dimanche 26 octobre 2008

Juristocratie

Alors que les "barbus" du Koweit essayaient de débarquer les deux ministres femmes non voilées, les "glabres" de la Cour constitutionnelle turque nous donnaient, encore une fois, l'occasion d'être la risée du monde entier.

Ils avaient décidé, voilà quelques mois, que les révisions constitutionnelles visant à autoriser les filles voilées à intégrer les universités étaient contraires à la Constitution. Mais les décisions de la Cour étant en pointillés, c'est maintenant que l'on apprend les motivations du dispositif. Le CHP (parti qui se croit de gauche) avait immédiatement saisi la Cour et broder un argumentaire si romancé que les constitutionnalistes, poutant rompus aux spéculations intellectuelles, avaient hésité à chausser leur binocle de peur de perdre du temps à s'indigner pour rien. Le CHP avait ratissé large : le port du voile dans les universités est contraire à la "paix sociale", à la "concorde nationale", aux "droits de l'Homme" (sic), au "nationalisme d'Atatürk" (encore lui), à l'identité constitutionnelle turque, à la séparation des pouvoirs, à la démocratie, la laïcité, l'Etat de droit et même à l'Etat social.

Les fameux 9 juges (sur 11) ont donc embrassé ce joli travail de réflexion. Le motif de base : le voile peut troubler l'ordre public. Comment ? En faisant trembler celles qui ne le portent pas. Pourquoi ? Elles peuvent être soumises à des pressions. Quand ? Un jour.

D'accord. Il est à noter que le Président de la Cour, dont la femme est voilée, a couché une opinion dissidente pour le moins brutale à l'endroit des juges majoritaires : "Les universités ne sont pas des camps militaires; le souci légitime d'assurer la discipline dans les campus ne doit pas être l'occasion d'imposer à des filles majeures un mode de pensée uniforme". Le deuxième juge minoritaire est encore plus direct : "La décision des majoritaires se fonde sur des possibilités et en tirant prétexte d'un danger qui n'arrive jamais, on viole le droit fondamental à l'éducation" (pour les turcophones, admirez l'écriture et le raisonnement : "Bir türlü gelmeyen, ne zaman geleceği belli de olmayan ama devamlı tekrarlayarak, üsteleyerek, tâze tutularak hemen geleceği vehmedilen (varsayılan), mücerret (soyut) ve mevhum (hayalî, belirsiz) bir tehlike uğruna müşahhas (somut) bir eğitim gasbına göz yumulmaktadır").

Imaginez donc le Président d'une institution tirer à boulets rouges sur ses camarades : "vous avez violé la Constitution". Heureusement, il n'existe aucune incrimination dans le code pénal. C'est étrange, c'est toujours 9 contre 2 dans les décisions de ce genre; et les deux dissidents sont toujours les mêmes. Ils ne sont même pas juristes de formation, par dessus le marché. Mais ils ont toujours le meilleur raisonnement juridique. Bizarre.

"On a raison, j'te dis, et la liberté de conscience des filles non voilées !". Ouais. Et celle des filles voilées ? "Tu m'emmerdes avec tes pinaillages ! On s'en fout de leur liberté, elles sont déjà voilées, quelle liberté ! Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". En réalité, ces juges n'ont aucune raison d'être incompétents. Ils sont aliénés; idéologiquement. Et leur délire devient droit. C'est une décision de justice. Elle s'impose à tout le monde. Mais tout le monde sait que c'est faux. On fait comme si. On joue à l'Etat de droit.

Il faut savoir s'installer dans l'histoire. Dans Plessy v/ Ferguson (1896), la Cour américaine disait que la loi de séparation Noirs/Blancs ne pouvait être comprise comme postulant l'infériorité des Noirs. Et elle déclarait le plus sérieusement du monde : "If (...) the colored race should become the dominant power in the state legislature, and should enact a law in precisely similar terms, it would thereby relegate the white race to an inferior position. We imagine that the white race, at least, would not acquiesce in this assumption". Des rescapés de la raison. On ne retient plus le nom du juge et si, par chance, on a une bonne mémoire, on le garde pour le clouer au pilori; mais on retient toujours une larme quand on entend les noms Harlan ("Our Constitution is color-blind") et Warren ("We conclude that in the field of public education the doctrine of Separate but Equal has no place. Separate educational facilities are inherently unequal").

Le CHP est content, évidemment. "Nous sommes dans l'extrême joie de constater que nous avons toujours raison politiquement et juridiquement". Un journaliste leur rappelle : "il serait bien aussi de temps en temps d'avoir raison électoralement"...

Autre décision attendue : les motivations de la décision condamnant l'AKP comme foyer d'activités anti-laïques. Les juges, dans leur grande sagesse, estiment que les phrases du type "on peut lire des bandes dessinées quand on est enfant, mais il est interdit de lire le Coran", "il faut laisser les filles voilées aller à l'université", "mes filles ont dû étudier à l'étranger", "seuls les théologiens peuvent se prononcer sur la valeur coranique du voile", "je veux un Président pieux", "dire à une fille d'ôter son voile, c'est dire à une femme qui passe dans la rue, enlève ta culotte", "une femme voilée doit pouvoir devenir maire", etc. doivent être perçues comme une menace grave et imminente au principe de laïcité. Mais ils retiennent des circonstances atténuantes qui ont conduit, comme on le sait, non pas à interdire le parti mais à lui infliger une amende pécuniaire, du type : insistance notable à poursuivre les réformes européennes et entrée de la discrimination positive en faveur des femmes dans la Constitution.

