mardi 24 septembre 2013

"Et l'ange jeta sa faucille sur la terre et vendangea la vigne de la terre et il en jeta les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu" (Apocalypse 14, 19)

Naguère, lorsque nous étions à l'amphi de l'Inalco, un de nos professeurs avait l'habitude de ponctuer son cours de grammaire arabe de "yâ chabâb !". Le bien nommé Abdelghani Benali. Le mot, innocent dans sa pauvre existence lexicologique, signifie "les jeunes". Du "chabâb" par un "Benali", ça avait de l'allure, à n'en pas douter...

Personne ne sursautait, évidemment; même pas la doyenne, une septuagénaire qui compulsait les journaux tous les jours et qui aimait dire ses quatre vérités au musulman à bavette qui s'aventurait à la "raisonner" ab inconvenienti. Aujourd'hui, le terme fait partie des "mots bannis", de ceux qui puent le sang, qui suent le péché, comme la "Führung" des Allemands, la pestiférée...

Torches et glaives à la main, des musulmans, ici au Kenya, là au Nigéria, là-bas au Pakistan, ont encore massacré. Musulmans, oui; l'auto-définition est libre dans l'islam. Musulmans qui se repaissent de carnage. Une minorité qui éclabousse plus qu'elle ne définit, certes. Mais une minorité qui brise des existences au nom d'un prétendu dogme, une minorité qui force la majorité à tenir les lampes sépulcrales...

"Qu'Allah donne la victoire à Al-Qaïda partout où il se trouve, n'en déplaise aux hypocrites, aux défaitistes, aux efféminés, aux blâmeurs, aux complotistes, aux apostats, aux traîtres et aux mécréants en général" a bien pondu l'autre bâté, "l'émir" de je ne sais quel site odieux. Celui qui touche sans s'en formaliser le RSA, argent d'un État "mécréant". L'inauguration de la nouvelle loi contre "l'apologie d'actes de terrorisme" devait bien revenir à un musulman, n'est-ce pas...

Islamisme, islam rigoriste, islam radical. Ces verrues qui visent des innocents, qui abattent et qui jouissent. Camps d'entraînement, kamikazes, bombes, voitures piégées, le maximum de dommages humains. Le vocabulaire des Assassins imposé à la "religion de la paix" ! Les cris d'épouvante sont unanimes. Mais on entend surtout la tonitruance de ceux "qui ne croient en rien". Et ceux qui croient aux comptes d'outre-tombe croupissent sur place...

Maudire l'Etat qui lui permet de vivre avec madame. Il est tentant de penser que là où il y a musulman, il y a désir de vivre aux dépens de l'argent public. Des types qui obtiennent à l'usure des "droits" à la Sécu ou ailleurs, ça existe. Dans une religion qui impose dans l'au-delà la fameuse "quittance" (helallik en turc), c'est un contre-sens. Reverser ses quelques bonnes œuvres à 65 millions de Français en guise de "répétition de l'indu", ça devrait donner des frissons à un "émir"...

Tout cela pour la charia. Un droit pénal qui fouette, qui coupe, qui lapide; un droit familial qui distingue, qui cloisonne, qui inquiète. Et la morale ? Surtout pas. La formule que le Prophète avait délivré à un bédouin peu enclin au formalisme, par-dessus bord : "crois en un seul Dieu et sois le plus juste possible !". Une religion qui interdit, en cas de conflit armé, d'arracher les arbres, de détruire les moissons et le bétail, de tuer les civils et les prisonniers. Être le plus juste possible, pff...

Célèbre épisode : le Prophète envoya Khâlid ibn al Walîd auprès de la tribu des Bânu Jadhima en vue de leur conversion. Ce qu'ils firent mais le bouillant Khâlid, le "Glaive de Dieu", voulut venger la mort de l'oncle du Prophète due à cette tribu, il "les fit lier et les fit mettre à mort l'un après l'autre. Le Prophète, informé de l'action de Khâlid, fut très affligé; il se tourna vers la Ka'ba et s'écria : "Ô Dieu ! Je suis innocent de ce qu'a fait Khâlid !" (Tabari, Histoire des Prophètes et des rois, éditions de la Ruche, 2006, p. 569).

Dieu dit dans le Coran : "Que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste" (Sourate 5, verset 8). Et "n'injuriez pas ceux qu'ils invoquent en dehors d'Allah car par agressivité, ils injurieraient Allah dans leur ignorance" (sourate 6, verset 108). Une sourate qui résume bien l'erreur, la misère et la faute de ces va-t-en-guerre baveux car fielleux. Ah oui, et sourate qui porte bien son nom : "les bestiaux"...

vendredi 13 septembre 2013

De profundis...

