jeudi 28 janvier 2010

Liberté pour le niqab !

C'est que le petit père Copé insiste. Il veut une loi. Et 190 députés portent sa livrée. Il est content. Non pas parce-qu'il fait avancer une quelconque cause mais parce-qu'il montre tout simplement à celui qu'il envie le plus, Nicolas Sarkozy, qu'il a des biceps. Démonstration de force. Le Nargueur. Pure politique. Mais c'est une liberté qui est appelée à trinquer...


Nous vivons dans un des rares pays où l'on se permet de "réfléchir" avec ardeur et bonne humeur sur la violation de la liberté religieuse (rappelons-nous la presque désolation nationale lorsque nos députés avaient abrogé "par inadvertance" le texte qui aurait permis la dissolution de l'Eglise de scientologie). Un délire national. Chacun gourmande comme il peut. C'est qu'il faut apaiser le "peuple". Celui qui fixe du regard la femme trop voilée qui passe par-là, celui qui pense sincèrement défendre la dignité de la femme, ou encore celui pour qui l'islam est une bête d'aversion. Le débat sur l'identité nationale nous a permis, elhamdulillah, de constater que nombre de nos concitoyens non-musulmans n'étaient en réalité que des démocrates de carton-pâte. On a vendu de l'anti-musulman sur la voie publique. Et personne n'a sifflé la fin de la récréation. Adieu Monsieur Sarkozy. "Tiens, j'voterai en musulman à la prochaine élection", "arrête de dire ça, c'est contraire à la Constitution, pas de communautarisme coco, tu me fais peur"...


Des politiques nous ont arrosés de "bourdes" tellement mémorables que l'on s'est demandé s'il ne fallait pas creuser un peu plus du côté de l'inconscient; des philosophes ont dit des choses. Evidemment. Ils sont payés pour tenter de plaquer leur théorie sur la vie des gens. Les "amis de la sagesse". D'autres "spécialistes" s'amusaient à discourir sur la psychologie de ces femmes, nécessairement soumises par le mari ou le frère ou le père et subjuguées par l'imam du coin, un intégriste, fondamentaliste, salafiste, wahhabite. Bref, les fameux "testeurs de la République".

Evidemment, "l'objet" du crêpage, les femmes niqabées, n'ont pas eu à ouvrir la bouche; c'est que précisément, elles n'étaient pas libres. Et quand Kenza la Niqabée assuma un choix individuel, personne n'écouta, on parla immédiatement d' "exception"; histoire de ne pas remettre en cause notre belle théorie, un gagne-pain... Nul besoin donc d'interroger une bête. Les "Républicains" les défendaient. Un joli parterre : féministes, laïcistes, racistes. Et le meilleur pour la fin, les membres de la mission d'information, ont fini en beauté : en s'écharpillant eux aussi. Les Myard, Gerin, Raoult, Glavany, etc. Les socialistes se sont rendus compte que le débat ("légitime") sur le voile intégral était pollué par celui ("ignoble") sur l'identité nationale. Bien. Et s'il y a bien, aujourd'hui, une mode pour la droite, c'est de se dire laïque quand l'islam est en cause...


Tout le monde est donc d'accord : on doit aimer la République. Ca ne me botte pas. Je n'ai évidemment rien contre la République (même si le système monarchique avait mes faveurs dans ma tendre jeunesse) mais je m'oppose à son adoration. Je suis partisan d'un Etat qui n'a aucune coloration, aucun penchant idéologique (si ce n'est le libéralisme politique qui doit être la "fitra" de toute société); un Etat sans inconscient. C'est l'individu qui prime pour moi, son épanouissement, pas des concepts. Concept de République dont, d'ailleurs, les principaux piliers sont malmenés : la Liberté fait doucement rire dans un pays où la moitié de la population a connu la garde-à-vue. L'Egalité n'est plus prise au sérieux depuis bien longtemps. Et on reparlera de la Fraternité quand les clochards ne mourront plus dans les rues...


La liberté individuelle prime. Et je persiste à rappeler le modèle américain où "la règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique (un drapeau piétiné, ou mutilé, ou brûlé) ou religieuse (un foulard, un turban, une kippa), voire raciste (les incendies de croix du Ku Klux Klan, pour autant qu'ils soient pratiqués sur un terrain privé) n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions (par opposition à sa vie, à sa liberté ou à sa propriété qui, elles, doivent être protégées par l'Etat contre les atteintes des tiers); en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent" (Elisabeth Zoller, "Les rapports entre les Eglises et les Etats aux Etats-Unis : le modèle américain de pluralisme religieux égalitaire", in Gérard Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, 2006, p. 45).