Voilà donc : vous êtes chariatistes mais nous remarquons avec plaisir qu'en fait vous êtes loin de l'être. D'accord. "L'hypocrisie n'a pas la puissance de la conviction" (Lamartine).

samedi 25 octobre 2008

La quille

Voilà bien un geste qui piète les plus conservateurs et excite les plus libertins. Une mère, psychologue, a organisé une fête pour célébrer le premier jour des règles de sa fille. En Turquie. Certains rougissent, d'autres toussent, la plupart se taisent et une minorité est plus que ravie : "elhamdulillah, vive l'émancipation".


A la réflexion, on mesure la discrimination qui frappe les jeunes filles qui, par le sang, changent d'état et apprennent, en passant, l'histoire sulfureuse d'Eve. Les états liés à la plus close intimité gênent toujours; une pudicité naturelle qui n'épargne pas les plus olé olé. Mais voilà : la circoncision des marmots ne génère jamais autant de vapeur. Les familles sont émues de l'événement, le père voit son fils devenir homme, la mère reçoit gentillement les cadeaux et pièce d'or (c'est une tradition), l'enfant est comblé et galvanisé. Il devient homme. Les filles se font infiniment plus discrètes lors de leur "passage"; la tradition voulait (mais paraît-il qu'elle n'existe plus) qu'elle reçût même une petite baffe. En guise de bienvenue au monde des femmes. Drôle d'initiation. "Comment as-tu osé ?", "mais t'es folle ou quoi, maman !", "chut! prends ça, paf"...


Les langues se délient, naturellement; les femmes commencent à témoigner, les moins jeunes racontent leur calvaire, les formules diplomatiques à utiliser dans ces moments-là et les précautions retorses à garder en tête. La formule était universellement connue : "je suis malade" affirmait la Dame; petit, on ne comprenait pas; les arcanes cédant, on sait ne plus insister. Par exemple, quand une femme ne prie pas ou ne jeûne pas, on sait. Alors personne n'ose lui montrer le chemin de la chambre où se trouve le tapis de prière. Elle ne se manifeste pas, elle est donc "malade". Une journaliste reconnue raconte ses anecdotes; le classique : noyer les serviettes hygièniques dans le cadis rempli artificiellement. Un peu comme les hommes et leurs préservatifs, des achats inutiles pour passer plus "dignement".


La Direction des affaires religieuses s'est immédiatement déclarée compétente et a fait preuve, il faut le reconnaître, d'une grande ouverture : les seize docteurs de la Loi qui siègent dans le Haut Conseil des fatwas, c'est-à-dire ceux qui donnent un avis religieux en dernier ressort, vont prendre des cours de gynécologie; "non, pas ça, pas le calice", "arrêtez de broncher, vous allez en apprendre des choses, doucement mais vous allez voir, ce n'est pas inintéressant...". Ils ne sont pas ignares en la matière pourtant, ils sont tous mariés. Mais l'expérience ne suffit pas, il faut de la science. Le proverbe le dit si bien : il n'y a jamais de honte en médecine et en religion.


Les théologiens, qui ont l'habitude de donner leur avis sur tout et de s'invectiver à la moindre occasion, réajustent leurs cravates et se lancent : "tiens, après tant d'années de recherche, j'ai découvert qu'une femme peut prier, jeûner et toucher le Coran lors de ses menstruations", "menteur, rétracte-toi !", "c'est toi l'apostat !", "oust !"... Süleyman Ateş, l'ancien "grand Mufti" de Turquie, un des plus libéraux, en profite pour régler des comptes : "l'islam ne considère jamais la femme en règles ou en couches comme étant intrinsèquement sale; l'interdiction des relations sexuelles dans ces moments ne vise qu'à soustraire la femme à une fatigue supplémentaire. Mais la Torah la considère comme impure, haha". Et tiens les références : Lévitique 12/2-5 et 15/19-32. Sans commentaire.


Les théologiens phosphorent à nouveau, les femmes se libèrent, les hommes se taisent, on commence à recevoir des invitations pour fêter les règles de votre fille, on découvre le proverbe "la prison la plus redoutable est celle que l'on se construit soi-même" et finalement on contribue à la marche de l'humanité. D'ailleurs, c'est la recette : l'audace d'un seul suffit à banaliser un tabou. Et on est content. Une hypocrisie de plus dégommée. Tout le monde se lance des oeillades, "t'as bien fait". Les oreilles de la Nation sont circoncises, voilà bien une porte ouverte; quand un seul pisse contre le vent, c'est la tribu qui en pâtit. Nous vivons dans un monde où tout attentat contre les moeurs est perçu comme une victoire sur on ne sait trop qui. Un monde où les profondeurs sont diligemment comblées. "Allez, allez, on s'occidentalise !". Hadi bakalım...

mardi 21 octobre 2008

Reliquats

Il est des principes qui sont universellement reconnus et qui apparaissent, instinctivement, frappés au coin du bon sens; par exemple celui qui rejette catégoriquement la discussion avec les terroristes. Un terroriste. Le mot est froid, la prononciation même trahit un effroi. Comme celle de Maurras. On sent qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Il faut savoir humer les mots. Sans remplir, on ne déverse pas.


