jeudi 19 décembre 2024

(6) Chroniques du règne de Recep Ier. L'ombre de Dieu sur terre

Tout venait donc à point à qui savait attendre. Sa Grandeur nationale, Son Éminence régionale, Sa majesté impériale Recep Ier avait donc eu raison. L'occasion était tellement rare que ses zoïles attitrés en furent enragés. Eux qui blablataient, déblatéraient, blasphémaient durent se rendre à l'évidence : le souverain était un stratège hors pair. On le disait sur le reculoir, englué dans une pensée désidérative. Il n'en fut rien. Il opéra un coup de maître, que dis-je un coup fumant, un coup gagnant ! Il chassa le satrape de Damas, ébahissant au passage l'ogre de Moscou, ébouriffant l'enturbanné de Téhéran et épatant le prétendant au trône de Washington.

 

"La Turquie est bien plus grande que la Turquie. Tout comme l'homme ne peut échapper à son destin, la Turquie et la nation turque ne peuvent échapper à leur destinée. En tant que nation, nous devons comprendre la mission que l'histoire nous a confiée et agir en conséquence", confia-t-il en toute modestie. Un sermon qu'il mâchonna in petto depuis plus d'une décennie ! 13 longues années d'obstination, contre vents et marées. Et, finalement, il chevit du tyranneau, de cet âne vêtu de la peau du lion. Le pathos de la solitude de Son Immensité fut évaporé en quelques jours. Le "vakt-i merhûn", comme on disait en bon turc littéraire, était bel et bien arrivé.

Il revenait de loin, le Padişah. Lui et son ancien secrétaire d'État, le sieur Davutoğlu, avaient pris fait et cause pour les opposants syriens à une époque où tout le monde tergiversait. Ses propres ouailles firent la moue. Mais il resta congruent, sincère, humain. Nullement tenté par la tactique du captatio benevolentiae lors de ses discours, il invita encore et toujours ses "frères" syriens, victimes de leur propre raïs, à rejoindre l'Empire turc. Tout cela gratis pro Deo. L'Anatolie profonde remuait, pourtant. On tabassait par-ci, on calomniait par-là. Sa Gracieuse Majesté demeura inflexible, balayant les peurs obsidionales des uns et les stéréotypes hostiles des autres. Les réfugiés le lui rendirent bien. Ils repartirent au bercail, en bons turcophones.


Car les sans-coeur couraient les rues. Aider son prochain, qui plus est rebeu, n'était même pas un horizon conceptuel pour l'opposition kémaliste. Le sultan maudissait Bachar ? Le CHP grognait. Le sultan aidait la résistance ? Le CHP gesticulait. Le sultan évinçait le tyran ? Le CHP dénigrait. Tel un automate, le CHP disait toujours du mal. "Il n'a rien fait dans cette histoire, c'est du pipeau", lança même son leader, le sieur Özel. Accusé jadis de soutenir les barbus, le Roi des rois était accusé aujourd'hui de s'octroyer un mérite qui ne lui était pas dû alors que lesdits barbus avaient pris le pouvoir. Le nouvel homme fort allant jusqu'à conduire l'espion en chef de Recep Ier, Ibrahim Bey dit l'Épais, à la mosquée des Omeyyades...


Oh que oui, le destin y était pour quelque chose. Le sultan avait le vent en poupe. Dans la foulée, tel un secrétaire général de l'ONU, il rabibocha l'Éthiopien et le Somalien dans son palais. Une démonstration de soft power qu'il appréciait tant. Au même moment, le premier ministre libanais fit escale à Ankara et affirma que les Libanais devaient "d'abord faire confiance à Dieu, puis aux amis du Liban et surtout à la Turquie". S'abandonnant à la délectation, Recep Ier s'envola au Caire pour participer au Sommet du D-8. Les autres rois multiplièrent les gestes d'affection et de révérence. Même Sissi, qui en avait avalé des couleuvres, afficha une estime respectueuse. Il fut ainsi accueilli comme un calife. La boucle fut bouclée...

mercredi 23 octobre 2024

(5) Chroniques du règne de Recep Ier. Le diable est mort, vive le diable !

Selon une prophétie, Fethullah Gülen allait faire de vieux os et durer 99 ans; histoire de survivre à ses ennemis et leur faire un pied de nez. Il trépassa en vieillard, comme un vulgum pecus. À 83 ans, officiellement ; à 86 ans, officieusement. C'est que le personnage méritait une symbolique : en 1938, Atatürk mourut, son antithèse naquit. Ça faisait chic. 

