vendredi 30 mai 2008

"Savgate" et "Babacangate": essai de critique du Gouvernement turc

Tout le monde se pose la question. Ca trotte. Est-ce que je suis sur écoutes ? Les écoutes ont le vent en poupe en Turquie. La plainte initiale a pour auteur Önder Sav; oui, celui qui avait eu "l'audace" de blaguer sur le Prophète. Le tombeur du fameux tabou. Il papotait tranquillement avec un Préfet, de choses et d'autres. L'entretien fut publié intégralement dans Vakit, le journal "chariatiste". Deniz Baykal, en bon berger, dénonça immédiatement le système d'écoutes mis en place par le Gouvernement. Et après, ce fut l'emballement.
Les "victimes" se bousculent; certains en profitent pour fantasmer: je crois que je suis également écouté. On lui demande sa profession: professeur à la faculté de théologie. C'est vrai que le gouvernement a mille raisons pour écouter un théologien...
Mitterrand, jadis, n'avait pas trouvé mieux à dire que : "il n'y a pas un système d'écoutes à l'Elysée. D'ailleurs je ne sais pas comment ça marche". Comme si c'était lui, en personne, qui appuyait sur les boutons. Je l'aime toujours. Le Premier Ministre a, en bonne conscience, proposé de mettre en place une commission parlementaire chargée de faire la lumière. Non, lui a rétorqué le CHP; sans explication rationnelle. Et après on nous demande de critiquer le Gouvernement...
Autre incartade: les propos du Ministre turc des Affaires étrangères, Ali Babacan; sa faute: avoir dit devant la Commission des affaires étrangères du Parlement européen que les Musulmans avaient également des soucis pour vivre leur foi en Turquie. Les Turcs sont nationalistes; ils détestent déballer leurs linges sales devant les autres. Mais ne renient pas que ces linges sont sales.
La liberté religieuse est en panne pour tout le monde en Turquie. Voilà le résumé de ses propos. Drôle de laïcité. Mais comment ! rugissent certains. Qui empêche un Musulman d'aller à la mosquée ? d'aller à La Mecque ? de lire le Coran ? de jeûner ? etc. C'est vrai. Les Musulmans turcs sont bien lotis. La Turquie aurait donc besogne faite. Pas si vite; Babacan n'a pas totalement tort. D'ailleurs, les Etats-Unis nous le rappellent chaque année dans leur rapport sur la liberté religieuse. Les "indignés" sont libres de les consulter. Approche objective, approche subjective dans le même sens.
Babacan a seulement exposé la situation; d'ailleurs, les ambassadeurs des différents Etats ont dû déjà "briefer" leurs chancelleries. Certains Turcs ignoraient la réalité sans doute; à l'extérieur tout le monde est au courant. L'affaire du foulard, l'interdiction de s'inscrire aux écoles coraniques avant douze ans, la situation des Alévis. Chimère ?
Les mêmes avaient critiqué Mme Gül, la Première Dame turque, d'avoir saisi la Cour européenne d'une requête de violation de sa liberté de religion (encore une fois, histoire du voile à l'université). Comment la femme d'un responsable politique peut-elle se plaindre à des étrangers ? Je suis très fatigué, je renvoie au droit international des droits de l'Homme, cette belle branche qui nous apprend qu'en matière de droits de l'Homme, il n'y a pas de juridiction "étrangère"; on appelle cela la "protection internationale des droits del'Homme". Comme une insulte...
Bref, je voulais, pour être franc, faire plaisir à une connaissance qui me reprochait d'être bienveillant à l'égard du Gouvernement de l'AKP. J'ai au moins tenté. Il faut dire qu'il ne prête pas souvent le flanc. C'est sans doute un fil à la patte. Faire flèche de tout bois n'est pas mon sport favori. J'ai au moins le mérite de l'avouer.

