dimanche 25 novembre 2012

D'ici, de Là-Haut

A chaque fois qu'une bombe explose, qu'une tête tombe, qu'un corps disparaît, nous avons coutume de clamer, nous autres mahométans : "attention aux amalgames ! Ne jetez pas l'anathème sur tous les musulmans !". Les plus saints d'esprit nous croient, les plus malins font comme si et les plus irréductibles nous maudissent in petto. Et c'est humain, qu'y pouvons-nous, le terroriste souille sa famille, son clan, sa patrie, sa religion. Il est seulement lui et un peu des autres. Un, mais partie d'un tout. Et ce tout s'en trouve gêné, il constate des choses, il mène des réflexions mais ne conclut pas, ne déduit rien. Ces têtes brûlées se disent musulmans et comment ! les vrais, les plus rigoureux, de la race des anciens. Heureusement qu'une minorité ne sert qu'à éclabousser et non à qualifier...

Alors quand on découvre une nouvelle congrégation de pédophiles chez les catholiques, on essaie de s'appliquer la leçon qu'on donne aux autres. "Certes tous les ecclésiastiques ne sont pas pédophiles mais bon, c'est tout de même navrant que le clergé forme un puissant contingent parmi ce groupe !". Et on s'excuse rapidement. D'abord, on a peur de se faire réprimander, ensuite, on a peur de froisser, enfin, on a peur de ragoter. Ce n'est que la minute suivante qui nous rend notre conscience, la première est celle de l'exaltation. Heureusement, dit en passant, que l'Église catholique a de l'ancienneté; secte, elle aurait eu maille à partir avec les âmes évanescentes de la Miviludes...

Il faut des femmes, c'est certain. Les catholiques rechignent. Et les anglicans ont réussi à saborder une tentative. Avec sa barbe à rallonge, on aurait dit un intégriste, Monseigneur Rowan Williams. Alors que. Ma pauvre abeille, il soutenait mordicus l'ordination de femmes évêques ! Le projet refusé à six voix près ! Et encore plus "bête", les clercs sont pour, ce sont les laïcs qui ont semé la zizanie. Et Monseigneur de déclarer : "difficile à faire comprendre au reste de la société". Eh ben ! Les religions deviennent des clubs démocratiques où il faut satisfaire les adhérents. Ce qu'en pense Dieu ne tient qu'à six voix. Dans quelques années, on les séduira, les femmes seront évêques, le chef est déjà une Reine, l'archevêque se déridera. Et Dieu ? On s'en fout, passez l'expression; des religions où les grands dossiers tiennent aux voix des créatures, le Créateur en a vu passer.

C'est tout de même truculent, franchement. Un Dieu, ab initio. Au final, la Trinité (une nature, trois personnes), quelques livres sacrés, d'innombrables Églises, un Pape qui nargue le Patriarche de Constantinople qui boude celui de Moscou, un anglican trop démocrate qui rate des réformes, des évangéliques sans queue ni tête, nombre patriarches ici ou là, une pagaille doctrinaire. C'est à se demander si au fond d'eux-mêmes, à coeur ouvert, ils croient encore en Dieu ou s'ils ne sont tout simplement pas devenus esclaves de leur titre. La conviction sans étude est un véritable fléau. Allez discuter avec certains alévis qui lisent le Coran mais ignorent la prière, qui jeûnent dix jours au mois de Muharram mais nient le jeûne du Ramadan, qui croient en Mouhammed mais refusent sa sounna, ils seront incapables de tenir plus de dix minutes dans leur argumentaire. Et cela ne leur pose pas problème, le but est de vivre sa foi, pas de se conformer à la religion...

Et il faut un sacré tempérament pour s'arranger avec soi-même et intégrer Dieu dans sa bulle. Car les hommes de religion sont devenus honteux, ils n'osent dire les vérités de leur credo de peur de passer pour rétrogrades. Le calcul entre, Dieu sort. Ils retranchent, ils ajoutent. Ils trahissent. Dans les pays du nord, ce sont les politiciens qui imposent aux Églises de célébrer des unions homosexuelles, l'Église danoise, l'Église suédoise s'inclinent, l'Église anglicane refuse mais invoque la tradition, l'Église catholique refuse et n'invoque rien. Et la Bible ? Pas moderne. On l'escamote. Avons-nous entendu un argument théologique dans la bouche du cardinal Vingt-Trois ? Non. Anthropologie, psychiatrie, philosophie. Mais pas théologie. Le travers de l'idéologie des droits de l'Homme, elle demande aux religieux d'arrondir les angles, de ne pas citer leurs livres sacrés. Or ceux-ci sont clairs : l'acte homosexuel est condamné. Dans les religions, l'homosexualité est, en cas de bon usage, un don du Ciel. Et le bon usage est précisément l'abstinence...