A partir du moment où une femme décide, conformément à sa propre lecture coranique, de porter librement le niqab, elle mérite aussitôt le respect au nom de la liberté de religion. Toujours en vigueur dans ce pays. Mais ce n'est pas parce-qu' il y a trois femmes qui le portent par la contrainte que l'on doit interdire ce vêtement. Ca revient à prohiber la vie commune parce-qu'il y a des violences conjugales ! Personne n'est obligé de vivre selon ce qu'Elisabeth a dit, ce que Caroline a souhaité, Dounia rêvé, Rousseau prévu...

Dire que c'est une atteinte à la dignité humaine voudrait dire que c'en est une dans tous les coins de la planète; tous les recoins de l'universel. Sauf à considérer que la dignité en France ne saurait être la même que celle conçue dans d'autres pays. Les pays dont les habitants n'ont pas pu "entrer dans l'histoire" par exemple. Du relativisme à l'envers ! J'imagine les diplomates à la tribune du Conseil des droits de l'Homme ou de l'Assemblée générale des Nations-Unies; à n'en pas douter, la délégation française se fera huer... Tiens, parlant de dignité, il faudrait mettre sur pied une mission pour savoir comment on peut "sauver" les moines silencieux de la Grande-Chartreuse aussi, ils sont privés de parole, c'est inhumain tout de même ! Mais personne ne bougera le petit doigt, bien sûr : ils font partie de l'identité française... On est même en extase devant ce sacrifice, c'est dire...

C'est tout de même ubuesque : tout le monde est unanime pour affirmer qu'une interdiction générale et absolue du voile intégral serait retoquée par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne au nom des libertés fondamentales mais tout le monde insiste quand même pour trouver une "astuce" et l'interdire ! C'est la première fois que l'on assiste en direct aux "travaux préparatoires" de la violation d'une liberté fondamentale, la liberté de conscience ! Nous sommes en pleine cuisine liberticide ! On rêve ! "Allez arrête de chialer pour ces femmes ! Regarde, même en Egypte on ne les considère plus, ce n'est pas ici, en France, qu'on va verser des larmes !"...


L'Etat nous délivre des fatwas au mépris flagrant du principe de laïcité. C'est une question de droit de l'homme. Le syllogisme est biaisé dès le départ, nous n'avons pas les mêmes prémisses. On n'a à sauver personne. On a juste à protéger des êtres humains. "Mais qui t'a dit qu'on considérait ces femmes comme des êtres humains, mon petit ! Il ne manquait plus qu' ça ! On réfléchit à leur place"...

dimanche 24 janvier 2010

Re... re... et re...

Il n' y avait pas que Mehmet Ali Ağca qui pût être taxé de "fou" ces derniers jours; on apprit encore une fois que d'autres "dingues" persistaient dans leur désormais délire obsessionnel : les généraux de l'armée turque. Ceux qui sont payés pour défendre les Turcs. Ils élaborent des plans. On compte sur leur sagesse. Des hommes intelligents, donc. Théoriquement. C'est que ceux de la Turquie sont portés vers la chose politique. Ils en viennent donc à méconnaître leur coeur de métier.


Un nouveau plan de coup d'Etat a été révélé. Un bon pavé de 5 000 pages. Bien détaillé. Bien ficelé. Au cordeau. Un livre que la Turquie a l'honneur d'offrir à la littérature militaire mondiale. Evidemment. Les kilos de sang, les futurs ministres, l'endroit des caméras, etc.; un plan orfévré. Le général-concepteur (un pléonasme disent les mauvaises langues) a renié, comme il se doit : "mais nan, ça s'appelle une simulation dans le jargon militaire, c'est un devoir de l'armée que de prévoir, pfff, arrêtez de gémir !". Un devoir donc. Bien. Evidemment militaire et devoir sont deux notions qui s'enlacent légitimement. Harmonieux. "Ce sont des séminaires" nous a appris l'état-major. Des "scénarios". Des "cas d'étude". Rien de grave. Ouf.


Le contenu est donc authentifié. Les rêveries nécessaires que tout bon militaire doit avoir planifiées en cas de guerre. L'on se penche donc sur ce plan; et l'on découvre qu'en cas de guerre donc, nos généraux avaient prévu de faire sauter deux mosquées à Istanbul (un "vendredi" précise bien le document, tant qu'à faire...), de faire tomber un avion turc pour accuser la Grèce et entrer en guerre avec elle, d'arrêter une trentaine de journalistes, de changer le Gouvernement, de changer certains maires, etc. etc. Voilà donc. Evidemment, l'armée dit ne voir là que des plans de défense. Promis, on y croit. De là à bombarder des mosquées quand les forces ennemies débarquent sur le territoire turc, je n'ai toujours pas saisi la connexion. Qui plus est un vendredi alors que les ennemis seraient là à compter d'un lundi, cela dépasse mes capacités. Des généraux, voyons.