mercredi 28 mai 2008

Lorsque la clergie fait son métier: prononcer la Loi

Le Diyanet a encore radoté. C'est l'avis des musulmans "progressistes". Qu'a-t-il encore publié se demande la masse ? Oh rien, il a juste rappelé que le parfum, le "fleurtage", le croisement de l'homme et de la femme sans la présence d'un tiers n'étaient pas bien. Je respecte toujours les fatwas de la Haute assemblée religieuse turque. J'ai peur d'être taxé d'incroyant. Quoique; chez nous, il n'y a pas d'institution, c'est connu. Personne ne nous excommunie, personne ne nous accorde des indulgences (les Catholiques sont fous de joie, Benoît XVI adore cette pratique), personne ne nous dérange à la naissance ni à la mort ni même vivant. Chacun sa route.
Le Diyanet a, avions-nous dit, "rappelé" des choses. Ca va mieux en le répétant. Le Prophète aurait dit, "la religion est conseil". Les savants du Diyanet nous conseillent donc de nous éloigner de ces situations à risque. Principe de précaution.
Les premiers "refuseurs", dans ces moments-là, sont toujours les mêmes: certains musulmans dont le discours se fait un point d'honneur de dénoncer l'obscurantisme "diyanetal". La critique est la bienvenue. Mais. Il s'agit là de religion; l'art est difficile, la critique doit au moins être consistante, c'est la moindre des choses. La fatwa ne me plaît pas, le coeur pousse donc la bouche à la dissidence. Il ne m'est jamais venu à l'idée de dénoncer le sort des femmes dans le judaïsme (la question de la "pureté familiale" et surtout celle du divorce). Tout simplement parce-que mon interlocuteur n'est pas de ce monde. Comment dépouiller un texte ? Ca ne m'intéresse pas, donc je me tais. Je ne bataille jamais pour le plaisir de m'essouffler; on ne peut pas faire comme si Dieu n'avait pas posé ces règles. Je ne lutte pas contre Lui, désolé. J'accepte ou pas de pécher. Point.
Le monde des convictions révélées est toujours difficile; mais heureusement la liberté de quitter sa foi existe. On reproche donc à des théologiens de dire la Vérité divine. Mais non, c'est un commentaire, rien n'interdit le parfum ou les rencontres mixtes dans l'islam, voyons, tout cela ne vise qu'à assommer, à petit feu, la République laïque, moderne, démocratique, sociale, blabla. Sans doute. La question est moins de savoir s'il est interdit de s'asperger ou de serrer la main d'une femme que de savoir réagir avec adresse.
La créature donne des leçons de psychologie et de savoir vivre à son Créateur; Tu as mal fait: l'embrasement des sens n'existe pas, c'est Freud qui a déconné. Le monde a changé, mais tu vis où ? C'est vrai en plus. Mais il faut un peu plus d'arguments pour me convaincre que l'Homme a changé. Tout rappelle la volupté dans ses gestes et ce, depuis l'origine: l'envie de séduire, l'habillement, le parfum (tiens le revoilà), les paroles, le physique, etc. Si Dieu le pense, c'est qu'Il doit en savoir des choses sur nous ou sur ses "Mes".
La sincérité dans toute chose est un principe fondamental à mes yeux; j'observe que la tiédeur (dans tout domaine) permet d'avoir la critique facile. A une époque, on évoquait l'exemple de saint Jean qui donnait le baptême sans l'avoir reçu. Si les pécheurs ou les aspirants pécheurs savaient... Rien n'empêche la commission du péché, pas même le Coran. Je pèche souvent mais je reste honnête; je n'habille pas mon impair. Je l'avoue. Faute avouée est à demi pardonnée.
Quatre hommes et un caporal, heureusement, ne suffisent pas à ébranler quoi que ce soit.
Lorsque l'offensive intellectuelle branle du manche, il faut soit s'en branler soit reprendre le manche. Je préfère jeter l'éponge; la cervelle d'en face n'accepte que les conforts. C'est si facile de faire le coq. L'Homme est ainsi fait: il crache en l'air pour amuser son ego. Une scène à se lécher les doigts pour le Déchu.

dimanche 25 mai 2008

Le Liban a trouvé son Chrétien, la Turquie emprisonne son Musulman le plus illustre