De son vivant, on l'enterra à maintes reprises. Un théologien devenu visiblement gâteux alla jusqu'à affirmer qu'il reposait déjà dans un cimetière juif. Un autre prétendit qu'il avait rendu l'âme cinq mois auparavant. Quoi qu'il en fût, le "Hocaefendi", comme l'appelaient ses sectateurs, alla ad patres dans le giron américain. Celui à qui on donnait jadis le bon Dieu sans confession rejoignit le royaume des morts en maudit...


Ce fut la joie dans l'empire du Grand Turc. Les masses se ruèrent sur leurs tablettes pour l'insulter à qui mieux mieux. Le nouveau motto fut : "Qu'il gémisse en enfer !". L'islam interdisait-il de médire des morts ? Eh ben, il fallait bien pécher de temps en temps, alors on préféra transgresser la religion pour le seul plaisir de l'agonir. Le pontife semi-officiel du régime, Ahmet le Soutanier, ne retint pas son exaltation. Les gazettes, elles-mêmes, envoyèrent balader la déontologie et lancèrent en manchette, "Le diable/traître est mort ". La catharsis alla turca...


Seul le rédacteur en chef d'un journal religieux, Kâzım Güleçyüz, osa invoquer la miséricorde de Dieu. Son tweet fut illico supprimé par les fonctionnaires de Sa Grandeur. Le chef de la police annonça fièrement des poursuites contre 177 comptes pour apologie de terrorisme. Une présentatrice fut même placée en garde à vue pour lui avoir souhaité le paradis, par simple tic de langage. C'est que le défunt sentait le soufre, aucune espèce de compassion ne fut tolérée. 

Par le passé, il avait été en odeur de sainteté, pourtant. Dès qu'il toussait, les seigneurs, les commerçants, les paysans lui souhaitaient longue vie. C'est qu'il fut un peu le lobbyiste officieux de l'Empire dans le monde entier. De simple imam de village, il devint grand ponte d'une structure disciplinée. Un peu comme le Supérieur général des Jésuites.

Un précoce, il était. Mémorisateur du Coran à 13 ans, imam à 14. Il se fit le chantre des enseignements de Said-i Nursi, un théologien persécuté dans l'ancienne Turquie, celle des infidèles. Il réussit malgré tout à percer le plafond de verre en lançant une association de lutte contre le communisme dans sa ville de naissance, Erzurum. Et ancra son mouvement à Izmir, ville la plus séculière du pays.

Maintes fois pourchassé pour "tentative de putsch" (en 1961), "activités religieuses anti-laïques" (en 1971 et 1981) et "tentative de renversement de l'ordre constitutionnel" (en 1997), il s'exila en 1999 à l'insu de son plein gré. Laissant derrière lui des gentilshommes et des affidés en pleurs, il s'envola en Amérique pour diriger son mastodonte. Des collèges, des lycées, des universités, des dortoirs, des écoles de soutien scolaire (les fameuses "dershane"), des journaux, des chaînes de télévision, des stations de radio, une banque.

Unique diplôme en poche, le certificat d'études primaires, il devint un penseur, un lettré et un orateur. Le style était littéraire, l'écriture était ottomane (son secrétaire se chargeait de la transcription), la parole était mielleuse pour certains, amphigourique pour d'autres, il fallait s'accrocher pour comprendre. Ses détracteurs les plus vifs lui reconnurent une intelligence et une mémoire hors norme. 

Oh, il était aussi rusé. Et c'était bien là le drame. Il avait des prétentions universelles. Il créa de toutes pièces une redoutable machine, forgée autant pour promouvoir la tolérance et le dialogue que s'infiltrer dans les rouages de l'État. Personne ne voulut croire les Cassandre. Au contraire, les Premiers ministres successifs affichèrent un soutien sans faille, de la Dame Çiller au Sieur Ecevit en passant par Son Éminentissime. 


Seuls quelques-uns avaient su flairer anguille sous roche. Comment se faisait-il que cet imam soutînt la stratocratie qui chassait les filles voilées des universités ? Comment se faisait-il que cet imam discréditât la flottille humanitaire pour Gaza "Mavi Marmara" ? Comment se faisait-il que cet imam appelât à la démission du gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan ? Et d'ailleurs n'avait-il pas rencontré le pape Jean-Paul II ? Était-il alors un "cardinal in pectore" ? Habitués aux théories du complot et aux hommes médiocres, les Turcs ne virent ici que protection de la CIA, du Mossad et du Vatican...

