Grec et s'était convertie à l'orthodoxie. Les théologiens, en choeur, l'avaient suppliée de reformuler la "shahada" et de retourner au bercail : "hep hep, on ne part pas comme ça, reviens !".


L'avenir d'une religion prosélyte se trouve dans l'action des femmes. Pas de doute. D'ailleurs, j'ai la faiblesse de penser que les femmes sont plus "disposées" que les hommes à percevoir les sirènes de la métaphysique. Et l'islam ne cesse de les honorer : "le meilleur d'entre vous est celui qui est le meilleur envers sa femme"; "la clé du Paradis se trouve sous les pieds des mères". On comprend la problématique : la sincérité en toute chose. En religion, les révolutionnaires sont des femmes. Dirigez, dirigez, rares sont les pensées qui vous encensent. "N'ayez pas peur !"...

mardi 9 septembre 2008

Les chiens de garde

Ils croisent le fer, ça y est. Le Premier Ministre Erdoğan et le magnat de la presse Aydın Doğan, celui qui est réputé renverser les gouvernements qui gâtent ses intérêts.





L'affaire est, dans sa présentation, simple : une association caritative turque à coloration islamique a manigancé en Allemagne; la presse liée à cet homme d'affaires insiste depuis quelques jours sur ce scandale. Cette insistance incommode fortement le Premier Ministre car l'un des responsables de l'association a déclaré lui avoir remis des fonds. Fidèle à son tempérament, il rugit et se met à "balancer" les desiderata de Doğan concernant un terrain à Istanbul. Doğan l'aurait acheté, jadis, à seulement 250 millions de dollars car frappé d'une interdiction de construire; maintenant il veut bâtir des résidences et sollicite donc "l'aide" du Premier ministre pour une modification du plan d'urbanisme. C'est connu, les dirigeants aiment faciliter les affaires des entrepreneurs. La lutte contre le chômage est une croisade. Le hic, c'est qu'entre-temps, le prix du terrain a été multiplié par 10. Bonne technique...


L'affaire surgit tout droit du réquisitoire du juge d'instruction allemand. Ce n'est qu'une allégation. Peu importe, il fait la manchette. L'affaire du "Ergenekon" n'avait pas trouvé grâce aux yeux de ce groupe de presse : "voyons, on ne peut pas fonder une manchette sur des potins !". Maintenant, c'est possible. Pour notre gouverne.


Aydın Doğan, un type qui fait fantasmer; celui-là même qui recevait le Premier Ministre Mesut Yılmaz en pijama devant la presse. Sa fille est la présidente du MEDEF turc. Il est puissant. Doğan a lancé à l'endroit d'Erdoğan après les révélations sur ses machineries : "dictateur, tu fais du chantage !", l'autre lui a répondu : "je vais tout dévoiler sur tes affaires", "vas-y, j'n'ai rien à me reprocher", "bouffon, sangsue", etc.


Le Premier Ministre se targue souvent d'avoir mis fin aux combines de certains industriels, de lutter efficacement contre la corruption et la prévarication. Le hasard fait que ces sombres histoires jaillissent, en ce moment, de son propre parti. Une théorie de ragots ? Jadis, quand les deux dinosaures Erbakan et Demirel jouteaient à qui mieux mieux, Erbakan avait fait ce constat amer : "bugüne kadar söylediği herşeyin tersini yapması nedense kendisinin kaderi oluyor", "c'est son destin que de faire le contraire de tout ce qu'il a dit jusqu'alors". Plus on combat l'hydre, plus il riote outrageusement.


Son attitude dans cette séquence n'est pas des plus démocratiques ou simplement des plus matures. Prendre à parti un patron de presse du fait des écrits de ses journalistes n'a aucun sens. Le CHP, rompu aux déclenchements de crise, se dresse sur ses ergots : "c'est du financement illégal, l'AKP s'est fourvoyé". Il défend le Patron. Un journaliste turc l'a bien rappelé : tout ce qui fait plaisir à Baykal désole le peuple, c'est ainsi ("bu şahsı memnun eden her şey milleti mükedder ediyor" Turan Alkan). Le Premier ministre fredonne la même chanson depuis quelques jours : "on a coupé ses rentes, c'est pour ça qu'il miaule; le malfrat, sa technique est claire : calomnie, il en restera une trace !". Il sort de ses gonds et attaque bille en tête; c'est son tempérament. On dit souvent pour le railler qu'il est "Kasımpaşalı", un arrondissement d'Istanbul pauvre mais riche en "kabadayı", sorte de frimeur fruste mais néanmoins intrépide. Un fanfaron. D'ailleurs, il ne s'en excuse pas, ça fait "peuple". Il a raté le coche, l'agitation trahit toujours. Quoi ? Une faute ou une injustice, là est bien le problème.