Nabih Berri a enfin ouvert les portes du Sérail. Les députés n'arrivaient pas à tenir leur séance pour élire le Président de la République. Il nous a importunés pendant tant de temps. Le système institutionnel libanais est un véritable dédale. Le Président de la République est un Chrétien (maronite), le Président de l'Assemblée un Chiite et le Premier ministre un Sunnite. Mais ils sont tous Libanais. En Iraq, on mélange ethnie et religion; le Président de la République est un Kurde (l'ancien troglodyte Talabani), le Vice-Président un Sunnite et le Premier ministre un Chiite.
L'exaspération due à cette énervante attente (je déteste les vides institutionnels) m'avait poussé à soutenir le Cardinal Sfeir; un ami Libanais, chrétien orthodoxe, en était presque offusqué. Pas lui; or un cardinal-président aurait été si bien. Le Général Michel Sleimane (ou Souleyman) est l'heureux élu.
Pour une fois que le passage du treillis au costume trois-pièces se fait sans indignation (le troisième militaire à devenir Président), ne boudons pas contre leur intérêt. D'ailleurs, les dirigeants arabes se sont joints à la "liesse". Le Premier ministre turc faisait partie de la fournée. Les Turcs commencent à se voir une puissance dans la région. On voit le Grand Turc intervenir au Liban, dans les relations israélo-syriennes, en Iraq, dans le Caucase. L'époque du "beurre" est en passe de s'évanouir. Très bien. J'ai toujours pensé que la Turquie devait avoir un siège permanent au Conseil de sécurité. Bon début. Grâce au Jean-David Levitte turc, le Professeur Ahmet Davutoglu.
Alors que tout le monde se réjouissait, un des Cheikh libanais Fethi Yeken a lancé un "ultimatum" au Président turc Gül et au Premier ministre Erdogan; il veut qu'ils empêchent l'emprisonnement de l'ancien Premier ministre turc Necmettin Erbakan, le père spirituel des deux dirigeants. Un islamiste patenté. On comprend la sollicitation. Erbakan a été condamné pour avoir refusé de rendre les fonds versés par le Budget alors que son parti venait d'être interdit. Une subtilisation qui lui avait aliéné une partie de ses sympathisants (mon père avait déployé des efforts incalculables pour défaire ma mère de sa fidélité olympienne). L'imam libanais a dû mettre mal à l'aise les anciens disciples. Coupe court !
Bref tandis que les uns célébraient l'élection de leur Chrétien, les autres mettaient en prison (ou plutôt en résidence surveillée) un ancien Premier ministre, héraut du "nouvel ordre" à teinte islamiste. Et c'est un Libanais qui a pleuré le premier. Que dire ? Les deux saints du jour.

Schindler liste

vendredi 23 mai 2008

L'incontinence des juristes turcs

La faconde juridictionnelle est à son comble en Turquie. Les juristes se bousculent pour lâcher deux trois mots. C'est monnaie courante ici; en France, le ton est presque le même mais la méthode est plus solennelle: un rapport annuel qui résume leurs positions. En Turquie, les magistrats sont impatients, ils préfèrent prendre position.

Le Vice-Président de la Cour constitutionnelle a ouvert le bal; il s'est plaint de faire l'objet d'écoutes téléphoniques. Illico, ministre de l'Intérieur et ministre de la Justice se sont raclés la gorge. Mais ont parlé vaguement de coïncidence, d'opérations policières baclées à cause de l'impertinence du juge constitutionnel. Bref, incompréhension. Mais ce haut magistrat n'a pas hésité à remuer ciel et terre pour trouver un coupable; il a drôlement convoqué le préfet de police. Celui-ci en a perdu son latin. Un psychiatre a proposé à M. le Vice-Président de se déporter. Son cas serait pathologique.



Ensuite, c'est le Président du Haut Conseil aux Elections qui s'est manifesté; il a rappelé sereinement que rien n'interdisait à M. le Premier Ministre, en cas d'interdiction de son parti, de continuer son combat politique en simple député indépendant. Presque un pied de nez, mais il était sincère; opération de sauvetage ont dénoncé certains. Le juge a déjà tranché le litige in abstracto.















De son côté, le Président de la Cour constitutionnelle a essayé de deviner la solution qu'il va donner avec ses pairs: puisqu'ils sont tous compétents, personne ne devrait douter du sens de leur décision; elle ne pourra renforcer que la démocratie et la laïcité. Propos à double tranchant. Tout le monde comprend ce qu'il veut. Mais l'émoi est identique: le juge aurait déjà donné sa décision avant même d'avoir scrupuleusement analysé les charges du "proc". Un réflexe; leur teneur rebute le lecteur.