On apprend que Hamid Karzaï, tout penaud, essaie de prendre langue avec les Talibans. "Calme Hamid, calme" lui disent les Etats-Uniens; peu importe, il veut montrer qui est le Chef. Les élections présidentielles sont d'ailleurs prévues dans quelques mois, ça tombe bien. Il est temps d'entrer en campagne. "Dans un pays comme l'Afghanistan ?", "Mais bien sûr, les Occidentaux ont au moins établi la démocratie, il faut séduire les tribus". Les Afghans, qui sont, bien évidemment, des citoyens comme les autres, veulent un changement; alors on voit Karzaï sermonner les Alliés : "doucement, voyons, ne faites ce que faisaient vos prédécesseurs, n'allez pas bombarder les civils non plus; doucement. On ne sait plus qui est qui". Pour la frime. Il s'est vité calmé. "Tu veux qu'on parte ?", "bah quand j'y pense, il faut redoubler d'efforts, hein, qu'est-ce t'en penses ?"...




Une respectable coutume en train de se briser : "comment ose-tu te fricasser le museau avec cette engeance !", "C'est le seul moyen de ramener le calme", "mais qui te parle de calme, on veut restaurer le chaos". Lapsus nous disent les conseillers. Bush n'a jamais maîtrisé l'anglais se désolent les responsables. Bon, bon. Le tri aurait commencé : "alors, ce barbu, il nous fait la guerre pour quoi ? Par idéologie, pour de l'oseille ou pour le marché de la drogue ?". L'on veut débaucher les plus "modérés", ceux qui ne luttent que pour des raisons matérielles. On leur remplit les poches et ils changent de camp. On recrute les caméléons, en somme. Joli départ, belle stratégie... On va aller loin avec ces fourbes. Les Turcs disent : "Emanet eşşeğe binen, çabuk iner", "celui qui monte un âne prêté, descend vite".


Jadis, Arafat était un terroriste; assumé en plus : "la lutte armée est la seule voie". Après, on l'a vu à l'Assemblée générale de l'Onu; et à Oslo, sa main "pleine de sang" dirigée vers celle de Rabin; on connaît la suite : le Nobel de la paix... Kadhafi s'était également "repenti", quand, comment, personne ne le sait mais c'est comme ça. Alors, une des premières accolades était venue de la France...


En Turquie, le Premier ministre refuse de serrer la main aux députés du DTP, vitrine politique du PKK; celui-là même qui avait accueilli sur le sol turc les "terroristes" du Hamas palestinien en 2006. La lassitude du peuple dans la lutte contre le PKK le pousse à discuter avec Barzani, épouvantail jusqu'alors. Une autre épine est ôtée. Et certains affirment clairement qu'il est impossible d'établir la sérénité sans Abdullah Öcalan, le terroriste en chef qui croupit dans une île-prison.


Certes, on voit mal les Américains s'asseoir autour d'une table avec Ben Laden; d'ailleurs, on ignore sur quoi les négociations porteraient. On ne connaît ni les griefs ni les remèdes. Seule la mort de l'une des parties semble l'issue. La revendication doit être "sensée"; rien de cela dans ce cas de figure. En Colombie, Uribe, dont on n'a jamais rien compris à la stratégie, a repris de la vigueur; le combat à outrance. D'ailleurs, les Révolutionnaires ne savent vraiment plus ce qu'ils veulent. Alors, on évoque la tradition. Beaucoup de pays ont leur boulet; et presque tous resserrent les boulons. "Pas de pitié pour les sanguinaires". C'est vrai. La vengeance, c'est le nom que l'on emploie souvent pour effacer les conséquences de notre propre injustice.


La conscience universelle a connu multitude de guerres au cours de l'histoire et dans différents espaces : on se fâchait, on s'insultait, on combattait, on tuait, on s'horrifiait de ce que l'on était capable de faire alors on réfléchissait et on signait; les ennemis côte-à-côte. Et personne ne pondait des inepties du genre : "comment peut-on discuter avec nos ennemis !". Il le fallait bien, c'est la loi du combat, il faut une fin. "N'importe quoi, c'est un peu tiré par les cheveux !".