Les foyers qui pleurent un mort se transforment toujours en charniers. L'occasion est unique : on accumule les morts. A tire-larigot. Car ceux qui ressentent le besoin de soutenir les proches du défunt déballent leurs propres nécrologies. Une transe collective, une élégie diffuse. L'affliction ne dure qu'un temps et l'affluence atténue volens nolens ce sentiment de vacuité qui se profile. Alors chacun y va de son expérience douloureuse. Le deuil se noie dans l'amertume des souvenirs. Et c'est tellement bien...

On pense aux morts; pas à la mort. Quoi qu'on dise, elle effraie le commun des mortels. Or, la mort, c'est le point de départ lorsqu'on veut se forger une conception de la vie. L'idée de finitude dessèche l'âme. Elle fait "rentrer dans le rang". Pour le croyant s'entend; l'autre pense qu'il n'a pas de compte à rendre, il n'a qu'une morale à satisfaire autant dire macache. Plus on avance dans l'âge, plus les démons s'ameutent, ils nous prêtent leurs pensées, on voyage dans leurs rêves. Et c'est tellement bon...

"Toucher le cadavre de son père est une véritable action purificatrice", m'a soufflé le cousin. "Je le sais", ai-je répondu. L'inhumer est une autre histoire. Déposer un linceul à même la terre, aux bras des fourmis, au sein des bestioles, des serpents peut-être, au bon plaisir des canidés et aller recueillir les condoléances comme si de rien n'allait se passer. Un monde s'écroule, un monde s'écoule. Deux mots de réconfort, une pensée passe-partout font l'affaire. Les larmes "publiques" sont déjà taries...

La religion islamique nous apprend qu'à peine enterré, le trépassé voit arriver deux anges soucieux d' "arracher" les bonnes réponses à leurs questions. La tradition veut que l'imam reste quelque temps pour les lui souffler. Le temps des soliloques. "Oh ! Untel, fils d'unetelle ! Dis qu'il n'y a de dieu qu'Allah, que Mouhammed est son Prophète, etc. etc.". Un pré-examen qui augure de la suite des événements; entre-temps, les proches serrent des mains et zyeutent les processionneurs. Un nid de bourdons...

Dans une maison endeuillée, la malséance n'est plus une singularité. L'instinct de vie reprend le dessus; seulement trois jours de peine sont demandés, c'est déjà trop. Les petits comités se forment, les recoins sont occupés. On cancane. On sourit. On s'esclaffe. Personne n'a l'idée d'allumer le téléviseur, heureusement. La dernière vergogne qui nous reste. Chaque convive entre l'air grave, se déride vite et s'en va naturel. Une voix rogue blâme parfois la "dégradation" des valeurs. On l'étouffe...

Inanité de la vie. Ah oui, c'est le dévot qui prend la parole. Un être humain, ce n'est qu'un cerveau de quelques cm² qui ne commence à se réveiller que quelques années après sa naissance et qui finit souvent par s'éteindre quelques années avant sa mort. Et il n'y a pas plus misérable qu'un tel cerveau qui se sente légitime pour lancer des sentences sur la Création, toujours là quand il sera poussière. Quelle prétention ! Quelle torpeur ! Quel flegme ! La gaieté, au fond, c'est une forme de vulgarité...

dimanche 1 septembre 2013

Malédiction urbi et orbi

Payé à réfléchir sur le monde dans un amphi quand il était professeur de relations internationales, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, fit rager de jalousie ses collègues universitaires lorsqu'il fut nommé chef de la diplomatie. Trilingue, il incarnait à merveille cette fonction. Et gentillet, gracieux, cultivé, il était, par-dessus le marché. Et surtout théoricien; il avait écrit un livre sur le redéploiement turc sur la scène internationale. Il comptait fermement sur son idéal et ses deux principes cardinaux : le "zéro problème" avec les voisins et la "réaction proactive" dans les affaires extérieures [si bien que des rieurs n'avaient pas manqué le jeu de mots en turc, "dışişleri" (affaires étrangères) et "düşişleri" (affaires chimériques)]. Le Premier ministre Erdoğan, qui ne baragouinait même pas l'anglais, pouvait donc moelleusement se reposer sur lui. Pouvait...

C'est que le Premier ministre qui avait le tempérament carabiné d'un sentimental et la délicatesse éprouvée d'un éléphant n'entendait pas demeurer coi. Il avait des électeurs à galvaniser et surtout une conscience à apaiser. Comme tout homme ordinaire. Mais voilà : ses conseillers oublièrent de lui "révéler" qu'il n'était pas un plébéien encore moins un charretier. Il était chef du gouvernement d'un État qui avait nécessairement des intérêts à sauvegarder. Certes, on ne lui demandait pas de se transformer en Kissinger qui trouvait conforme à ces mêmes intérêts, de penser que "if they put Jews into gas chambers in the Soviet Union, it is not an American concern. Maybe a humanitarian concern". C'était dégueulasse, assurément, et abject venant d'un juif... Il suffisait de savoir ajuster le profil comme il l'avait déjà fait quand il accueillit Omar al Bachir, 200 000 morts sur le dos...