Enfin, la Cour de cassation a préféré donner le bal; elle a tout bonnement publié une déclaration au "Grand peuple turc"; elle se désole des pressions exercées sur la justice turque: les responsables européens, les intellectuels, les partisans de l'AKP, etc. interviennent dans notre conscience disent-ils. Elle demande, en outre, de laisser tranquille la grande soeur, la Cour constitutionnelle. Enfin, elle défend son parquet audacieux et s'en prend, dans un élan schmittien, aux obscurantistes qui font tomber une à une les tourelles. La réception est toujours aléatoire: pas pour le CHP qui rallie, sans état d'âme, toute déclaration officielle; il publie immédiatement une déclaration de soutien en ricanant comme un peigne. L'avenir est dans le chaos. Les recteurs ne sont jamais en reste dans ces moments-là. D'aucuns applaudissent: la justice résiste férocement aux tentatives anti-kémalistes; comment ne pas être conscient du "fascisme à calotte" ambiant !




On vient d'apprendre que le Conseil d'Etat a publié un commentaire du texte de la Cour de cassation; il rappelle que le Gouvernement aurait dû se dresser contre les pressions européennes. Soit. Il a raison; mais une protestation doit se faire à chaud. Tout le monde se regarde: ça date de quand déjà la déclaration d'Olli Rehn ? Peu importe: le Conseil d'Etat s'est prononcé, attachons-nous au texte; d'accord mais les boursicoteurs font la moue. Un Conseil d'Etat hostile au Gouvernement, on rêve: les conseillers d'Etat français en sont émus et presque jaloux.

Lorsque le Président Sarkozy avait demandé conseil au Président de la Cour de cassation, celui-ci n'a pas eu l'idée de publier une déclaration en catastrophe; il a dit "oui mais", l'élégance française. Même le rabrouement a un code.

La Haute robe se rebiffe, il ne manquait plus qu'eux. Un memorandum chasse l'autre. Un crêpage de chignon institutionnel, Montesquieu en aurait pleuré. Où se plaindre ? Les juges sont devenus parties... Obstinons nous à compter les clous de toutes les portes officielles; le système juristo-strato-laïcistocratique périclitera bien un jour. Entretemps, le gouvernement des juges cède sa place: ils veulent désormais la souveraineté; répétons-le, dura jurisprudentia sed jurisprudentia... On se dupe comme on peut. Du bout des dents.

lundi 19 mai 2008

A bâtons rompus

Önder Sav est le "secrétaire général" du CHP, Parti républicain du peuple (gauche nationaliste). Je n'avais aucune raison particulière pour me pencher sur son cas: du CHP, vieux, effacé, dogmatique, etc. Un homme de l'ombre, nous dit-on; mais un avocat de formation et ex-bâtonnier de l'ordre national des avocats.
Un lieutenant de Deniz Baykal, le président. En Turquie, les partis de gauche ont des "présidents" à leur tête; en France, on préfère "secrétaire général" ou "porte-parole", ça sonne moins "institution", plus "organisation". Le primus inter pares. Un honneur dans le jargon de la gauche française. D'ailleurs, l'actualité nous le prouve, le défilé a commencé. Presque une sornette en Turquie, on préfère "Président", sans discussion. Le monde prône la modération dans la titulature: "secrétaire général de l'ONU", "serviteur des serviteurs de Dieu", "serviteur des Deux Saintes Mosquées", "porte-parole de la LCR", etc. D'autres préfèrent les qualités ronflantes: "Guide", "Commandeur", "Protecteur", etc. Les secrétaires généraux des partis politiques turcs sont des secrétaires; point.
Revenons à ce fidèle; on l'a entendu conseiller tout de go à un vieux militant qui, naïvement, lui a glissé qu'il s'apprêtait à se rendre au pèlerinage à La Mecque vu son âge avancé, de ne pas se laisser chiper par les Saoudiens et dire d'un air taquin "Vas-y, peut-être que Muhammad ne te laissera pas". Digne du valet du diable. Ou du diable en personne, celui qui bat sa femme et marie sa fille. Lors de leur dernière campagne électorale, provoquée par leur opiniâtreté désormais proverbiale, la direction n'avait pas hésité, une seconde, de distribuer des foulards et de brandir à l'endroit du Premier ministre : "La religion est à nous, pousses-toi !".
Mon père, gonflé d'une aversion dégoulinante contre la clique CHP, n'en demeurait pas moins béat devant l'exploit de Baykal d'avoir fait du CHP, un parti de "Tcherkesses"; en liquidant tout élément kurde et alévite. Lui, l'avocat Önder Sav, le médecin Haluk Koç (aujourd'hui dissident), le diplomate Onur Öymen, l'ambassadeur Inal Batu (aujourd'hui transfuge), le syndicaliste Mehmet Cevdet Selvi, etc. La crème tcherkesse.
Heureusement, l'esprit de clocher ne suffit pas à soutenir un parti politique. Cette sortie du secrétaire Sav est imbuvable pour les uns, inoffensive pour les autres, inutile pour tout le monde. Je ne sais pas trop quoi en penser: effusion du coeur ? profonde réflexion ? blague "moderne" ? Entre l'AKP, taxé d'islamiste et le CHP, comptabilisé dans la liste des partis religieusement tièdes, on ne sait plus où se tourner. Côté CHP, c'est l'encéphalogramme plat, bizarre, ils ont réponse à tout en général.
Ne serait-ce pas une grave gaffe, cette fois-ci ? Abracadabrantesque. On ne badine pas avec la religion en Turquie; c'est une sorte de respect naturel comme il est coutume de respecter le Président de la République. Allez je reprends la phrase de mon père: "vivre en Turquie, c'est une chose qu'ils n'ont jamais comprise". Jadis, ils passaient leur temps dans les bals; aujourd'hui, ils ne sortent pas des salons. Un parti de gauche rempli d'ambassadeurs, ça vient peut-être de là, allez savoir...