Rien à se reprocher le Sieur Doğan ? Il dit lui-même qu'en tant que chef d'entreprise, il a toujours quelque chose à demander à l'Etat et qu'il n'hésite pas à solliciter les officiels pour ses diverses activités. Bien. Mais c'est un patron de presse, en même temps. Il nous déclame de "l'indépendance de la presse". Raté.


Le juge européen ne se formalise pas trop de l'honneur des "rescapés" de la presse : les hommes politiques doivent faire montre de tolérance même si ils sont accusés de menteurs et de manipulateurs (Almeida Azevedo c/ Portugal, 23/01/2007). La base factuelle et le débat d'intérêt général disqualifient toute légitime aigreur. "L'homme politique s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle de ses faits et gestes" (Oberschlick c/ Autriche, 23/05/1991). Son seul mérite est de savoir mener sans esclandre la caravane. C'est vain : les juges ne savent pas encore comment protéger l'individu de la presse, ils sont toujours "au 18è siècle". L'Etat, voilà l'ennemi ! Le quatrième pouvoir reste "hors du droit". Pierre Bérégovoy nous l'avait démontré en France.

dimanche 7 septembre 2008

Déscolastiser

Les Turcs ont joué au football contre les Arméniens. Chez ces derniers. Ils ont gagné. Bien sur, loin de moi l'idée de faire une analyse footbalistique. La rencontre a drainé plus de journalistes politiques que de commentateurs sportifs. Et comment ! Toutes les pointures ont fait le déplacement.

Le Président Gül avait accepté l'invitation de Sarkissian. Un pays qui ne reconnaît pas votre intégrité interritoriale, un Pays qui vous accuse d'avoir commis un génocide, un Pays qui occupe les terres d'un Pays frère. "Allez, on fume le calumet ?", "non, non, ça va aller comme ça", "allez", "mais non ! t'es bouché à l'émeri ou quoi ?"

Les remontrances ne se sont pas fait prier. Les nationalistes ont régurgité les mêmes salades : le CHP et le MHP font les panturquistes : "mais comment oses-tu ? Les Arméniens occupent les territoires de nos frères azerbaïdjanais !". Les Turcs n'en veulent pas à plus de 80 %. "Jamais, aussi longtemps que la mer restera capable de mouiller une coquille; les footballeurs, d'accord hein, mais pas le Président; s'il y va, c'est un traître ! Ils vendent la Turquie à l'encan, les cabots".


Les nationalistes de l'autre bord respirent la même effusion antipathique. Petrosyan boude. Ils veulent un truc de ce genre :



Ou au moins :


Pierre Vidal-Naquet écrivait : "La mémoire n'est pas l'histoire, elle choisit, élimine par pans entiers les moments dont l'idéologie impose l'élimination, annule le temps, gomme les évolutions et les mutations (...), l'historien cherche au contraire à retrouver les faits sous les mots, la réalité sous les souvenirs, la vérité sous le mensonge ou la fabulation". Cette citation peut valoir pour les deux parties.

Le CHP (parti dit de gauche) ne veut rien entendre : "nan, nan et nan, le dialogue ne fait pas partie de notre programme". On le croit volontiers. Le MHP (parti de droite nationaliste) critique la tournure "officielle" de l'événement : "Les lampistes, d'accord mais pas le Président !". Or, le "leader éternel" du MHP, le défunt Alpaslan Türkeş dit le Başbuğ (= leader, commandant) n'avait pas hésité à rencontrer Petrosyan en catimini à Paris en 1993 pour améliorer les relations des deux Etats. Un vrai nationaliste. Bien sûr, les bornés n'ouvrent pas trop l'oreille en général; alors on leur explique l'antiquité des relations turco-arméniennes : on commence avec Manzikert, l'aide des Arméniens; on évoque la prise de Constantinople, encore les Arméniens; la défense de Canakkale, encore et encore eux; et que dire de Agop Martayan, le spécialiste et le réformateur de la langue turque, celui qui avait été invité par Mustafa Kemal en personne pour remettre de l'ordre à cette langue (d'où son surnom de "Dilaçar", "celui qui ouvre la langue").