Il faut savoir lutter efficacement contre ce fléau qui assèche la richesse et l'énergie d'un pays, par tous les moyens. "On fait de bons terroristes avec les fils des suppliciés" (Malraux). Un cliché certes mais la clé aussi : il faut attaquer les causes autant que les symptômes. "Ah, bah, ça, ne m'en parle pas !"...

vendredi 17 octobre 2008

Pandémonium

Alors que les dirigeants du monde entier se tâtent les poches pour sortir les quelques centimes qui leur restent et les filer aux banques paralysées par la gabegie de leurs patrons, certains, narquois, nous livrent du Karl Marx. "Il avait raison l' Vieux, le capitalisme creuse sa tombe, préparez-vous".
Moi, qui suis ignorantissime dans le domaine économique et financier, je n'arrive pas à me forger un avis clair. Les termes sont arides, les figures pâles, les regards mornes. Ca n'attire pas. Mais il faut bien se composer un avis, les milliards tintent, on dresse l'oreille.
Il faut aider les banques, nous dit-on, sinon c'est la pagaille universelle. Bien sûr, les économistes nous parlent de leurs théories, de leurs recettes, on ressort Keynes. Paul Krugman, le nouveau Nobel, ne sait plus à quel micro donner sa voix, Jacques Attali dit des choses avec un joli col Mao, on s'interroge, Joseph Stiglitz s'en prend à Paulson, l'Europe relit le pacte de stabilité pour y trouver les exceptions, et "sous le Pont Mirabeau, coule la Seine"...
En Angleterre, Thatcher se désole, en Chine, le secteur immobilier est touché, le FMI et la Banque mondiale, main dans la main, font des pronostics; la France concocte une nouvelle loi de finances, comme d'habitude, nos dirigeants sont toujours optimistes pour le taux de croissance. D'ailleurs, notre Président l'a décrété : "ne vous inquiétez pas, on ne va pas utiliser ces fonds, c'est juste une mesure de confiance, c'est un appât pour dire urbi et orbi que l'on se porte bien". Il faut sans doute le croire. Le PS aussi bouillonne : alors par compassion nationale, on veut reporter le Congrès de Reims, on s'abstient sur le plan proposé par le gouvernement et Manuel Valls nous apprend, à l'occasion, que le Parti manque d'hommes d'Etat. Il ne faut surtout pas avoir l'air de soutenir le Gouvernement. Même au nom de l'intérêt national... Ca s'appelle un parti d'opposition.
Même les religieux apportent leur grain de sel. Le pape parle d'un signe divin, une sorte de "main réellement invisible" pour le coup : "le genre humain est en déliquescence, il récolte ce qu'il a semé; pauvres hérétiques, arrêtez de forniquer, arrêtez de construire des temples en l'honneur de l'argent, abattez l'usure ou ça va chauffer...", "encore la faute à Dieu, tu vois".
Les Russes, toujours fiers, nous assurent que cette "infection américaine" ne les touchera pas. Entre-temps, elle touche John Mc Cain; Obama s'envole, on a trouvé un domaine de connaissance à l'Incompétent. L'argument du "Commander in Chief" avait déjà pris de l'eau, Bush en personne ayant commencé à mettre en oeuvre les propositions du candidat... Obama. Le Balafré, c'est cuit. "Regarde, il n'arrive même pas à lire un prompter, c'est comme Chirac, ça fait guindé". Le talent ne s'invente pas. Tiens, voilà au moins une conséquence "heureuse" : Gordon Brown, essoufflé, jette l'éponge pour son projet consistant à passer de 28 à 42 jours "la durée maximale de garde à vue pour les personnes soupçonnées de terrorisme".
Voilà donc. On aura vu une belle crise économique et financière à raconter dans nos jours les plus avancés. Les uns renient leurs dogmes, d'autres revigorent les leurs. Il est bon d'avoir des jordonnes dans ces moments de crise. Célérité aussi. On pourrait faire du "populisme" : "et les gens qui meurent de faim, regarde il y a un milliard de gueux dans la planète, et pour eux, pourquoi cette lenteur, bande de lâches !". Question de priorité. "Mais non, c'est pour un p'tit moment, après on revient vers vous, hein, promis, patientez s'il vous plaît".
Le proverbe a encore une fois raison : il n'y a que le provisoire qui dure. Et la prose aussi. Et le calvaire. Des sous, il n'y en aura plus, c'est sûr. Mais nous ne voudrions pas montrer à notre père comment faire des enfants; nos dirigeants savent mieux que nous; "allez, hein, arrête tes conneries en branche, on arrive, j'te dis, il faut laisser les morts ensevelir les morts". Heureusement, les ONG sont là; pour un moine, l'abbaye ne chôme pas.

mardi 14 octobre 2008

Ask-i Memnu - Jenerik

G. Rossini - William Tell Overture (Finale) - Karajan 1983

Les sultans ottomans se rendaient à la prière du vendredi avec cérémonie (dite du "selamlık") et voilà un des morceaux qui les accompagnaient... (selon Hans Christian Andersen).
Karajan admirable !

dimanche 12 octobre 2008

"Aufklärung bornée"

Les discussions sur Atatürk ont toujours une coloration traumatique. Certains ont peur de découvrir des choses "sensées", d'autres crient à une crapulerie fort indécente. Malheur à ceux qui l'étudient, l'analysent, le décortiquent ! "Comment oses-tu ? T'es hérétique ?"...