Le fait est que cela s'appelle dans la langue verte, un "foutage de gueule". Pour les rustauds, évidemment. Au niveau soutenu, contentons nous d' "impertinence". Un devoir, donc. Faire sauter des mosquées, faire tomber un avion, rafler tout ce qui bouge, etc. sont donc des devoirs. Affaire de conception. Le code pénal est donc une déclinaison de devoirs pour les généraux. Les gens normaux appellent cela, "tentatives d'assassinat".


Il faut réfléchir deux minutes; si tant est que l'on puisse parler de "réflexion" dans cette configuration : ces pachas veulent le pouvoir, on l'a compris. Car ils veulent sauvegarder le principe de laïcité (évidemment la sauvegarde des principes de démocratie ou d'Etat de droit n'est pas suffisante en elle-même pour entraîner coups d'Etat). D'accord. Mais il y a un hic : s'il y avait des raisons objectives, on aurait compris et donc, en bon kémaliste, béni l'intervention militaire, mais il n'y a aucune menace à la laïcité; la preuve : ce sont eux-mêmes qui créent le spectre. Il ne nous reste plus qu'à déverser les qualificatifs : hypocrites, menteurs, rabiques, psychopates. Ils ne sauvent rien, au final. Il n'y a rien à sauver...


Ils ne servent donc qu'à affoler. A tuer. Des militaires. Des généraux. Qu'est-ce qu'un général ? Voilà un bon sujet de thèse en sciences politiques. Celui qui chipe les grades à mesure que la haine contre son propre peuple gonfle. Il faut avoir de la malice pour aller loin. Un bon général, c'est avant tout un homme qui ne rigolle pas. Il le dit si bien Ahmet Altan, le rédacteur en chef de Taraf, journal qui déniche ses plans : "c'est l'institution dans laquelle ces gens-là ont le grade de général que vous appelez armée ?".


Lorsqu'il y a des nouvelles de cet acabit, les médias se tournent automatiquement vers l'ancien chef de l'état-major, le plus "démocrate", Hilmi Özkök. Et comme à son habitude, ce dernier refuse de "balancer" ses anciens potes. Ceux qui voulaient le débarquer pour qu'il ne gêne plus leur dessein. C'est devenu l'oracle de la République. Dès qu'il y a un plan de coup d'Etat qui "gicle", tout le monde est à ses trousses; "c'est vrai ce plan ?", "j'sais pas !", "allez arrête de déconner vieux, dis la vérité !", "mais laissez-moi à la fin, j'envie de vivre le restant de ma vie en grand-père, pas en chef d'état-major en retraite !"... Est-ce si difficile de confirmer ou d'infirmer ?


Tiens, la France a décidé de supprimer le tribunal aux armées de Paris. Justice ordinaire pour tout le monde; et en Turquie, la Cour constitutionnelle vient de déclarer inconstitutionnelle une loi qui élargissait pour certains cas la compétence de la justice "civile" (c'est-à-dire ordinaire) aux militaires. La normalité est donc contraire à la Constitution; ce qu'exige l'Etat de droit est contraire à la Constitution turque. C'est ainsi. C'est un parti de gauche qui avait saisi la Cour; Deniz Baykal. Un homme qui devient de plus en plus piteux, à vrai dire. D'ailleurs, personne ne l'a encore entendu sur cette dernière affaire...


Une armée nationale. Tout le monde a envie de dégorger quand son nom est prononcé. Même un militariste chevronné ne comprend pas. C'est dommage. La Turquie n'a même pas d'armée, en vérité. C'est devenu un parti d'opposition. Il faut donc revenir à l'embranchement. Une prophylaxie s'impose. Assurément. Il faut délaisser le tamis; il faut un plumeau. Et continuer à tympaniser jusqu'à la victoire. Celle de la démocratie et de l'Etat de droit.

jeudi 14 janvier 2010

Bouffonnerie

L'on sait que l'Egypte et Israël, main dans la main, essaient d'étouffer Gaza; c'est qu'ils ont un ennemi commun : le Hamas. Le peuple, passez l'expression, on s'en fout. Hosni n'aime pas l'opposition, comme on le sait. Or il s'avère que les Frères musulmans soutiennent le Hamas. Il faut donc étrangler. Madame son épouse a essayé de l'attendrir en versant quelques larmes, ça ne marche que quelques heures. Et séparer les chambres ne fait plus vraiment effet, il n'est plus très jeune. Voilà donc : un pays arabe et un pays judéo-arabe (donc sémite à 100 %) oppressent un peuple "frère". Il y a de la haine, du mépris, de l'insouciance.