jeudi 15 mai 2008

"Parodie de démocratie"

Telle a été l'expression utilisée par un député qui, à raison, s'est offusqué du passage en force du gouvernement sur le projet de loi sur les OGM. Sur une question de procédure, un texte d'importance tombe; mais heureusement rattrapé par le gouvernement et lancé avec célérité à la Commission mixte paritaire.
La démocratie est déjà parodique depuis bien longtemps, ressortir les mouchoirs, oui mais pas pour s'essuyer les yeux. Les postillons seulement. La démocratie moderne ne permet qu'une chose: palabrer. Le Parlement est Tribunat pour l'opposition et Corps législatif pour la majorité; un temple bruyant mais atone.
Pour une fois que la théorie se faisait pratique, les députés eux-mêmes étaient gênés. Pour un "projet de loi", c'est vrai que ça gêne. Une obscure proposition, on aurait compris, mais là un texte qui vient du Gouvernement ! J'ai toujours eu du mal à comprendre la fonction des députés dans un système "rationalisé" comme il est coutume de dire. Les uns payés à lever la main ou appuyer sur un bouton et les autres à tonitruer. La France doit importer le système américain: des partis fantomaux, des députés puissants. Régime des parlementaires. Un système de compromis permanent, voilà la solution. Les députés ont réfléchi, demandé conseil, tâté le terrain et finalement voulu dire NON. Mais lâchement; ils ont "voté avec leurs pieds". Une parodie dans la parodie.
Le NON n'a donc été ni franc ni massif. A une voix près. J'aime bien quand les choix se font à une voix près, c'est presque du solennel, le vote se drape dans une teinte historique (Louis XVI, amendement Wallon).
C'est un "incident regrettable" a lâché le Premier ministre. Lorsqu'un vote est qualifié ouvertement d'incident par celui qui, théoriquement, est le premier exécuteur des volontés du Parlement, il faut bien s'interroger. Mais pas s'effaroucher. C'est de la garniture, rien de mal. On n'arrive même pas à s'indigner tant la démocratie est superbement bafouée. Ailleurs, on parle de "démocratie dirigée", "démocratie autoritaire", "démocratie de discipline", etc. Les épithètes valsent, la notion demeure. En France, la démocratie parodique fera l'affaire.
Même les jeux avaient des règles, à ma connaissance. Faites au moins attention à l'apparence, essayons au moins de jouer une parodie de démocratie, est-ce trop demander ?