En 2013, la "Conquête d'Allah", septuagénaire valétudinaire qu'il était, envisagea enfin de commencer une "carrière de dictateur". Les poches gonflées de fatigue, le regard éreinté, l'allure fragile, il voulut revenir dans les "fourgons de l'étranger". Comme Khomeini. Il lança alors ses troupes aux trousses de Sa Majesté et de sa famille, l'accusant de corruption. Recep Ier découvrit alors qu'il le détestait. Et il fit en sorte que la nation entière le haït. Une effroyable guerre s'ensuivit. Jusqu'au jour funeste du 15 juillet 2016 où ses supposés sbires tentèrent de s'emparer du trône. L'hybris entraîna des millions de drames... 

Le mouvement Gülen fut la première et, à ce jour, la seule tentative des musulmans de former un lobby international. Comme tout lobby, il fauta. Comme tout musulman, il pécha. "La Turquie doit avoir des exilés partout dans le monde", avait-il déclaré jadis. Il finit lui-même son aventure terrestre en exil. Il emporta avec lui les secrets les plus boutonnés de l'Empire. 



Le Padişah triompha de nouveau. Il se réjouit de sa "mort sans honneur". Son allié chauvin, le Sieur Bahçeli, qui avait eu le mérite de détester cordialement l'imam depuis les origines, implora le Très-Haut de le brûler éternellement dans la géhenne. "Il n'y a, en Turquie, aucun bout de terre où ce terroriste puisse être enterré. Il devra pourrir là où il a mené son hostilité contre la Turquie". Ironie de l'histoire, ledit nationaliste proposa de réhabiliter Abdullah Öcalan, l'autre terroriste, invité à faire un discours au Parlement. Le leader du PKK, une organisation marxiste. Alias le "démon". Ainsi donc en l'an 2024, le destin inhuma un suppôt de Satan anti-communiste pour exhumer un suppôt de Satan communiste. Ça s'appelait avoir le génie de l'à-propos. Le lendemain, un attentat fit plusieurs morts...

mardi 15 octobre 2024

"Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par..."

En l'an 2023, cela faisait bien longtemps que les affaires du monde ne faisaient plus vomir. On s'y était habitué. Des Africains suffoquaient dans leurs coins ou se noyaient dans les eaux internationales, quelques âmes bien nées s'en formalisaient et puis c'était tout. Le bon Dieu avait décrété la double peine : ils vivraient pauvres, anonymes ils mourraient. Leurs cadavres mêmes étaient inodores : aucun idéologue, aucun "pro-", aucun "anti-", aucun religieux, aucune passionaria ne remuait ciel et terre. Le calvaire des "figurants" était toujours embarrassant, on s'en émouvait certes mais ça nous ennuyait, ça ne fabriquait pas de polémiques...

Et un beau jour, la planète entière se réveilla en sursaut. Des terroristes avaient tout bonnement envahi Israël. Un millier de morts, des centaines de kidnappés, des millions de traumatisés et des milliards de suspects. L'Occident fulmina et c'était normal; Israël, bien que situé au Proche-Orient, faisait partie de l'Europe occidentale selon la classification onusienne. L'Orient marmonna et c'était normal aussi; les Israéliens, bien que vivant au Proche-Orient, auraient dû rester en Europe occidentale selon la conception antisioniste. Les antisémites, eux, se régalèrent : des juifs étaient assassinés, des Arabes étaient massacrés...


Bibi avait déroulé des plans sur la table. Avec son armée la plus morale du monde, il promettait des frappes chirurgicales. Sarcler les mauvaises herbes, c'était tout. Dès le lendemain, il opéra à la diable. Des nunuches avaient beau appeler au bon sens, l'eschatologie était formelle : les suprémacistes juifs et les évangélistes chrétiens devaient bâtir le grand Israël pour hâter la venue du Messie (qui n'était pas le même d'ailleurs mais comme qui dirait, on verrait le jour J). Les djihadistes musulmans, eux, attendaient l'apparition du Mahdi et du Messie, prélude à la fin des temps. Avec Amalek et la prophétie d'Isaïe, tout devint si confus qu'on ignorait qui était "martyr", qui était "assa-saint". Ce qui était à la base un conflit régional de terres et de frontières entre deux peuples sémites devint une double guerre sainte surnaturelle...