Entre-temps, le Turc est toujours en train de "gueuler"; et de se faire respecter. Rappelons-nous : l'an dernier, Erdoğan avait cloué au pilori le vieux Pérès à Davos; résultat, c'est ce dernier qui demanda pardon. Voilà donc un nouvel épisode dans les relations turco-israéliennes. C'est que le vice-ministre des affaires étrangères israélien a humilié patemment l'ambassadeur de Turquie; il l'a fait asseoir sur un fauteuil plus bas que le sien, a refusé de lui serrer la main et a délibéremment omis de faire poser un drapeau turc à côté du drapeau israélien. Tout cela devant les journalistes, appelés spécialement à cet effet. Et il était content, Monsieur le Vice-Ministre; il se tourna vers les journalistes israéliens et dit en hébreu qu'il était bien content d'infliger ce sort à Son Excellence. Autant pour lui. L'ambassadeur est le représentant direct du Chef de l'Etat; il représente donc l'Etat et non le gouvernement. C'est donc le Président Gül qui a dénoncé cette mise en scène et demandé des excuses publiques de la part d'Israël.


Haineux qu'ils sont. Le vice-ministre des affaires étrangères; quand on sait que son ministre de tutelle, Avigdor Lieberman, est un ancien videur, on comprend... Heureusement qu'il existe des gens sensés : "Humiliation is not a policy". Monsieur le ministre s'est donc excusé. Tıpış tıpış. Et qui a ordonné au vice-ministre d'avaler son chapeau ? Pérès, encore une fois. Evidemment, s'en prendre au Grand Turc sans "payer" est impensable. Ce n'est ni le Hamas ni le Liban ni on ne sait quel autre pays. Le Turc est avant tout un héritier; c'est un Ottoman. Le respect est de mise. D'ailleurs, la Turquie ne crée-t-elle pas son propre "réseau" ? Syrie, Iran, Liban. Et Tayyip Erdoğan ne vient-il pas de recevoir le prix international du Roi Faysal. Israël n'a donc pas le luxe de bouder son seul "ami musulman". Un pote.


Pourquoi donc cette nouvelle agitation ? Eh bien, une histoire de séries. Et quand je dis que les séries turques font fureur. Ce fut d'abord celle diffusée sur la chaîne publique, TRT : une série sur le massacre des Palestiniens par les soldats israéliens. Ensuite, une série très populaire "de cape et d'épée" (pour les nationalistes) ou de "mafiosi" (pour les gens normalement constitués) qui évoquait les basses oeuvres du Mossad. Ajouté à cela, les remontrances périodiques du Premier ministre turc. Un cocktail explosif. Evidemment, les autorités israéliennes ont dénoncé rapidement ces séries qui excitent, n'est-ce pas, l'antisémitisme. Les Turcs étaient bien contents de répondre pour une fois de leur vie, "liberté d'expression"...


Un Etat arrogant. C'est que le juge Goldstone avait clairement dit que la guerre de Gaza relevait tout bonnement de la Cour pénale internationale. "Crimes de guerre" de la part d'Israël et du Hamas. Mais personne ne veut brusquer, évidemment. D'ailleurs, le ministre français des affaires étrangères est on ne peut plus clair : "il serait contre-productif de passer par la justice pénale internationale", il faut "privilégier la relance du dialogue politique" (La Chronique, Mensuel d'Amnesty International France, n° 278, janvier 2010, p. 25). Evidemment. Le même ministre qui vient de signer une déclaration avec son collègue Alliot-Marie sur la "création d'un pôle génocides et crimes contre l'humanité au TGI de Paris"... On y entrevoit des notions telles que "valeurs", "histoire", "idéal", j'chai pas moi, je ne comprends plus rien... Le même ministre qui a cédé aux pressions du CRIF et qui a donc remis le prix des droits de l'Homme de la République française au "Réseau des organisations non gouvernementales palestiniennes" non pas au quai d'Orsay comme l'exige la coutume mais à Sciences-Po. Allez comprendre pourquoi...


"Israël n'a de cesse de se présenter comme un pays toujours sur le point de disparaître, renforçant par là-même la culpabilité intériorisée de l'opinion internationale". Ce n'est pas de moi évidemment, puisque je ne suis pas antisémite. C'est juste Esther Benbassa... (Etre juif après Gaza, p. 35). Une autre citation; pour la route : "C'est ce nationalisme-là qui empêche les Israéliens d'aujourd'hui de voir la souffrance d'un autre peuple, les Palestiniens, dont l'itinéraire est pourtant si proche du leur. Ont-ils donc oublié que les fondateurs de l'Etat s'étaient battus pour cette terre, avaient pratiqué le terrorisme, avaient négocié ?" (p. 46)...