lundi 12 mai 2008

Les catastrophes et l'art de faire sa loche

L'expression fait florès. Une sorte de sac poubelle où il est diplomatiquement sain de lancer les "situations" qui dérangent et qui perdent leur identité propre pour recouvrer celle de "catastrophe". Sa Sainteté Benoît XVI a reçu son homologue spirituel, le Patriarche de tous les Arméniens, Karekin II. Evidemment, là où se trouve un Arménien, il est coutume de prononcer le fameux mot. Tout officiel arménien qui se respecte tente toujours d'arracher ce mot à la bouche de son interlocuteur. Les présidents américains refusent à l'unisson. Ils préfèrent "les événements de 1915".
Karekin II est rentré bredouille du Vatican; le Saint-Père brisant la tradition de Jean-Paul II, la prononciation unique (celle de 2001) devient immédiatement tradition pour ces mots qui mettent longtemps à sortir, a opté pour "grande catastrophe". Le soutien des enceintes fait toujours du bien, tant pis pour cette fois. Les années reviennent, les commémorations portent bien leur nom, les tentatives insistantes et presque racoleuses ne font jamais rougir ceux qui les font, l'habitude efface toujours les vertus. Une affaire de mémoire qui peine à prendre sa vitesse de croisière. Les Turcs applaudissent dans ces cas-là: être pingre en mots est une qualité inestimable en diplomatie, aiment-ils lancer au Pays du martyre.
Le mot "catastrophe" me rappelle toujours l'histoire des Palestiniens. La fameuse Nakba. Le retour des antiques propriétaires. Eh oui, soixantième anniversaire cette année. Une histoire de droit de propriété qui s'éternise. La série a dérapé en une suite de films. Chaque scène coupe les ponts avec le passé. Sans queue ni tête.
Quarantième pour une autre forme de catastrophe, Mai 68. D'emblée, je m'explique: je suis neutre par rapport à cet événement. C'est joli, dans la forme, le désir sexuel fait faire des révoltes. On ne se bouscule plus pour remplir l'estomac, du moins dans cette partie du globe mais pour vider nos organes; être libre, moins lourd, plus frivole; l'oisiveté, un droit de l'homme. Mais "l'oisiveté enseigne tous les mauvais tours" pleurent les religieux. Soit. Chacun voit midi à sa porte.
En réalité, la liste des catastrophes est longue: en Birmanie, en Chine, en Iraq, au Zimbabwe, en Biélorussie, ici, là-bas, au Parti socialiste, etc. Certaines de mes connaissances pensent à la mort de Louis XVI dans ces moment là; moi, je reste fixer sur celle du petit cheval. Tout ce dérèglement mène à l'ultime catastrophe, je vous le dis. A force de compter ses signes avant-coureurs, je me suis mis à courir derrière elle; je la vois partout. Un délire eschatologique. Nous sommes aux premières loges...benden söylemesi.

vendredi 9 mai 2008

Que faire ?

Un terrible typhon a gravement secoué la Birmanie. On parle de plus de 100 000 morts et d'un million de sans abris.
Les jours passent, la junte demeure. Et comment ! Les aides doivent passer par un filtrage; mourir plutôt que de se sustenter des mains de l'ennemi . Non, même pas ça. L'orgueil n'a rien à voir dans cette affaire. C'est le pouvoir qui bronche. On n'ouvre pas le pays. C'est presque risible, "güler misin aglar misin" disent les Turcs, "on pleure ou on rit". Les avions atterrissent; on s'empresse de les vider, mais seulement les "aides matérielles" (et financières bien évidemment). Les équipes sont renvoyées, surtout pas d'étrangers, de témoins, de secoureurs. Les militaires ont raté leur stratégie; leur pouvoir s'appuie sur les forces de l'ordre; or ces forces sont elles-mêmes victimes, directes ou indirectes, de la catastrophe. Ils avaient une occasion pour briller; c'est un gâchis. Un peuple délaissé au nom du pouvoir. C'est une question de survie pour tout le monde.
Une catastrophe dans la catastrophe a déclaré le Ministre Kouchner. On fait la guerre ? Non, non. On active la "responsabilité de protéger", nouveau nom de l'ingérence humanitaire ? Non, non ont répondu en choeur Russes, Chinois, Libyens, Vietnamiens et Africains du Sud. Une histoire de calculs, encore une fois.
Comment ne pas être en colère ! La tornade a tout paralysé: les ponts, les habitats, les routes mais la junte, droite dans ses bottes, fait toujours cocorico. Un cocorico d'honneur. Inchallah.

mardi 6 mai 2008

Le droit à l'alimentation, la relève.

