jeudi 27 juin 2013

Pasticherie

Ce fut la débandade générale. Quelques arbres allaient être arrachés. Quelques décisions ressenties comme lèse-liberté avaient été prises. Une caserne ottomane allait être reconstruite. Le citoyen bouillait de colère. Alors il descendit dans un parc et voulut l'occuper à demeure. Le financement et l'approvisionnement furent assurés par de "grands groupes". La faucille et le marteau et les seigneurs du capitalisme. L'un disait "révolution", l'autre disait on ne sait trop quoi. On avait heureusement croisé quelques "modérés", histoire d'épater les commentateurs. Et histoire de pouvoir parler de "printemps turc". "On le disait bien, c'est un mouvement très large, des dévots aux révolutionnaires !". Bah oui, mais c'était pour la "première". Et franchement, euh...

Atatürk'le Öcalan neden yan yana?

Comme le disait Victor Hugo, "il y a l'émeute et il y a l'insurrection; ce sont deux colères; l'un a tort, l'autre a droit. (...) Dans toutes les questions qui ressortissent à la souveraineté collective, la guerre du tout contre la fraction est insurrection; l'attaque de la fraction contre le tout est émeute" (Les Misérables). C'était bien beau d'avoir des définitions, ça jambait les savants sur les plateaux de télévision et c'était tout; les manants, eux, ignoraient la sociologie, ils préféraient brailler, s'asseoir, dormir. Occupy et Indignados à la sauce nationale. C'est que la maman turque, qui ne vit que pour son bout de chou comme on le sait, était aussi présente. Elle se chargea du ravitaillement. Mais rien n'y fit. L'Anatolie s'était rendormie, Istanbul s'était assoupie. Seul le parc ronronnait.

Le Président de la République présidait son palais le temps de la tempête, le Premier ministre en profita  pour fustiger. A tel point que les civières furent remplies, quelques morts, des dizaines d'aveugles, des centaines de blessés. Et le Premier ministre de vanter le "professionnalisme" de sa police... C'est que des rumeurs avaient acquis force de faits, le complot international, une voilée bousculée par ici, une canette de bière bue et jetée dans une mosquée par là, etc. etc. L'Union européenne et particulièrement l'Allemagne adoptèrent la posture du vieux sage rompu à toutes les grimaces et délivrèrent des leçons de droit. La France, fort heureusement, ne proposa pas d'envoyer sa police, reconnue, n'est-ce pas, pour son "savoir-faire". 

La chose était fort simple : une querelle faite par des Turcs contre des Turcs malgré les Turcs. Contrairement aux apparences, les deux camps s'étaient reformés : les partisans de l'ordre établi d'une part, tous les autres d'autre part. Pourtant, le préfet d'Istanbul prit la peine de prendre langue avec les "résistants" et de leur offrir l'étrenne de sa barbe. De minuit à cinq heures du matin, il s'installa sous l'arbre à palabres. Il fit de la prose sur son compte twitter, il parla d'abondance à la presse. Rien n'y fit. C'est connu, l'entêtement dû à l'idéologie n'a point de gloire; il répond non pour le seul plaisir de pouvoir répéter la négation; la gloire, elle, est une déclinaison de l'intelligence, elle a ses vertus... 

On avait convoqué, s'il-vous-plaît, le Sultan Soliman pour les "pourparlers". L'acteur de la fameuse série fut expédié à la tête de la délégation pour rencontrer le Grand Vizir. Celui que Erdogan précisément critiquait pour l'inauthenticité de son personnage. Le barbu (le Sultan), qui empochait chaque semaine des dizaines de milliers d'euros, disait au glabre (le Vizir), qui dirigeait un pays avec quelques milliers par mois, d'écouter le "tiers état". Comme celui qui jouait dans la pub d'une banque pour devenir par la suite socialiste et rédiger les "cahiers de doléances". Ainsi allait la parodie... euh le Printemps turc. 

On se rendit compte qu'il n'y avait plus de raison pour occuper un jardin public. Chacun se mit alors à faire du romantisme sur le "mai 2013" ou "la génération 90". C'était fort beau et fort utile pour l'avancement du pays mais il pouvait se faire dans les chaumières. L'ordre public avait également un sens dans une démocratie. Les trémolos faiblirent. Les révolutionnaires furent "karchérisés" avec leur Che Guevara. Et le Ramadan approchait. L'été débutait. Les conservateurs et les "modernes" étaient aux abonnés absents. Les artistes avaient déjà commencé à pousser partenaires et enfants sur les côtes de la Méditerranée. La saison des séries avait été éreintante. Il fallait respirer. La Résistance et les arbres, la Résistance et la mer. Voilà où on avait abouti. Et une page fut tournée. Déchirée, dirent les mauvaises langues. Chaussant leurs lunettes de soleil dernier cri, loin, très loin du lieu de résistance. La boucle fut bouclée...