Dans les relations internationales, s'il y a bien une coutume, c'est d'essayer de se rabibocher le plus rapidement possible. La France et le Rwanda viennent de replâtrer leur liaison, par exemple, on est bien content; dommage collatéral : le Rwanda a rejoint le Commonwealth et l'anglais a supplanté le français en tant que langue étrangère enseignée en primaire. Les Algériens, eux, doivent attendre; c'est qu'ils veulent absolument que la France s'excuse; la France, elle, ne comprend toujours pas. "De quoi ?", "bah tu nous as fait souffrir quand même, avoue-le !", "n'importe nawak ! Allez j'te donne quelques visas et on s'embrasse", "négociable"...


Les susceptibilités des pays, tout est un programme. La Sublime Porte, voyons. Ni une province ni un quartier. Arracher des excuses de la part d'Israël mérite un prix Nobel en soi. On attend d'autres excuses maintenant; des procès aussi. Je ne sais pas moi, Bush, Blair, Olmert peuvent faire un geste; se suicider par exemple s'ils ne veulent absolument pas affronter la justice. Une victime est une victime. Sauf à considérer que "certains sont plus égaux que d'autres". Un rêve, bien sûr. N'a-t-on pas vu dernièrement le ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni nous assurer que la législation sur la justice universelle sera prochainement modifiée; c'est que les juges avaient menacé d'inculper la Dame Tzipi Livni à peine le pied posé sur le sol britannique; Mister Miliband en était même venu à s'excuser pour les "errements" de la justice de son pays. Et nous, nous parlons de Justice. La communauté internationale avait trouvé tout à fait normal de créer un tribunal spécial pour enquêter sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafiq Hariri. Pour une seule personne. Une seule. C'est que les âmes ne sauraient avoir les mêmes honneurs, forcément. "Comment ! Un cul-terreux et un premier ministre ! Mon Dieu"...

lundi 11 janvier 2010

"Réactionnaire ? Sociologiquement impossible"...

La Turquie se dirigerait vers un "coup d'Etat civil". Voilà la thèse lancée par une universitaire classée dans la catégorie libérale (au sens américain du terme), Nuray Mert. Et le CHP est bien content. Une belle occasion pour faire de l'opposition. Le CHP. Le parti qui a, précisément, dirigé l'Etat tout seul, comme un grand, de 1923 à 1950. L'ère du parti unique. L'on serait donc à l'aube d'une "Restauration". Les griefs font peur : musellement de la presse (l'amende astronomique infligée au groupe Doğan), bâillonnement de l'opposition (des "gens respectables" toujours en prison dans le cadre de l'affaire Ergenekon) et tentative de vassalisation de l'institution militaire et du pouvoir judiciaire.

Il fut un temps où la Turquie devenait l'Iran et/ou la Malaisie. On hésitait. Certains avançaient même l'Indonésie et même l'Arabie Saoudite. "Nan p't-être pas ! çüüüüş ! On se met d'accord sur l'Iran ?", "ok", "bon bah vas-y balance tes arguments"... Et on avait perdu un sacré temps à se convaincre; les laïcistes tenaient la même pancarte : "non à l'interdiction de l'alcool dans le quartier trucmuche". Les conservateurs aussi avaient leur refrain : "comment devient-on l'Iran dans un pays où le voile est interdit dans l'espace public ?", "bah nan, on devient l'Iran işte !", "oust ! Va te faire soigner !"... Les libéraux, eux, semblaient trop cérébraux : "cela s'appelle démocratisation et sécularisation".

Dernièrement, le gourou des laïcistes, Ilhan Selçuk, le journaliste mis en examen dans l'affaire Ergenekon, a eu une révélation : "je pense qu'au stade où on en est, la Turquie n'a plus aucun risque de basculer dans l'obscurantisme, c'est fini, j'étais dans l'erreur". Ouf. Après 70 ans d'erreur sur 85 ans d'existence, il a enfin recouvré sa raison. Mais comment est-ce possible ? Tout bête. Le Sieur Selçuk, qui est en traitement à l'hôpital, est condamné à regarder la télévision plus que d'habitude. Et en regardant les programmes et les séries, il aurait compris que le peuple turc, vu ses "penchants télévisuels", n'avait aucune espèce de risque de tomber dans un régime extrémiste. Il est trop sécularisé. Une peur factice donc, il avait contribué à créer. Puisque s'il avait pu allumer son téléviseur bien avant, il n'aurait sans doute pas été attrait en justice pour, excusez du peu, "tentative de renversement du régime en place" et condamné à mourir dans son coin, déconsidéré...