Les imams se font souvent un délice de rappeler que les religions précédentes donc abolies ont sciemment caché la Vérité. Le Coran l'affirme. Le contrecoup est qu'ils en disent, cette fois-ci, plus qu'il n'est nécessaire. Les homosexuels sont des dépravés, les unions civiles des abominations, la gestation pour autrui une monstruosité, etc. Dieu désapprouve sans doute tout ce qui vient d'être mentionné. Mais ses "interprètes" chrétiens se la jouent modernes et n'ouvrent pas le Livre, ses "lieutenants" musulmans se la jouent authentiques et mélangent au Livre leur propre sévérité. Après tout, chacun son lien de rattachement et son degré de soumission. Mais le problème est autre : Dieu a posé des interdictions. Il appartient aux hommes de religion de les signaler, rien que de les signaler. Sans rougir ni de honte ni de colère. Sans considérer les hommes, sans concurrencer Dieu. Autrement dit, de remplir leur sacerdoce, la transmission et de laisser au croyant le soin d'user de sa liberté individuelle. En bien ou en mal. Où a-t-on vu des procureurs juger ? Ce serait brûler la politesse au Juge et aux avocats (intercesseurs) qui, eux, par la nature des choses, sont miséricordieux...

samedi 10 novembre 2012

Graver, c'est grever...

Hier, de Gaulle. Aujourd'hui, Atatürk. 42 ans pour le grand homme, 74 pour le génie. Sobriété voire indifférence pour le premier, éclat voire pompe pour le second. Tombe au fin fond d'un village pour le "premier des Français", mausolée au coeur d'une capitale pour le "père des Turcs". L'un définitivement déposé, l'autre éternellement regretté. Une destinée presque semblable, pourtant. Guerre, combats, défaite, occupation, résistance, chef de la France libre, chef de la Turquie libre, théorie du glaive et du bouclier, obstination et un "isme" au bout du compte. Gaullisme et kémalisme = souveraineté populaire et indépendance nationale. Deux principes fanés, dit en passant...



"Deux corps" aussi : le Résistant et le Politique. Respecter l'un est un devoir, discuter l'autre un droit. Les historiens français discutent volontiers, les collègues turcs forment chapelle. Le Français se gardera de magnifier, le Turc ira sanctifier. Le chercheur, le vrai,  boude les adjectifs qualificatifs pour les personnages de l'Histoire. Ce n'est ni sa fonction ni sa vocation; il établit des faits, des connexions, et laisse aux autres le soin de s'extasier ou de se rembrunir. L'oeuvre peut être prodigieuse, la lutte valeureuse, la vision audacieuse,  la louange du spécialiste restera malencontreuse. Qui dit messé dit fixé. Qui dit mussé dit serré...

Les écrans de télévision sont pleins et vides; on raconte trop, on analyse peu. L'historien s'emballe, s'émeut et s'évanouit; le téléspectateur entre en transe. Pourtant, il est un fait que tous les spécialistes reconnaissent : aucune biographie sérieuse de Mustafa Kemal Atatürk n'a été écrite par des Turcs ! Il y a quantité d'instituts sur Atatürk et ses réformes, des séminaires sur la Turquie républicaine, des départements d'histoire mais rien de sérieux sur lui ! Seuls les étrangers ont su produire des livres de qualité. Car le Turc est trop sentimental, trop attaché au "guide", il justifie plus qu'il n'explique. Subtilité qui échappe au "mémorialiste"...

Il faut dire qu'avec des mémoires, on aboutit forcément à des hagiographies. Unetelle a dit qu'Atatürk était athée, hop, on l'invente dévot; untel a dit qu'Atatürk était dictateur fieffé, hop, on le fait sacré démocrate. Ce n'est pas tant cet activisme qui dérange, c'est ce BESOIN de purifier. Comme si un Atatürk ivrogne, athée, coquin, ne mériterait pas le respect dû à un sauveur de la patrie. Comme si sa vie privée annule son héroïsme. Tout Turc, à l'exception des plus extrêmes comme les Kaplanci, respecte Mustafa Kemal, le pacha résistant. Mais tout Turc n'a pas le devoir d'adorer le Mustafa Kemal politicien. Comme on peut être gaulliste de gauche.   

Le drame de Mustafa Kemal Atatürk est précisément d'être devenu l'exact contraire de ce qu'il voulait être. Il aspirait à devenir autre chose. Un leader et pas un dieu. Un révolutionnaire et pas un acharné. Un visionnaire et pas un routinier. Celui qui a fermé les édifices religieux pour, précisément, idolâtrie repose aujourd'hui dans un mausolée grandiose. On lui écrit des lettres, on lui soumet des doléances, on l'appelle au secours, on lui demande sa bénédiction. Comme on le faisait pour les tombes des cheikhs ! Et les plus hautes autorités de l'Etat s'y soumettent. Sortir des veillées funèbres, la quintessence du kémalisme; bafouée à qui mieux mieux. On croyait dresser les consciences en dressant un mausolée, on a abouti à une pathologie diffuse. Quand on ne demande rien, on est toujours mal compris...

jeudi 1 novembre 2012

Un jour de République...