Les Israéliens eurent le droit de hausser le ton. C'était l'hubris, c'était la revanche. Les Orientaux aussi pouvaient aligner un chapelet de jurons. La justice de leur pays était pro-palestinienne. Seuls les Européens devaient se taire. Critiquer Israël devint un acte antisémite. D'ailleurs, n'étions-nous pas un chouïa crypto-antisémites, nous autres musulmans ? C'était le double drame : il fallait commencer par maudire les occupés avant de bénir les occupants. Ils avaient le droit de se défendre, pardi ! Le nouveau système international, fruit de la Charte des Nations Unies de 1945 et des Conventions de Genève de 1949, avait beau être passé par là, on s'en foutait. On citait Dresde et Hiroshima pour excuser les indicibles souffrances...

Et il ne fallait surtout pas "contextualiser". Si un Français disait, "Le 7 octobre est arrivé de la manière la plus brutale, mais après dix-huit ans en prison, les gens peuvent devenir fous", la police défonçait sa porte à l'aube. Si un Français disait, "Personne n’ose dire un mot sur Israël. Ne tombez pas dans ce piège : vous n’avez pas seulement le droit de critiquer Israël, vous en avez le devoir. Le contexte est l’occupation et la colonisation depuis cinquante ans, et vous en voyez les résultats. Les Palestiniens n’accepteront jamais l’occupation. Connaissez-vous un peuple prêt à vivre sans citoyenneté ?", il se retrouvait devant un juge. Si un Français disait, "Les victimes du plus grand génocide de l’histoire devraient être encore plus sensibles lorsqu’il s’agit du génocide d’autres peuples. Les Israéliens font le contraire. Ils estiment qu’après la Shoah, nous avons le droit de faire ce que nous voulons", il se faisait lyncher par les académiciens de Twitter. Et pourtant un Israélien pouvait le dire sans en être inquiété...

Les Allemands, on comprenait. Ils ne rataient pas un crime contre l'humanité. Les Héréros, les Arméniens, les juifs et maintenant les Gazaouis. Toujours du mauvais côté. Les Français, d'ordinaire droits-de-l'hommistes, se transformèrent en boutefeux. On vit sur les écrans des humoristes, des acteurs, des chanteurs, des animateurs, des philosophes devenir fous du jour au lendemain. La défense des siens était légitime, encore fallait-il éviter le fanatisme, un travers qui valait bien le séidisme du camps adverse...


Les Palestiniens et les Israéliens méritaient mieux que l'Apocalypse. Le messianisme et le fondamentalisme broyaient des vies avec une égale bonne conscience. On ne savait plus trop quoi faire ni quoi dire. Les juges guettaient les mots. Les journalistes gâtaient les pensées. Alors on s'en remit au futur Chirac. Dans vingt ans, quand le monde aurait eu le temps de reprendre ses esprits, un homme sortirait des rangs pour dire ce que l'autre avait dit en son temps. Acculés par nos enfants, on répondrait qu'on avait été envoûté...

mercredi 9 octobre 2024

"Le patient use toujours l'impatient"

"T'es con ou quoi ! T'es Tcherkesse et tu soutiens un parti xénophobe turc !", avait pesté mon daron ébahi contre son fasciste de cousin. Un hurluberlu qui défendait fièrement, tel un "vrai" Turc, une idéologie chauvine qui l'exécrait dans son essence et l'acculait dans sa différence. "Celladına aşık", comme le dit l'expression, "amoureux de son bourreau". Il bredouilla, gesticula et broncha encore plus. Les nationalistes ont cela de gênant qu'ils sont infoutus de réfléchir dix secondes d'affilée. On se désole à leur place. Un peu comme pour les enfants de 7 ans qui croient nous épater avec leur aplomb à couper au couteau; crânerie pour eux, ânerie pour nous... 