C'est vrai d'ailleurs : la série Aşk-ı memnu ("L'amour interdit") raconte l'histoire d'un adonis qui couche avec la jeune femme de son oncle qui, évidemment, est celui qui l'a pris sous ses ailes et qui subvient à tous ses besoins matériels. Un enchanteur, assurément. Pas très "sortable" d'ordinaire, ce genre d'intrigue. Et donc la ménagère est furieuse; "il est dégueulasse !". Sa fille aussi veut avoir un haut-le-coeur mais il y a quand même Kıvanç Tatlıtuğ, le "dieu", beau, envoûtant, riche, distingué, bath au lit, etc. Un de ces types que l'on fige dans notre esprit; de la meilleure espèce, celui qui ne se mouche jamais, n'éructe évidemment jamais, ne ronfle pas, ne pue pas, etc. Le père aussi d'ailleurs qui a chipé une place sur le fauteuil a envie de vomir. Mais il regarde. C'est comme ça. C'est que Beren Saat aussi est une merveille de la nature. Et drôlement diabolique en plus. Et le pauvre Tatlıtuğ est obligé d'intervenir : "attention hein, dans la vraie vie, je ne ferais jamais cette bassesse, c'est un rôle !", "ouais ouais, on sait mais tu trompes tellement bien et t'es beau tu sais !", "ouais, et l'autre pouffiasse, elle n'a qu'à pas t'attirer, c'est elle, la diablesse, toi t'as aucune faute, viens que j't'embrasse"...

En 2000, la série Evdeki Yabancı avait déjà été un moment fort; une comédie dans laquelle Tardu Flordun campait le rôle d'un homosexuel; celui qui a été ensuite, dans la désormais légendaire série Binbir Gece, celui qui voulait "piquer" la copine de son meilleur ami. Pas bien. Mais série la plus regardée... Et quand on dit que le "ırz", le "namus", le "şeref" sont des valeurs cardinales dans cette société. Et doit-on rappeler qu'une des chanteuses les plus talentueuses de Turquie s'appelle Bülent Ersoy, une transsexuelle; que la légende de la musique traditionnelle décédée il y a plus de 10 ans s'appelle Zeki Müren, un homosexuel. Que le roi de la pop s'appelle Tarkan, un soi-disant hétérosexuel. Que le styliste le plus médiatique s'appelle Cemil Ipekçi, un homosexuel, "fiancé" en plus. Une société obtuse aurait-elle permis la mise en vedette de ces personnages ?

Et les émissions programmées la nuit du 31 décembre sont du genre à faire sursauter le barbu. Des danseuses du ventre que l'on regarde par tradition; ma mère, très concentrée sur l'au-delà (la pauvre n'est-ce pas !), essayait de faire écran : "mais ne regardez pas !", et mon père très "laïque" pour le coup, "tu peux me servir du thé, c'est un ordre !"... Et les présentatrices sont chichement vêtues en Turquie; c'est une autre coutume. Celles qui sont les plus "laïques"; celles qui fustigent le voile parce-qu'il postule que la femme ne fait qu'aguicher... Les malheureuses. Bref, elles sont donc assez jolies. Alors, il faut toujours jeter un coup d'oeil sur les émissions du matin où la gent féminine vient s'éclater sur les plateaux de télévision (une autre tradition, les émissions du matin sont réservées aux femmes, ça va des émissions de divertissement à celles de désolation où certaines viennent déverser leurs rancoeurs en public et en direct en passant par les émissions-courtages matrimoniaux). La demoiselle a du mal à s'installer sur le fauteuil d'invitées, c'est qu'elle est obligée de retenir un morceau de la jupe que l'on a déjà du mal à repérer, pour ne pas que l'on découvre certains "recoins". Et les décolletés, n'en parlons pas. On se demande parfois ce qu'elles veulent prouver; esclaves du regard des hommes.






En tout cas, comparé à l'Arabie Saoudite, il n'y a pas photo...