Mustafa Kemal aimait les femmes et l'alcool. Il n'a rien inventé. D'ailleurs, ses deux passions ont empoisonné sa vie. J'aurais préféré qu'il ne bût pas, pour rester plus longtemps à la tête de la République. Pour empêcher l'éruption de ses pseudo-suiveurs. Et épargner aux Turcs le désastre dans lequel ils les ont flanqués. Mais les grands hommes n'ont jamais le temps de s'installer au pouvoir, ils construisent et s'en vont, c'est comme ça.


Le ministère turc de l'éducation nationale a décidé d'enseigner aux élèves de terminale les rapports qu'entretenait Mustafa Kemal avec la religion. Toujours ce souci de montrer que l'Eternel était pieux, du moins qu'il ne crachait pas sur la révélation, qu'il aimait les affaires religieuses; n'est-ce pas lui qui a fait traduire le Coran et les hadiths en turc ? qui a magnifié l'islam et son Prophète ? vanté la conscience spirituelle ? mis sur pied la Direction des affaires religieuses ? et épousé une voilée ?



Quand on commence à justifier quelque chose avec transport et sans raison apparente, on finit par foutre l'encensoir partout, si bien que l'on réveille le doute et la suspicion jusque-là laborieusement apprivoisés. Du Gribouille.


Un journaliste s'est lancé : "comment prétends-tu cela ? Tu veux dire, quoi, M. le Ministre ? Que le Grand Mustafa Kemal, celui qui a revigoré la Nation, celui qui a miraculeusement bouté les ennemis hors de nos frontières légitimes, celui qui a modernisé les institutions, celui qui a illuminé l'esprit et l'intelligence turcs, n'est qu'un vulgaire admirateur de la religion islamique ?". Et le clou tombe : "tout le monde sait qu'il était un quasi-mécréant". Un croyant ne saurait faire ces merveilles, il est forcément rétrograde, incompétent, inutile; Lamartine écrivait au sujet de Mahomet, "Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l'immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l'homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l'histoire moderne à Mahomet ? Les plus fameux n'ont remués que des armes, des lois, des empires; ils n'ont fondé, quand ils ont fondés quelque chose, que des puissances matérielles, écroulées souvent avant eux. Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d'hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes. (...) Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquerant d'idées, restaurateur de dogmes rationnels, d'un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d'un empire spirituel, voilà Mahomet. A toutes les échelles où l'on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand ?...". Une conjugaison est donc possible.


Le ministre de l'éducation n'a jamais trouvé grâce aux yeux des laïcistes; il encense Atatürk mais mal; au travers de la religion, détestable. Fallait qu'il fût sincère, "dis-le, qu'il était agnostique, que c'était de la comédie, son attention pour l'islam, qu'il était opportuniste, qu'il voulait seulement ceinturer les conservateurs, qu'il se foutait complètement de la religion, dis-le, nom d'une pipe, pour une fois que tu peux le dégommer !". Quoi qu'il fasse, ça ne passe pas.


Le Président Sarkozy avait attisé à sa manière : "Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance". Comment pouvait-il "errer" à ce point-là ? "Euh... ouais... mais la loi de 1905, tu la touches pas hein ? Non parce-que la frocaille et la prêtraille... voilà quoi".


Avoir des repères et des valeurs exaspère certains : "l'ère de l'hédonisme, mon cochon, n'déconne pas, allez, rejoins-nous", "je suis bien comme ça", "ils t'ont ensorcelé, my boy, viens donc, voilà le philtre; pourquoi tu crois, t'es con ?". J'ai remarqué que ceux qui prétendent critiquer la religion et "bénir" l'athéisme ou l'agnosticisme ou le relativisme, le "coolisme", n'ont que l'injure à la bouche; alors on leur demande s'ils sont polis. Ehontés, ils rétorquent : "liberté d'expression". Bon. On l'a dit, les valeurs sont devenues des foutaises. L'impudence est devenue sacrée; on veut faire mal pour le plaisir d'utiliser sa liberté d'expression. Les sphères du non-droit ne sont plus en vogue. "J'ai le droit d'insulter non ?" C'est bien. L'injure non publique est une infraction punie d'une amende de 38 euros. Ca sonne rétrograde que de poursuivre quelqu'un de ce chef.


En réalité, c'est de la présomption : nous, nous savons, toi, tu es dans l'erreur; forcément. "Libère-toi". Des baveries. Le christianisme était-il aussi obscurantiste et à ce point étouffant pour que l'Occident soit, bizarrement, le seul pourvoyeur de cette espèce ? Lorsque Ingrid recouvra la liberté, elle déclara : "Ma foi m'a sauvée". "Qu'est-ce qu'elle raconte, cette folle ! Allez, on se tire...".


Des névrosés enfilent cette posture parce-qu'ils ont une noise personnelle avec Dieu. Et ils cherchent castille à ceux qui se définissent croyants. Le scénario classique : le délaissé veut nuire. Parce-qu'il aime. "I hate and I love, who can tell me why ?" (Catullus). Les dissidents d'une chose en sont, paradoxalement, les premiers adorateurs. Les athées sont sans doute les plus fidèles parmi les êtres humains, allez savoir...

vendredi 10 octobre 2008

La Haute Botte

Les militaires sont nécessaires dans une société. Aucun doute, il faut bien se défendre. Vivre en sécurité. Et ils font leur métier, les armes à la main. Certains font plus que leur métier, d'autres moins.

