samedi 19 octobre 2013

Au pain bis de la République...

Un gay qui ne croit pas en l'au-delà est expédiée ad patres d'une église. La bonne moitié des participants est athée, l'autre, agnostique ou indifférente. Et son dernier "compagnon" est évidemment là. Tout comme le chef de l'Etat et un parterre de personnalités. Du Bach, du Wagner, du Shakespeare résonnent dans la "maison de Dieu". Non non, ce n'est ni la Suède ni la Norvège. C'est la France, la fille aînée de l'Eglise. Le pauvre curé, fidèle de Jésus aux dernières nouvelles, est sans doute en service commandé; il fait un effort pour les beaux yeux de l'air du temps et de l'assistance sécularisée. Une religion qui professe la vie après la mort; un dogme qui condamne l'homosexualité; une foi qui déplore le non-croyant. Et un cadavre et des pleureurs en totale contradiction. La religion de l'amour, ça doit être ça...

L'Eglise de Scientologie devient, elle, une "bande organisée", remplie d'escrocs. Des godiches qui sont en mal de repères optent pour cette Eglise; alors qu'ils ont le pouvoir de choisir, je ne sais pas moi, le bouddhisme, la franc-maçonnerie ou encore la philosophie (le diable qui vient opportunément secourir celui qui gît au fin fond d'un trou spirituel, comme on le sait). Ah ben non, nénette ou jeannot préfèrent devenir Scientologues. Alors, comme pour chaque adhésion à une quelconque section, il faut casquer. Mais voilà le hic. Les novices courent illico au tribunal pour pleurer sur leur sort et dénoncer des filous. Et comme la Miviludes veille à l'équilibre psychologique des citoyens français, tout le monde sursaute. La Cour européenne la reconnait depuis belle lurette cette Eglise, mais on ne la fait pas à la République laïque, n'est-ce pas...

Les dames voilées, quant à elles, sont toujours à l'assaut de ladite République. Pas les religieuses des monastères, non, elles, sont des saintes, pas touche; ce sont des dames voilées d'une autre espèce. Des musulmanes, des "soumises" à des barbus. Bon, on les tolère mais quand elles veulent porter leurs fichus dans les écoles ou dans les crèches, la République laïque se rembrunit et les citoyens s'emballent. Comme on le sait, la France regroupe "ceux qui sont Français" et "ceux qui ont la nationalité française". Les premiers "vivent ensemble", les seconds "enquiquinent les premiers". "Ceux qui vivent ensemble" sont les enfants des Lumières, ils respirent grâce à la laïcité. "Ceux qui enquiquinent tout le monde" sont des mal élevés, ils marchent sur les trottoirs avec des voiles et des barbes et revendiquent des droits par-dessus le marché, allez comprendre...

Et avec ça, l'article 1er de la loi de 1905 dispose que "la République assure la liberté de conscience". Tout comme l'article 1er de la Constitution de 1958 qui dispose que la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". Quel toupet, n'est-ce pas ! Il ne manquerait plus que la France qui s'est hasardée déjà à proclamer les droits de l'Homme au XVIIIè siècle respectât ces populations et leurs drôles de coutumes ! Heureusement que 84 % des Français souhaitent l'interdiction des voiles euh pardon des signes religieux dans les entreprises privées. Bien sûr. Après tout, la République est laïque. Il faudrait sauver les enfants de leurs propres mères voilées aussi mais comment faire ? Babeth et ses amis doivent y réfléchir...

Dans un autre pays laïque, la Turquie, la fameuse "courtoisie républicaine" demande aussi des "sacrifices" aux minorités. Le Président de la République, lui, revient de l'Arabie Saoudite; il était au pèlerinage. C'est un "hajj". Le Premier ministre est déjà ce qu'il est. Le chef d'état-major aussi s'est mis à parler de religion; après avoir visité une mosquée au Kosovo, il a signé le livre d'or en priant pour que la mosquée soit "toujours pleine". Et voilà que le chef des kémalistes s'est découvert une généalogie prestigieuse; il est descendant du Prophète, s'il vous plaît, c'est un "seyyid". Les dévots musulmans, eux, ne peuvent toujours pas ouvrir leurs confréries. Les alévis, eux, le peuvent mais leurs ministres du culte ne sont pas rémunérés comme les imams. Les orthodoxes survivent comme ils peuvent, la "courtoisie républicaine" leur interdit d'ouvrir leur école théologique pour former leurs popes...