Les Turcs regardent donc tromperie, "salacerie", frivolité, superfluité en boucle. Et ce n'est pas l'AKP qui les lestera. Encore un effort et la Turquie sécularisera tout le monde arabe... C'est la quille, voyons. On se libère et le vieillard vient tout juste de le remarquer. Eh bien, il dormira en paix. Et on vivra en paix aussi, débarrassé d'un faiseur de cauchemars.

mercredi 6 janvier 2010

Trivialité

Heureusement qu'il est là, le Président Gül; il apaise. Le Président de la République turque vient de déclarer le plus sérieusement et le plus officiellement possible qu'il n' y aura plus de coups d'Etat et de mémorandums militaires en Turquie. Voilà donc une bonne nouvelle; et comme le commun des mortels est toujours suspicieux à l'égard des militaires, le ravissement l'étreint quand il entend cette "assurance présidentielle" (comme si les coups d'Etat se font avec la bénédiction du président, en Turquie !). Le commandant en chef, en théorie. La théorie ne fait jamais de mal. Commandant en chef quand les choses vont bien et un accusé comme les autres quand il y a un coup d'Etat...


Et comme la presse est obligée de tenir compte de l'état d'esprit du récepteur, elle n'a pas boudé son plaisir; les manchettes ont tout naturellement annoncé cette bonne nouvelle. Et tout le monde est content; une très bonne nouvelle, assurément. Comme quand le chef d'état-major avait déclaré encore le plus sérieusement et le plus officiellement possible que l'Armée respectait la démocratie et l'Etat de droit. D'ailleurs, l'Armée ne comprenait pas les réserves qu'émettaient certains. Scandalistique. A l'époque aussi, en Une, évidemment. C'était trop beau pour placer cette information-révélation dans un petit coin du journal. C'est que, dans les démocraties à béquilles, c'est important de confirmer des choses qui apparaissent comme des banalités sous d'autres cieux... En 2010 donc, les plus hautes instances de la Turquie, grandiloquentes, concèdent au citoyen qu'il n'y aura pas, mieux qu'il n'y aura plus, de coups de canif. Bien. Merci.


En Turquie, comme on le sait désormais sur le bout des doigts, l'armée est une institution puissante; il y a même une caste chargée spécialement de la louer sans arrêt, la défendre coûte que coûte et l'exciter de temps en temps : les militaristes. Des journalistes, des intellectuels, des hauts fonctionnaires, quelques gus sans envergure et malheureusement une bonne partie de la classe politique. Aimer le militaire. L'uniforme. Est-ce que l'on déclare notre ardeur aux pompiers ou policiers, par exemple ? Ou aux gardiens de nuit ? A quoi bon ? Des fonctionnaires, tout simplement. Mais les Turcs se doivent d'aimer, d'adorer l'armée. Un devoir moral. Les voilées n'ont pas accès aux casernes, peu importe, elles aiment l'armée. Et l'armée a réussi à tromper tout le monde en crachant feu et flammes sur les dévots tout en exaltant le "martyre". Les martyrs, les enfants des femmes voilées. Une institution laïque (et comment !) dans un pays laïque (soi-disant) utilise le mot "martyr", un terme "technique" religieux; personne ne bronche, évidemment. Que se passerait-il si l'on retirait le "martyre" de la conscience du Turc moyen ? "Aman sus...". Adieu Eden, ruisseaux, houris les plus délicieuses... et adieu vénération et déférence de la masse. Quand vous êtes une nation en guerre, vaut toujours mieux avoir un Paradis en promotion...


La puissance militaire commence à perdre de sa superbe, nous dit-on; c'est devenu une série; on attend les épisodes : les militaires préparent un coup d'Etat et sont pris la main dans le sac, le chef d'état-major menace journalistes et juges d'un ton fulminant, et dernièrement une bande de militaires qui se baladaient dans les parages du domicile du Vice-Premier ministre, Bülent Arinç, a été arrêtée par la police. L'accusation est grave : tentative d'assassinat. L'armée a publié illico une déclaration dans laquelle elle rejette l'allégation. Elle rejette beaucoup de choses, ces derniers temps. Les généraux veillent devant l'ordinateur, on dirait; ils démentent immédiatement.


Dans ce dernier épisode, elle reconnaît bien que deux militaires se situaient à l'endroit sus-indiqué; mais elle a une autre explication : ces deux compères seraient aux trousses d'un de leur collègue soupçonné de passer des informations militaires. Et comme ce collègue habite précisément dans le quartier de Bülent Arinç, il s'agit tout bonnement d'un malentendu. Un mécompte. Pourquoi pas. Mais quelle doigté tout de même ! Celui qui était censé être observé a dû tout comprendre... Il sera plus habile dorénavant, le traître. Il sait qu'il est surveillé. Mais comme il faut éteindre le feu le plus rapidement possible, l'armée vient de déclarer qu'aucune preuve n'avait été trouvée contre ce type. Ca tombe bien à propos. Trop bien à propos. Comme par hasard, aurait dit un païen...