Il est des généraux qui ne "rigolent pas". Ceux de la Birmanie, par exemple. Ils ont libéré un vieux prisonnier politique, U Win Tin; on est contents; "t'as vu, ils s'adoucissent ", "rêve pas mon grand, les portes de l'Assemblée générale de l'ONU s'ouvrent, c'est pour ça, de la poudre". C'est vrai que les généraux qui géhennent la Fille du Père de l'Indépendance ne méritent aucunement le bénéfice du doute.

En Thaïlande, où les factions se déchirent sous le haut patronage du Roi, le Bien-Aimé et richissime Rama IX, le chef de l'armée de terre a lancé à l'endroit de ceux qui appellent à l'intervention de l'armée : "merci, coco, l'armée ne sert ni le gouvernement (sic) ni l'opposition; tu crois quoi ! que c'est facile de mener la barque ! les coups d'Etat ne servent à rien, on s'y refuse". Démocratissime. Tout de même bizarre, une armée qui refuse de secourir le gouvernement. Pas tout à fait parfait. En France, c'est la Grande Muette; mais ils obéissent, les nôtres, aux gouvernants. Le Général Cuche en est un rescapé.

Bien sûr, la Turquie fait figure d'exception. On apprend que le chef d'état-major de l'armée de l'air vaquait à ses passions sportives au moment où les militaires se démenaient contre les terroristes du PKK; pendant 9 heures sans l'intervention des avions F-16. Le Général jouait au golf.

Bien sûr, le service de communication des armées a trouvé bon de préciser qu'il n'était pas interdit de jouer au golf et surtout que le Général n'avait pas été mis au courant de ces échauffourées. On avait déjà compris que le service de renseignements de l'armée laissait à désirer; maintenant, on apprend que le service d'informations est, lui aussi, défaillant. Ca s'appelle la deuxième puissance militaire de l'OTAN...

Les militaires sont les nobles. Rustres qu'ils peuvent paraître, ils ont de la branche. En Occident, les gens qui font partie de l'aristocratie et qui, à longueur de temps, vous apprennent comment manger, comment saluer, comment s'asseoir, etc, le sont par la grâce de leurs aïeux militaires. La rustauderie s'est effacée avec le temps (je ne parle évidemment pas des faux nobles que sont ceux qui descendent de la noblesse de robe). En Turquie, on les envie; alors, on adopte leur mode de vie : golf, salon, réception, bal, etc. On les appelle des généraux "mon cher". Quoique. En France, le Général Jean-Louis Georgelin n'a pas connu les affres du terrain non plus; des militaires en chambre. "Tais-toi, dissident, on ne va pas inventer des guerres !". C'est vrai.

Les militaires jouissent quand même d'un grand respect parmi les Turcs. Non pas qu'ils aiment leurs beaux yeux, mais simplement la conscription fait qu'ils s'y intéressent malgré eux. La raison pour laquelle l'Armée n'est pas très enthousiaste pour la professionalisation. Et ils sacralisent le service militaire; une vision spartiate du devoir principal de tout Turc. Les familles tombent dans ce piège aussi; les mères qui viennent de perdre leurs fils, morts aux combats, répètent inlassablement le même morceau : "j'en ai encore un prêt au combat". La famille pousse donc immédiatement le puîné, déjà emballé. Tout Turc a quelque chose de sacré à perdre : sa vie. Même scène pour les mères palestiniennes. Alors que les deux situations sont radicalement différentes. Peu importe, il faut penser de cette manière. Béni-oui-oui.

Ils les aiment tellement que même un "intellectuel", le Président de l'Université d'Istanbul préfère inviter à la rentrée universitaire, des généraux plutôt que le Président de la République ou le Premier ministre; "moi, je n'inviterai jamais ces gens-là; l'université est impartiale; d'ailleurs, je n'inviterai jamais Yaşar Kemal ou Orhan Pamuk". C'est bien. L'un, figure emblématique de la littérature turque, l'autre, prix Nobel de littérature en 2006 (félicitations, en passant à notre Le Clézio national pour le Nobel 2008). La passion des bottes. "Misérable, arrête de chercher des crosses, allez, rentre dans le rang".