Le rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation a changé: un juriste succède à un sociologue. A entendre mon prof de droit qui côtoie les deux, ils sont brillants. On regrette le tonitruant Jean Ziegler, on adore déjà le "prof" Olivier de Schutter. Celui-ci envisage de demander une session extraordinaire au Conseil des droits de l'Homme pour se pencher, spécialement, sur un droit économique et social. Bonne idée.
On parle actuellement d'une crise alimentaire, de l'augmentation du prix des matières premières, de l'apparition indue des biocarburants ("crime contre l'humanité" selon Ziegler), de la famine, du désordre planétaire, des appels lancés par le secrétaire Moon, etc. Bref, on a faim ou on aura faim. L'appel de Schutter tombe donc bien à propos. Jean Ziegler avait fait ses comptes: on est capable de nourrir, actuellement, 12 milliards de personnes. Or, le tiers de nos semblables sont invités à dormir; qui dort dîne. Ziegler a lâché en bonne logique: "ce sont des assassinats". Nous sommes des assassins.
Chirac disait que le premier des droits de l'Homme, "c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation et d'avoir un habitat". Cette déclaration avait été très critiquée en son temps; elle contrevient à la théorie qui veut que les droits de l'Homme soient indivisibles et interdépendants; elle visait aussi à promouvoir l'excellence du Sieur Ben Ali en ce domaine. Trêve d'idéologie. Il a un peu raison. Un "new deal" s'ompose, nous dit Robert Zoellick. Olivier de Schutter semble être une bonne épaule. Ce n'est pas moi qui le dis, oh que non, mais les observateurs. On ne va pas tout de même parler latin devant les clercs. Point de pas de clerc.

jeudi 1 mai 2008

Bouddhisme et soufisme, même combat ?

Un petit moment de déprime (la rédaction du mémoire m'étouffe) m'a poussé à "essayer" de comprendre la philosophie bouddhiste. A peine ai-je trouvé un bouquin sur la "Sagesse du bouddhisme tibétain" (de sa Sainteté) que mon frère m'a glissé une brochure sur "Rûmî et le Chemin soufi de l'Amour". Belle coïncidence. Courte épopée, malheureusement, l'autre "bouquin", le mien, me regardait avidement dans les yeux. Pourrais-je supporter la thèse ? Je me pose des questions.
Ces questions, je ne pouvais pas me les poser auparavant; plan d'avenir tiré au cordeau, nature bilieuse, ambition à couper au couteau, préparation studieuse à un hypothétique grand poste, etc. ; bref, creuser sa fosse avec sa tête. Le mysticisme était loin de moi, ça me la coupe.
Voilà donc deux orfèvres en la matière. Comment rester insensible quand Bouddha et Rûmî vous font aigle ? Le but est simple: obtenir la paix intérieure. Comment ? En éliminant la souffrance. Qui dit mieux ! En réalité, le but est presque subversif: faire peau neuve, donner un coup de peigne à l'âme. Le bouddhisme est un soufisme sans dieu; une "philosophie" orientée vers l'humanité d'où le rôle majeur de la compassion, "l'étreinte universelle" chez Rûmî.
Les deux parlent de la "libération", parvenir à l'Eveil pour l'un (le très fameux "nirvana"), devenir Insan-i Kâmil (l'homme parfait) pour l'autre.
Le bouddhisme vise à éliminer les "perceptions erronées" de la réalité (ce que le Dalaï-Lama appelle "la souffrance omniprésente") pour écarter, in fine, les "émotions perturbatrices". En gros, comme on a du mal à percevoir la nature profonde de la réalité du fait de nos préjugés, on tombe dans la colère, le désir, la haine, etc. Solution: le nirvana c'est-à-dire la connaissance; une sorte de jetée dans le gouffre pour tenter de "prendre conscience de l'absence de fondement total de nos points de vue erronés" qui passe par la compréhension de la "vacuité", de la "nature illusoire de la réalité". Tout est affaire de perception sujective puisque rien n'est doté d'une existence intrinsèque, c'est "l'absence de soi". Bref, méditation, entraînement et transformation mentale.
Le mevlevisme (ou soufisme) prône la libération à travers la rencontre avec Dieu : "depuis le jour où tu arrivas dans ce monde de l'existence, une échelle a été placée devant toi afin que tu puisses t'échapper". Comme dans le bouddhisme, la souffrance ne peut être surmontée que par la connaissance; il s'agit de la connaissance de Dieu. Entretemps, il pratique le "sema", le tournoiement accompagné du "ney", la flûte en roseau, le soupir de l'amour. Derechef, méditation, entraînement et purification.
J'avoue que lire à la source vous transporte; le hic, c'est la descente. La réalité est si morne. Je l'ai toujours pensé, la vie est dans les livres, je tire mon chapeau aux Eveillés, le chemin des écoliers, c'est connu, c'est le chemin le plus long.
Bout de chemin avec, chemin de boue sans, il n'y a pas photo. Il faut chiader, "les humains sont des créatures dotées d'ailes d'anges attachées à la queue d'un âne", dixit Mevlâna.