Mais une enquête judiciaire a été diligentée; et, comble du comble, un juge est entré, pour la première fois, dans ce qui est appelé "la chambre cosmique" (sic) c'est-à-dire l'enceinte où tous les secrets de l'armée sont gardés; personne n'en revient; l'Etat de droit a frappé à la porte, on ne savait plus quoi faire... Et ce juge qui est donc chargé de vérifier certains documents (n'oublions pas que tout est parti de la tentative d'assassinat du vice-premier ministre et voilà où on aboutit !) vient de recevoir par la poste quelques balles en guise de bienvenu... Et une semaine auparavant, ce même juge s'était plaint d'être "suivi"; la police a donc arrêté la voiture : des militaires en sont sortis. L'armée, évidemment, a publié une déclaration : les militaires arrêtés sont un cuisinier, un électricien et un menuisier; "nanik !"; bref que des sous-verges. Les militaristes ont repris confiance en eux, évidemment : "pfff, t'as vu, ce ne sont pas des officiers, ce sont des cuisiniers qui suivaient le juge, haha !"... Mais personne n'a pu encore expliquer ce que faisaient les cuisiniers derrière le juge... Ce qu'ils tramaient. Et personne ne croit vraiment que ce soient des ouvriers. Mais le chef d'état-major entonne le refrain : "certains mènent une guerre psychologique asymétrique contre l'armée !". Comprenne qui pourra...


Il n'y a pas de fumée sans feu, nous apprend le proverbe. Le mois dernier, l'on a eu droit à un défilé extraordinaire : les "grands oraux" des généraux devant les juges d'instruction. Les anciens chefs de l'armée de terre, de la marine et de l'air. Celui de la gendarmerie est déjà en détention provisoire. Ou était plutôt; Monsieur étant malade, il passe sa détention dans l'hôpital militaire. Un vaillant soldat, comme on l'a compris... Et avant eux, ce fut l'ancien chef d'état-major des armées qui avait raconté des choses. Hilmi Özkök, celui qui venait à l'état-major avec son casse-croûte; c'est qu'il avait peur d'être mis hors jeu, il refusait de cautionner un coup d'Etat, il était trop démocrate... Et aujourd'hui, on parle de la probable audition de l'ancien Président de la République, le lion Süleyman Demirel.



Celui de la marine était assez scrupuleux; il tenait un journal. Du coup, l'on sait en détail ce que projetait la junte. Evidemment, le "pacha" nie; "ce n'est pas à moi", "oui mais les analyses graphologiques disent le contraire", "je m'en fous", "mais encore", "j'en m'en bats"... D'accord. Les militaires ne sont pas, comme on le sait, les gens les plus raffinés du monde; et on comprend : les guerres, les tranchées, la boue, la promiscuité, le langage particulier, etc. Mais ce général prenait tout le soin d'écrire ses "pensées" tous les soirs. Comme une fille bien élevée.



L'armée nie toujours : des armes jaillissent de la terre, le chef d'état-major assure qu'il n'y a pas de telles armes dans leur inventaire, il s'avère que c'est faux; on découvre un plan de coup d'état, le chef d'état-major assure que c'est un bout de papier, il s'avère que c'est faux; la justice demande à l'armée de bien vouloir préciser la fonction du JITEM (le groupement des militaires chargés de nettoyer les Kurdes), l'armée déclare qu'elle ne connaît pas une telle institution; etc. etc.


Personne n'ose le dire : l'armée ment comme elle respire. Et personne n'est obligé de l'aimer. Tout le monde a les nerfs en pelote. D'accord. Mais nul n'a un orgasme en critiquant l'armée; il faut juste qu'elle apprenne une fois pour toutes sa place dans une démocratie. Les militaires reçoivent un salaire pour précisément défendre leurs concitoyens, il ne s'agit pas d'une faveur de leur part. Et le martyre dans un système laïque, c'est du pipeau; c'est comme ça. La Turquie n'est pas un Etat islamique. Elle n'a aucun droit à faire du "shopping" dans les valeurs religieuses; laïcité et martyre sont juridiquement incompatibles. "Mais qu'est-ce que tu racontes, l'opium du peuple avait dit l'autre, tais-toi !". Ceux qui jouent des coudes pour chiper une place dans la prière mortuaire du "martyr" sont ceux-là même qui dédaignent leurs mères et leurs soeures voilées, mais nous aimons l'armée, évidemment. Démunis que nous sommes. Ils ont des armes. Et si l'on faisait une distinction : la plus profonde gratitude pour les soldats, une réserve naturelle contre l'état-major. C'est que son casier judiciaire prend beaucoup de pages dans les livres d'histoire de la Turquie...