A laver la tête d'un âne, on y perd sa lessive, dit le proverbe. La troupe des lécheurs de bottes, heureusement, dégraisse. Les appels à la démission se multiplient; mais l'inconscient ne lâche pas prise : ceux qui émettent ces appels prennent soin d'écrire : "je pense que les dirigeants à la mie de pain, doivent s'en aller, militaires ou politiciens". L'attaque directe n'est toujours pas dicible; on a peur, voyons, ils ont les armes, eux; et de la gueule surtout. Il faut édulcorer. Prise de consience est là, au moins. La mort des uns stimule la bouche des autres. D'un mal, sort le bien. C'est le seul réconfort; espérons que les traîneurs de sabre penseront à ce joli mécanisme qui existe et qui grandit celui qui l'emploie : la démission. "Mais t'es fou, en pleine guerre ! Tu veux qu'ils s'en réjouissent, les terroristes ! Allez, allez". Cause toujours... Quand la cause de la débandade devient la justification du statu quo, on arrête la réflexion. A quoi bon ? Un chapelet à la main, on se lance : hasbiyallah, hasbiyallah, hasbiyallah,...

lundi 6 octobre 2008

Averse de giries

La Turquie pleure. 15 soldats sont morts à Hakkari. Héroïquement. En luttant contre les terroristes du PKK. Des "martyrs". Les Français aussi avaient connu cette situation; 10 soldats.
L'émotion face à la mort est la même pour tous. L'émotion face à ces morts a une autre teinte. En France, le père d'un soldat avait grondé à voix haute, son "bout de chou" était trop jeune, il n'aurait pas dû être en Afghanistan. Le peuple aussi était en colère, qu'a-t-on faire de l'Afghanistan ? C'est où ? Pourquoi ?

Les Turcs sont traditionnellement moins bavares; la guerre contre le PKK dure depuis plus de 20 ans. Chaque famille est touchée. On n'ose pas protester. C'est la patrie, l'anatolie, ses frontières. Ca ne se discute pas.

Heureusement, on commence à s'interroger. Les journaux relatent l'information d'une manière ordonnée : on encense d'abord les morts, on prépare un petit spot sur sa famille, sa veuve, ses enfants, on égrène ses faits d'arme, on relate des anecdotes et nous, les téléspectateurs, nous pleurons toutes les larmes de notre corps. C'est humain. Ensuite, on tente une "petite" discussion : n'aurait-on pas pu éviter ces morts ? Les militaires sont interrogés, on se tourne vers le Chef d'état-major, il parle techniquement, personne ne s'attarde.

Les journalistes sont moins conformistes dorénavant : c'est la cinquième attaque dans cette zone, plus de 40 soldats tués depuis 1992. Tout le monde rage : "ils font quoi nos espions !". L'ancien chef d'état-major de l'armée, le Général Büyükanıt, voulant rassurer ses compatriotes, avait eu cette phrase malheureuse : "on les suit de très près comme dans le Loft Story". Si c'est cela suivre, on a donc évité une guerre en bonne et due forme... D'autant plus qu'ils étaient près de 300 à attaquer, les criminels. "Ne vous inquiétez pas, ils se défont, c'est pour ça qu'ils attaquent". Ouais. Poutine, lui, voulait les poursuivre "jusque dans les chiottes".

L'option militaire va reprendre corps, évidemment; il faut bien éponger le sang des "martyrs". "Nous sommes déterminés à lutter contre ces innommables". On l'espère bien. Le Président Gül devait effectuer une visite en France, annulé; le Premier ministre Erdogan était au Turkmenistan et se préparait à s'envoler en Mongolie, annulé. On a besoin d'eux. Non pas pour définir une nouvelle stratégie, mais pour réconforter la nation. La stratégie, voilà bien un drôle de mot...

En France, une commission avait été formée, on voulait savoir, le ministre Morin balbutiait, comme à son habitude certes, mais une madrerie respirait dans sa gesticulation. En Turquie, c'est la routine, on naît, on vit, on meurt. Le Premier ministre Tayyip Erdogan avait eu, jadis, une "idée" véridique mais difficile à "vendre" : "l'armée, ce n'est pas une sinécure, il faut savoir mourir". Le mot "şehit" (martyr, celui qui a témoigné de sa foi) vient tout droit de la phraséologie islamique; mais l'administration, pourtant astreinte au principe de laïcité, trouve normal de désigner officiellement les militaires morts de cette manière. "Morts pour la patrie", en version laïque.

La résolution du problème est ailleurs, on le sait : lutter contre les "terroristes" n'étant pas forcément une lutte contre le "terrorisme". Une obscure cour a décidé que proférer des menaces de mort contre les membres du DTP (parti pro-kurde) devait être perçu comme une manifestation de la liberté d'expression ! "Tu veux de la liberté, tiens, vas-y !". La Cour constitutionnelle est en passe d'interdire le DTP. Des jeunes turcs et kurdes se sont enflammés à Balıkesir, sur la côte égéenne. La suspicion, la méfiance. Quand on reproche à une mère, mère d'un terroriste, d'aller pleurer devant la tombe de son fils et, ainsi, de faire l'apologie du terrorisme, on n'est pas sorti de l'auberge.