Ces deux descendants de réfugiés ossètes, rescapés des massacres perpétrés contre les Tcherkesses de Russie puis chassés de l'Empire russe vers l'Empire ottoman, avaient émigré en France pour moins d'idéologie et plus de bonheur. Mal leur en a pris. Le pays de Le Pen est friand de ces ferrailleries qui font vivre les bistrots. C'est connu, à trop aimer les bavardages, on finit par détester les raisonnements. On s'ennuie soi-même ? Alors, on s'enivre de slogans. On ennuie les autres ? Alors, on les enivre de fiel. Un obscur sénateur guindé, propulsé chef de la police, l'a bien compris. En l'an 2024, dans un pays où des centaines d'acteurs, de romanciers, d'intellectuels, de musiciens d'origine étrangère ont participé au récit national, il a tout bonnement déclaré que l'immigration n'était pas une chance...

Heureusement que Mitterrand n'est pas mort centenaire. L'eût-il été, il aurait ajouté à ses divers qualificatifs empilés au gré de ses intérêts, celui de "séparatiste". Écoutez-le parler, c'est digne d'un cardinal : "La civilisation française s'est enrichie chaque fois qu'elle a reçu sur son sol des étrangers porteurs d'autres cultures. Qu'est-ce qui nous oblige à considérer que nous devons désormais nous placer dans un musée, objets dans la vitrine ? Je veux que l'on puisse venir en France, bousculer les coutumes et les usages français". "Les parents de Zola et de Gambetta étaient considérés comme des gêneurs qui voulaient prendre la place de commerçants français. Ç'eût été dommage de les renvoyer". "Nous sommes français, 'nos ancêtres les Gaulois', romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais. Je me demande si, déjà, nous ne sommes pas un peu arabes"...

Jésus aurait sans doute applaudi des deux mains. Le pape passe déjà pour un hérétique sur cette question. Plus il lave les pieds des migrants, plus ses ouailles l'éclaboussent. Et que dire de cette dinguerie lors des élections anticipées où des chrétiens avaient voté pour plus de racisme ! C'est d'ailleurs là, une bien belle escroquerie : la droite est fièrement chrétienne mais diablement inhumaine. Des familles à regrouper ? Elle fait la fine bouche. Des étrangers à soigner ? Elle fait les gros yeux. Des réfugiés à protéger ? Elle fait la sourde oreille. Le conservatisme est un fanatisme comme les autres, il porte juste un costume de bal...

Et les "Français de souche", de l'histoire longue et des sépultures, ont la chance inouïe de compter sur des "racistes d'origine étrangère". Les Italiens Ciotti & Bardella, couplés à l'Algérien Zemmour, se la jouent plus patriotes que la vieille France cocardière alors que le Polonais Finkielkraut et l'Algéro-Marocaine Lévy s'adonnent avec l'Égyptien Messiha à un zèle propre aux parvenus. Le Roumain Serge Klarsfeld a été plus raffiné ; il a patienté 88 ans avant d'entamer une carrière de communautariste. Le "malaise des Français musulmans" n'est pas "mon problème !", a-t-il tranché. "Je ne peux pas m’occuper de tout, les musulmans doivent s’occuper d’eux-mêmes", et de toute façon, a-t-il précisé, "ils ne manifestent pas leur attachement à la France". Il suffit de changer un mot pour se retrouver devant un juge...

Ah les musulmans ! Des étrangers barbares, mal élevés, mal éduqués, mal léchés. Des barbus sectaires, des voilées réfractaires qui angoissent les authentiques nationaux abreuvés d'alcool et d'anxiolytiques. Une panique générale s'est installée en Occident. C'est le lot de toutes les religions en Europe : le protestantisme, d'abord; le catholicisme, ensuite; le judaïsme, enfin. C'est au tour des mahométans. Entre-temps, le fameux vivre-ensemble, c'est pour ceux qui vivent ensemble moins les musulmans. La raison a toujours un train de retard, c'est comme ça. Il faut juste savoir attendre. Ca tombe bien, l'endurance est une vertu islamique...



Comme leur grand-père idéologique Charles Maurras, les prêcheurs de haine espèrent "sortir du tunnel de 1789". Ils veulent moins de libertés car ils détestent le bonheur. Ils ont un besoin frénétique de sursauter en permanence, histoire de combler leur vacuité. Ce sont les perdants de l'Histoire. Zola et Gambetta reposent au Panthéon. Les grincheux atterriront dans l'index d'un obscur bouquin spécialisé destiné à être feuilleté par quinze universitaires au plus. Et nous autres "rescapés", plus tard, comme le disait Tonton, "quand on aura le temps, on prendra pitié d'eux"...