Lundi 29 octobre, les républicains turcs fêtèrent le 89è anniversaire de la proclamation de la République. République islamique en 1923. Avec un Calife à Istanbul, des cheikhs à Ankara. Époque où le droit musulman, l'alphabet persan, tout le tralala "rétrograde" étaient encore en vigueur. République et charia bras dessus, bras dessous. C'est dire, le Calife en personne félicitait Mustafa Kemal pour son élection à la tête de l'Etat. Un ancien pacha de la monarchie dont il était lui-même prince héritier. Il était homme civilisé, que Dieu l'absolve. Son cousin, le Sultan Vahidettin Mehmet VI fut dépossédé de son titre un 1er novembre 1922, il y a exactement 90 ans. Un an plus tard, on proclamait la République, le nouveau régime de l'Etat turc. Depuis, on fait avec...

En 1923, la concorde donc. Car les conservateurs ne sauraient médire de la République. Elle est sans doute le régime le plus islamique qui soit. Du moins, elle est plus idoine qu'une monarchie absolue de type ottoman. D'ailleurs, la masse et les chefs du mouvement de libération nationale avaient un seul mot d'ordre : sauver le Calife, prisonnier à Constantinople. La fine intelligence de Mustafa Kemal a fait le reste : suppression de la monarchie en 1922, instauration de la République en 1923, abolition du Califat en 1924, processus de laïcisation et finalement, institution du principe de laïcité en 1937. Il avait pour le coup un véritable "agenda caché"... Les choses dégénérèrent quand la République se mit à sécréter du fiel. Quand elle créa "l'autre", "l'arriéré", "le non-sunnite, "le non-Turc", "le non-éclairé". Un dévoiement, une scorie acquise peu après.

Lundi donc, en 2012, la République était à l'honneur. Et comment ! Le gouvernement avait indûment interdit une manifestation de l'opposition à Ankara, le chef de ladite opposition était naturellement monté sur les barricades histoire de montrer qu'il s'opposait, le président de la République avait gentiment accueilli pour la première fois Mesdames les Générales qui avaient daigné accepter l'invitation de la Première Dame voilée donc islamo-facho-terroriste jusqu'alors, le même président avait bizarrement contourné la fermeté de son Premier ministre en intimant l'ordre de dégager les rues afin que les opposants manifestassent dignement, les Kurdes du BDP avaient fidèlement boudé les cérémonies au Monothéon à Anitkabir et le président de la fédération du CHP à Istanbul avait sensiblement rudoyé les militaires qui cherchaient leur place au protocole pour ne pas avoir préservé la République contre le gouvernement en place, "il nous incombe de défendre la République que vous n'avez pas pu protéger" dixerat.

Les télévisions proposaient des séances de transe, une historienne qui tentait d'expliquer des choses pas très conformistes sur les débuts de la République, se voyait demander : "pourquoi vous n'aimez pas Atatürk ?". Elle n'avait beau établir aucun rapport entre sa position critique d'historienne et l'amour pour l'objet de son étude, on s'en fichait. On la livrait à la vindicte des téléspectateurs, elle ne savait pas, de toute façon. Elle était femme et ingrate; alors qu'Atatürk l'avait faite citoyenne. Des êtres pensants, avait sans doute souhaité l'Immortel. Peu importait, il fallait des historiens reconnaissants. Donc fidèles. Donc idéologues. Donc pépères. Avec ça, on faisait de l'histoire...

La République avait 89 ans. Le régime, fallait-il préciser. Ses idées, ses préalables, ses pré requis n'avaient jamais existé. On récitait des leçons, on écrivait des hagiographies, on rabrouait les Kurdes, on ignorait les alévis, on tolérait les dévots, on méprisait les orthodoxes, on se méfiait des Arméniens. L'idée démocratique pensée par Atatürk n'avait pas été mise en application par ses successeurs. Du coup, la République pouvait avoir 89 ans, elle n'avait pas encore débuté sa carrière en Turquie. Le parti d'Atatürk n'était jamais arrivé au pouvoir depuis les élections libres de 1950. Le Blond aux yeux bleus n'y était pour rien; c'était la faute à Rousseau. Les fanatiques du second se disaient détenteurs du premier. Les défenseurs du premier se disaient adversaires du second. Deux rangées d'ennemis se disputaient une mémoire et un héritage. Dans la République de 89 ans...

Un Premier ministre fier de sa véhémence, un Président penaud de son audace, une opposition ravie de son baroud, des millions de personnes ébahies, des millions d'Arabes ébaubis, des millions de Turcs étourdis. Une fête nationale. Une République. Moyennement démocratique. Heureusement qu'Atatürk avait laissé pour héritage la science et la raison. Le premier jour et le dernier jour de la République, quel décalage. Peu nous en chalait, nous autres. "Commérages des oies sur le vautour". Nous étions un 1er novembre; il y avait exactement 90 ans, le symbole de l'unité nationale avait été renversé; il n'y avait plus de symbole, il n'y avait plus d'unité. La République avait 89 ans; on avait dressé des barricades...