Antoine Garapon, dans l'Esprit (mars-avril 2008, pp. 139-157), résume bien l'impasse : "cette guerre contre le terrorisme est sans fin : puisqu'elle n'a pas été déclaré, elle aura du mal à connaître son épilogue dans un traité de paix". Il nous reste plus qu'à lever les mains et à prier, pensant à cette "philosophie" d'Itzhak Rabbin : "il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociation et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme". En défiant, au besoin, les yeux torves des nationalistes en strass...

samedi 4 octobre 2008

Gausseur malgré lui

Un "bon juge" d'Ankara avait décidé, voilà maintenant quelques mois, d'interdire l'accès à Yootube au motif qu'une vidéo insultait Mustafa Kemal et accessoirement les Turcs, réduits au sobriquet, ô combien déshonorant, de "pédés". Un juge appliqué, donc. Il mériterait, dans le système actuel, une bonne promesse de promotion. "Allez, oust, on siphonne tout ça !".
Le sacrilège fait gémir, on le sait. Les caricatures du Prophète nous l'avaient démontré. D'ailleurs, les braillards ne les avaient ni vues ni "matées". Mais ça ne faisait rien; c'est l'instinct, on s'engouffre dans la colère de peur de rater une occasion de se faire grave. Il faut bien alimenter l'honneur de temps en temps. "Pourquoi vous gueulez ?", "Tu nous a insultés", "Ah bon, et qu'est-ce que j'ai dit ?", "J'chais pas moi, on me l'a dit"...
La censure traverse glorieusement les siècles; une triste lapalissade. Mais ses modalités changent, évidemment, elles "s'adaptent". Un autre juge d'Istanbul a, quant à lui, interdit l'accès au site de Richard Dawkins, le célèbre "darwiniste", sur la requête de Harun Yahya, le non moins célèbre créationniste turc, celui qui avait eu l'audace d'inonder de ses livres les écoles européennes. L'argumentation juridique reposerait sur la diffamation. Bien sûr, la décision du juge paraît quelque peu surannée. D'ailleurs, le site de Dawkins ne manque pas de rappeler cette situation à la face du monde : "banned in Turkey".
Les conservateurs, en Turquie, sont les hommes de gauche (la gauche qui se dit gauche). C'est comme ça. Alors on les comptabilise : les militaires, les magistrats, le CHP, les hauts fonctionnaires, etc. Ceux-là même qui avaient soutenu officieusement les grandes démonstrations d'avant l'élection présidentielle pour "sauver" la laïcité et rejeter l'iranisation ou la malaisisation. Ils doivent être bien contents, on est en plein dedans par le fait... d'un des leurs.
Son fils lui a demandé le soir : "c'est toi qui a tout bloqué papa ? T'es vraiment un blaireau !", "C'est ça, ouais, tu seras bien content quand je serai nommé à la Cour de cassation !". L'acharnement ne vient jamais seul; un juriste, apparemment gêné aux entournures, lui a demandé ce qui l'a poussé à prendre cette décision. Sa réponse fut on ne peut plus brutale : "franchement, garçon, j'ai visionné et j'ai apprécié souverainement; d'ailleurs, je ne comprends rien, moi, à internet, à google, au hosting, etc.". On l'avait compris. Les plus futés ont trouvé rapidement les biais : "alors, mon petit salaud, t'as trouvé une faille !". Entre-temps, le monde, alerté par ses espions officiels, en rit : "eh ben, quel siphon, celui de ce pauvre misonéiste !".
Le droit a été bafoué; on a condamné la technologie, elle nous a fait un pied de nez en ouvrant ses autres portes d'entrée. On peut interdire, heureusement; la sanction, c'est le socle de la société. Il faut savoir jouer avec l'étau, sans tomber dans la chienlit ni dans la rigidité. Il faut surtout instruire les juges. D'accord, le juge n'a pas à penser aux conséquences politiques ou aux implications diplomatiques de ses décisions, c'est la séparation des pouvoirs; d'accord, il ne fait qu'appliquer un texte qui lui donne ce pouvoir, c'est encore une fois la séparation des pouvoirs; d'accord, il est n'est pas très au point sur les nouvelles technologies, la faute au système éducatif. Il est passif dans l'affaire, rien à lui reprocher.
La disposition d'esprit d'un juge n'est pas exclusivement dépendante des données exogènes, il a forcément une raison. Forcément; il est juge. D'ailleurs, pour leur prouver, on les envoie auprès de leurs confrères européens pour, comment dire, promouvoir l'échange et accroître leurs compétences. Et quand ils reviennent, on les interroge : "alors, qu'est-ce t'en penses ? Ils sont accessibles, hein ? Très ouverts, cultivés, souples, mesurés, de bonne composition, hein ?", "j'aime bien leur robe"...
Les Pontes de Strasbourg sont autrement constitués, y a pas photo : on demandait déjà aux hommes politiques de ne pas trop s'indigner contre les outrances verbales; maintenant, on demande aux personnages "néopublics" à savoir les personnes qui ont une activité privée qui suscite polémiques et débats, de faire preuve d'une égale endurance (Chalabi c/ France, 18/09/2008). Tous les éléments pour souffler au Sieur Yahya qu'il a tort dans ses prétentions.
On l'avait compris, ce n'est pas une histoire de droit, c'est une question de civilisation. Il faut être "asrî", pour reprendre un terme du vocabulaire hiératique des laïcistes, "moderne", "contemporain", "adapté", séculier, en somme. Des modernes conservateurs. Une blague. Quand on est instruit comme un rez-de-chaussée, on aboutit à cela, immanquablement. Et le monde continue de rire, yeux en boules de loto; hurlons avec les Sages.