Jean Baubérot nous a toujours appris que laïcité de 1905 rime avec liberté de culte. La "courtoisie républicaine", une émanation de la laïcité des Lumières, exige quant à elle une liberté de culte au rabais. Voilà où on a abouti. Les deux versions ont rêvé le "vivre-ensemble". On a eu le "vivre en sous-ensembles". Car je voudrais l'affirmer, n'est-ce pas, quand on taquine trop une minorité, elle finit par prendre conscience de sa... minorité. Le communautarisme, au fond, n'est que l'effet de la pourchasse laïcarde et non sa cause. Et quand 84 % des Français demandent la violation d'une liberté, on ne s'excuse que d'une chose : de vivre dans un pays où l'ânerie a pris le pas sur la raison. Patrie des droits de l'Homme et berceau des Lumières. Deux qualités devenues antinomiques quand j'y pense. L'individualisme de l'un s'est abîmé dans la "religion civile" de l'autre. Allez, a cappella, "je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau"... Bis ! Bis !

11.Andrea Bocelli - ''Va pensiero'' - Verdi Nabucco. ( Sacred Arias ).

vendredi 4 octobre 2013

En l'an de grâce 2013...

En 1839, le ministre des affaires étrangères de l'Empire ottoman, Koca Mustafa Reşit Paşa, lut, du fin fond du jardin impérial, le célèbre édit accordant, entre autres, un début d'égalité aux Ottomans non-musulmans, le Tanzimât Fermânı. La blague voulait qu'un gus turc qui écoutait le ministre charabiater, se vit répondre : "rien de difficile mon cher, dorénavant, il est interdit de dire giaour aux giaours !"... En effet, c'est que l'Empire se raffinait; les puissances étrangères poussaient aux réformes. Il eût été grotesque d'appeler "mécréant" un mécréant. Au 19è siècle, ça ne passait plus. Les dirigeants l'avaient si bien compris que ce fut le Vizir des affaires étrangères qui annonça aux Ottomans que Sa Majesté le Sultan s'était, dans sa magnanimité, penché sur leur sort. Comme l'actuel qui avait, seul, voix au chapitre lorsqu'il s'agissait de parler du patriarche de Constantinople, Sa Sainteté Bartholomée. Un Turc, pourtant...

La tradition nationale voulait que ce fût l'Etat qui octroyât des droits aux citoyens. Ces derniers, d'un tempérament peu émeutier, avaient une vénération pour celui-ci. D'où la drôlerie qui avait consisté pour le Premier ministre Erdoğan à préparer en catimini un "paquet de démocratisation", lu comme il se devait du haut d'un pupitre. La Nation, ça passait encore, n'est-ce pas, mais les députés eux-mêmes avaient appris en direct les mesures qu'ils allaient bientôt enregistrer. Démocratie... Le jour suivant, ce fut le président de la République Gül qui fit son dernier "discours du Trône". Sept ans avaient vite coulé, il était temps de faire l'épilogue. Devant la "représentation nationale" mais surtout devant son épouse, la Première Dame qui, en sept ans, avait osé pour la première fois mettre le pied à la loge pour ouïr son homme. Toujours aussi voilée, aussi souriante et aussi urbaine... Et le chef d'état-major, assis à deux pas, ne broncha même pas... Démocratie...

Les deux se targuèrent de diriger un pays qui avançait lentement mais sûrement. Le Premier ministre, futur Président, déclara tout de go qu'il était inconcevable de progresser malgré le peuple; il y avait un degré d'absorption, il ne fallait pas faire papilloter les yeux. Cette théorie bizarre qui soumettait la promotion de droits universels à l'assentiment populaire ne fut, fort heureusement, qu'un style de langage. On ne s'en émut point outre mesure. Le Président, l'actuel, le sortant, eut l'idée de respirer la prud'homie : oui, les forces de l'ordre avaient été brutales lors du "mini printemps turc", alias "parodie turque"; oui, la jeunesse n'avait pas toujours raison mais la société qui la frappait avait toujours tort; oui, il fallait présenter ses condoléances aux proches des victimes. On aurait entendu une mouche voler tant la Nation fut en communion...

Les réformes annoncées étaient sans conteste de bonnes mesures. Les femmes fonctionnaires allaient enfin pouvoir se voiler dans un pays où le taux de voilement atteignait 60 %. Seules la magistrature, la police et l'armée n'allaient pas être concernées. Pourquoi ? on n'en savait rien. Autrement dit, la neutralité de l'agent du service public, une déclinaison de la laïcité, passa à la trappe. Le système électoral allait être remis à plat; la technicité l'emporta, le citoyen n'y comprit rien et se rabattit sur la mesure suivante. Un détail allait, nous disait-on, renforcer la liberté de réunion; lequel, personne ne comprit. Allait-on continuer à gazer, au moins ? Bien sûr... Un Institut sur la langue et la culture tziganes allait voir le jour : on allait donc réfléchir, la Nation banda pour cette annonce; cette même Nation qui félicita chaleureusement le préfet de Bursa qui avait dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, comme un ministre français...