Alors tout le monde en prit pour son grade. Alliés ou pas, les taiseux subirent ses foudres. A commencer par le grand-frère Obama. Lui qui périphrasait pour éviter "coup d'Etat" et coupes financières qui en découlaient fut une "déception" pour Erdoğan. D'autant plus qu'il soutenait Israël alors que le Turc savait que ce pays était derrière le putsch égyptien. "Savait ?" Oui oui, il avait entendu parler Bernard Henri Lévy lors d'un colloque. "Et alors ?" Bah, c'est que le philosophe bénissait une intervention militaire face à l'emprise islamiste. "Et alors ?" Bah, le Turc en concluait que... voilà quoi. Une autre dégueulasserie, chercher le juif là où il doit nécessairement se trouver, dans le complot. Notre BHL fut vif dans la réponse comme l'a été le porte-parole états-unien. Erdoğan ne manqua pas de taquiner son allié : "J'accuse Israël, c'est les États-Unis qui me répondent !". Bah bonjour...

Au suivant, donc. Ce fut le tour du secrétaire général de l'OCI (Organisation de la coopération islamique) d'être torturé. Ce Sieur, un Turc natif du Caire, le professeur Ekmeleddin Ihsanoğlu, un historien des sciences qui devait son siège précisément à l'activisme du gouvernement turc, avait dû avouer son incapacité à trouver un article idoine des statuts pour ouvrir la bouche. "Alors toi, là-bas, cornichon ! A quoi tu sers ?", avait à peu près lancé le bras droit du Premier ministre. "C'est qu' les statuts m'interdisent de parler !", "pouah ! en voilà un rigolo !", "bah, vous êtes membre de l'OCI, vous pouvez appeler à une réunion urgente", "laisse tomber, il n'y a que des corrompus !"... Le pauvre Turc, mis au pilori et appelé à la démission par les autorités turques. Ou comment montrer à la face du monde entier qu'un État qui prétend être une puissance régionale n'est même pas capable d'être, avant tout, futée...

Qui disait OCI, disait "oumma". Ou "le monde musulman". L'UE, on passait, le Turc avait déjà une dent contre elle; et il s'épata en lui hurlant, "relis tes critères de Maastricht et autres conneries ! et ne parle plus de démocratie et de droits de l'Homme, ok ? allez ciao !". La oumma, elle, avait le devoir de "commander le bien et d'interdire le mal" selon le Coran. Autrement dit, un devoir de défendre la justice. Erdoğan fustigea cet ensemble islamique qui n'avait fait qu'abandonner Mursi, le Joseph des temps modernes balancé dans le puits. Par qui ? Le Roi d'Arabie Saoudite, s'il vous plaît, gâteux certes mais "serviteur des deux lieux saints" (le fameux titre "khâdimu'l harameyn" chipé aux Ottomans). Le Président de l'Iran, chiite certes mais acteur incontournable. Et les cheikhs des Emirats Arabes Unis et du Koweït, bien conservateurs quand il faut certes mais bien riches quand il ne faut pas. Le Yémen était trop pauvre pour s'occuper de ces affaires et l'Oman n'avait pas voix au chapitre. Le Liban ne savait naturellement pas ce qu'il en pensait, etc. etc. 

Et concernant la Syrie, le Premier ministre n'avait pas oublié la Russie qui défendait ses intérêts si crânement. La Chine défendait les positions de la Russie comme à son habitude; les mauvaises langues disaient que ce pays de plus d'un milliard d'habitants n'avait pas de prétentions internationales alors elle suivait une autre autocratie, les intérêts devant bien être identiques... Silence radio, partout. Même le grand Imam d'Al Azhar fut blâmé. Même la presse allemande (sic !). Même le Comité Nobel. Même le Nobel Al Baradei. Même le Conseil de Sécurité. Et ce qui devait arriver arriva : un conseiller du Premier ministre inventa un nouveau concept; out le "zéro problème" avec les voisins puisqu'ils étaient tous salauds. Le Royaume-Uni avait eu jadis son "splendide isolement". Eh bien la Turquie aurait sa "précieuse solitude" ! Un oxymore objectif dans le nom, subjectif dans l'adjectif. Voilà où avait abouti cet effort de théorisation là où il fallait toujours un "dédoublement" au nom du principe d'utilité. Car "la véritable finesse est la vérité dite quelquefois avec force, et toujours avec grâce" (Choiseul). Histoire de rester dans le jeu. Défendre le juste a sa grandeur, oui. Mais nul besoin de se lancer dans les antonymes qui disqualifient...