Certains proposent, comme des fautifs soucieux d'effacer les traces du forfait : "allez, on oublie tout et on s'embrasse mais on oublie tout, hein, c'est-à-dire que moi, je m'engage à oublier ta félonie lors de la Première Guerre mondiale, ne t'excuse pas, mon brave !". L'Edit de Nantes qui, comme on le sait avait tenté d'apaiser les conflits religieux, avait une belle phrase : "la mémoire de toutes choses passées (...) demeurera éteinte et assoupie comme de chose non advenue". C'est beau. Mais un peu fort. D'ailleurs, le Président Gül a offert à son homologue un vase de Mevlana sur lequel figure cette pensée : "Kusurları örtmekte gece gibi ol" : "Sois comme la nuit pour enfouir les défauts". Un commencement...

D'autres ne cachent pas leur joie : "T'as vu, ça ressemble au match de ping pong entre les Etats-Uniens et les communistes Chinois. En 1972. Ou comme Sadate et sa visite à Jérusalem" Les références sont altissimes. Comme des Grands. D'ailleurs, les délégations se rencontrent en Suisse. Des contacts indirects comme les Israéliens et les Syriens. Visiblement comme des Grands...

Hrant Dink parlait au sujet de la Turquie et de l'Arménie de "deux peuples proches mais deux voisins éloignés". Il suffit de trouver le joint. C'est un grand pas. Il faut applaudir. Les Turcs avaient proposé une commission indépendante formée d'historiens pour qualifier les "événements de 1915". L'Arménie avait refusé. Personne ne nie les crimes, c'est déjà ça. Ils achoppent sur la qualification juridique. Le Président Gül est passé à côté du Mémorial. Ni gerbe, ni geste, ni parole. Une prière aurait suffi. Le contraire aurait été tout un poème...

mercredi 3 septembre 2008

Rengeinard

Alors que Kadhafi empochait une coquette somme de son ancien colonisateur italien au titre des déconvenues causées à l'époque (200 millions de dollars par an pendant 25 ans soit 5 milliards de dollars), il nous apprenait également qu'il en avait ras le bol de la corruption qui sévit dans son pays. Transparency International s'époumonait : "corruption kills development".

"Ca va, ça va, préparez les louches !" a-t-il ordonné, pimpant qu'il est avec sa batterie de cuisine. Il a donc décidé de supprimer les "administrations", les voleuses. Quoi de plus simple ? La "Grande République arabe libyenne populaire et socialiste" devient, par la grâce de son Guide, libérale. Il a déclaré : "puisque vous vous plaignez toujours, bande de gueux, je vous file l'oseille, démerdez-vous !". Désormais, l'Etat va assurer le service minimal : les affaires régaliennes (affaires étrangères, défense, justice). Les mouvements de bassin ne se sont pas fait attendre, "oh, oh"; les Libyens le croient.

La gabegie et le péculat sont des fléaux. Les dirigeants africains ruminent avec empire la même antienne : "On vous aime, on fait tout pour vous, allez rigolez un peu, on va vous étreindre". Les greluches et paltoquets gommeux contrastent avec les âmes larveuses du Pays. Les rejetons des dictateurs sont toujours fringants. Comme un théorème. Les associations qui luttent contre les détournements de fonds publics s'en étaient pris à Omar Bongo et sa marmaille, le satrape du Gabon, celui qui se fustige le crâne en comptant ses maisons, appartements, hôtels particuliers et voitures de luxe. Bien sûr, la justice n'a d'autre ressource que de "classer". C'est un chef d'Etat, voyons. Les enfants de Mouammar, celui que Dieu a garni en âges, n'en finissent pas de remplir les pages sérieuses des journaux. Avec leurs esclaves. Les fils de tyrans sont condamnés au farniente : Hannibal Kadhafi, Nicu Ceausescu, Vassili, Brahim Déby, Faisal Wangita, Marko Milosevic, etc. En Suisse, si on remue certaines délégations diplomatiques, on en serait abasourdis. Les diplomates des pays pauvres se justifient : "Bah nan hein, redonne mes domestiques, comment veux-tu que je les paie avec ton code du travail, j'y comprends rien moi, ferme les yeux". Au Liban, les domestiques préfèrent le suicide. On s'échappe de cette manière. On rend l'âme, ça va plus vite et c'est garanti...

Bref, la corruption n'est pas que matérielle, une véritable gangrène. Et la dénonciation doit être mesurée. Quand je vais en Turquie par voie terrestre, les raclettes bulgares, sébile en main, réclame toujours un "çorba parası", littéralement "un sou pour se payer une soupe", une rapine. Les diplomates turcs, alertés, n'ont pas osé heurter davantage l'honneur bulgare. Une crise diplomatique pour nos beaux yeux, non merci.

Le fin mot de l'histoire : la démagogie. "Promesse des grands n'est pas héritage" dit un ancien proverbe. On ne se refait pas. Et il a de la chance, lui; personne n'ose lui corner les oreilles.