En outre, l'Etat allait créer une "autorité administrative indépendante" pour lutter contre les discriminations; une HALDE turque. Et le fasciste qui s'aventurerait à inciter à la haine en raison du mode de vie allait croupir en prison non plus un an mais trois berges. Le Premier ministre qui adorait déblatérer contre les buveurs d'alcool (des "alcooliques") et autres jouvenceaux qui se pinçaient en public (des "pervers") était encore une fois dans toute sa cohésion... Il fut vite absout car il supprima ce fameux serment imposé aux écoliers depuis 1933; tous les matins, ils clamèrent ; "je suis Turc, je suis intègre, je suis studieux; mon devoir est de défendre les petits, de respecter les grands, d'aimer ma patrie et mon peuple plus que moi-même; Oh grand Atatürk ! je jure de suivre le chemin que tu as tracé, dans le dessein que tu as fixé; je fais don de ma personne à l'existence turque; Heureux celui qui se dit Turc !". Désormais, le petit Turc n'allait vivre que pour lui et les siens, dans son petit nuage, dans ses propres mots; les offrandes étaient terminées, les autels renversés, le "grand Atatürk" ne dévora plus personne...

Naturellement, la masse attendait les nouveaux droits accordés aux minorités. Rien pour les alévis (sauf le changement de nom pour une université de province), rien pour les orthodoxes (Sa Sainteté n'ayant plus d'espoir pour son collège théologique de Halki) et un bout de monastère rétrocédé aux Syriaques. La "grande minorité" était beaucoup plus chanceuse : les villes et villages kurdes allaient récupérer leurs appellations originelles; l'initiative privée allait pouvoir ouvrir des écoles en langue kurde avec un socle de connaissances en turc. La propagande politique allait désormais pouvoir se faire directement en kurde sans craindre une enquête préliminaire de monsieur le procureur. Et last but not least, les citoyens de la République turque allaient pouvoir utiliser trois lettres interdites jusqu'alors : les lettres q, x, w. Qui ne figuraient pas dans l'alphabet turc, naturellement mais qui menaçaient l'intégrité territoriale puisque membres à part entière de l'alphabet kurde...

Les trois partis d'opposition ne l'entendirent pas de cette oreille. Le CHP, un parti qui se croyait de gauche, ne disait ni oui ni non. Un toilettage, dit-il. Le slogan des libéraux, "insuffisant mais oui !" (yetmez ama evet) devenait ainsi "insuffisant mais non !" (yetmez ama hayır). Autant dire, une farce. Le MHP, de la droite nationaliste, se tenait droit sur ses bottes; c'était naturellement non. Il y avait, à coup sûr, anguille sous roche; le gouvernement allait vendre le pays aux terroristes kurdes. Naturellement, le BDP, parti qui représentait ces derniers justement, devait bien donner raison au MHP en sautant de joie. Eh ben non; il rouspéta dans le diapason le plus élevé; c'était quoi, ça, d'abord ! Un bout de papier ! Où était la libération d'Öcalan ? Le menu peuple, on s'en torchait, on voulait libérer le guide. Pff. Plus ses revendications étaient satisfaites, plus il rageait...

"C'est quoi ce bazar ! Vous n'êtes pas contents ?" criait de son côté le réformateur Erdoğan. Les citoyens qui avaient grappillé des droits ne surent pas trop ce qu'ils devaient en penser. La Turquie était un beau pays, un grand pays, multiculturel et multicultuel. Des modes de vie et des religions et des ethnies à foison. On aurait pu faire d'autres gestes. Distribuer, redonner la nationalité aux descendants des "exilés", des "rescapés", des "bannis", par exemple. Une Nation de 70 millions d'âme devenant 80 millions en moins de deux. Eh bien non. On se contenta du minimum tout en promettant monts et merveilles pour plus tard. Après les élections municipales et présidentielles de 2014, sans doute. Histoire de ne pas étourdir les électeurs, toujours ronchons. Le citoyen posa l'index sur sa joue et le pouce sur le menton et il demanda : "au fond, qu'y a-t-il de spectaculaire dans ce discours ?". Un autre gus répondit : "si j'ai bien compris, les Kurdes pourront porter le voile"... Keh keh keh... Cahin-caha, cahin-caha...