vendredi 7 mai 2010

Révération

Comme on le sait, la plupart des nations du monde vont faire fête aux mères, ce dimanche 9 mai. Et comme c'est une fête "païenne", l'imam a consciencieusement rappelé dans son sermon du vendredi, de ne pas tomber dans ce genre de commémorations factices, à la limite débiles et nécessairement étrangères à notre "culture". Le refrain habituel : dans l'islam, la mère doit être honorée, exaltée chaque jour. Un argument qui ne fait plus vraiment sens à notre époque, assurément. D'ailleurs, lui-même, après avoir balancé l'index, a consacré son homélie au respect dû aux parents et surtout aux mères... Acculturation, cela s'appelle, sans doute.


Evidemment, les féministes boudent ce jour-là. Une mère, c'est une femme, avant tout. Le fait de mettre en avant sa maternité, conduirait insidieusement à rétrograder sa féminité. Et qui, d'ailleurs, a inventé cet "instinct maternel", hein ! Les hommes, sans doute, pour soumettre les femmes. Pour insinuer qu'une femme est avant tout un océan de sensibilité, de tendresse, de délicatesse, de bonté, de compassion, etc. Un tissu d'âneries, selon elles. Car il faut absolument que les hommes et les femmes soient de même composition. Ils doivent être égaux. "Oui mais biologiquement on est différents, quand même, nan ?", "salaud, arrête de dire la vérité !"...


La pollution a tellement pris de chemin. Je parlais avec une amie "moderne" sur ces choses-là. Et elle insistait. "J'pense que la femme ne doit pas être perçue avant tout comme une mère, elle a une vie aussi, une carrière, des loisirs, des amies, non non, elle doit rester femme même si elle est mère". Ca m'agaçait, moi. Car c'est du verbalisme, rien d'autre. "Mais moi je veux une mère, je veux qu'elle soit ma mère avant d'être une femme, avant d'être la femme de mon père, la soeur de trucmuche, j'ai besoin de son giron, laissez ma mère tranquille nom de Dieu, elle m'a mis au monde, elle n'est plus une, c'est terminé !" Işte o kadar ! Et il fallait bien la placer : "quand je me sens mal, c'est ma mère que je vais étreindre, pas mon père !". L'argument fait toujours mouche, elle me répondit, mon amie : "ouais c'est vrai, ah ma mère !"...


Quand quelqu'un dit : "je suis père, moi !", on a envie de lui rétorquer "et alors ?". Cette invocation n'a pas et ne saurait avoir la puissance d'un "je suis mère, moi !". Là, on s'arrête; c'est terminé, le débat est clos quand une mère s'introduit. C'est instinctif. Personne ne bronche (sauf celles qui s'échinent à démontrer en paroles ce qu'elles s'empressent de renier en actes). C'est sacré. On est bien transpiration et extase du père ("oh l'cochon, comment i parle !") mais on est surtout endurance de la mère. Lorsqu'un enfant parle de l'avenir et qu'il rêve de devenir riche, il achète toujours le premier et le majestueux cadeau à sa mère, c'est comme ça Babeth...


Quand un Turc est souffrant, il dit automatiquement "vay anam" pour appeler sa mère au secours; "maman !", même s'il est devenu lui-même un vieillard. On appelle la mère, celle qui a autant de vies que d'enfants, celle qui est TOUJOURS disponible, celle qui essuie les larmes en même temps qu'elle en verse. L'éternelle. C'est quand on perd sa mère, que l'on grandit. Même si on a déjà 70 ans; c'est comme ça.


On aime les pères aussi, évidemment. Même si la distance s'impose. La mère est sacrée. On la défend toujours. Mais pour le père, la réaction n'est pas aussi "primitive". Par exemple, chez les Turcs, lancer "fils de pute" à quelqu'un signifie corrélativement "tu peux me tuer"; insulter la mère d'autrui, c'est signer son acte de décès. La colère explose, on ne sait jamais où ça mène. Alors que, en turc, lorsque l'on insulte quelqu'un d'un nom d'oiseau, l'autre répond mécaniquement "o senin babandir !", "c'est plutôt ton père, oui !". Personne ne se "démonte la gueule" pour ce tic verbal.


Lorsque le bédouin venait demander au Prophète qui il devait honorer le plus dans la vie, ce dernier lui dit : "ta mère", ensuite lui demanda le type, il répondit "ta mère", ensuite dit-il, le Prophète dit à nouveau, "ta mère et après ton père". Il est là, le pauvre, on ne l'a pas perdu. Quelque part. La mère est toujours partiale, elle; toujours à la défensive. Toujours les griffes contre les autres. Toujours les lèvres pour son bout de chou. Ca réconforte, n'est-ce pas... L'un des attributs de Dieu n'est-ce pas "Rahim", le Miséricordieux, mot qui vient de la racine RHM : "matrice", "utérus" en arabe...


Ma mère a la prétention de dire que toutes les mères sont naturellement idiotes; salak. Hébétées. Par leurs progénitures. A force de se triturer les méniges : "a-t-il mal ?", "a t-il faim ?", "pourquoi il fait la moue ?", etc. Les mères sont, sans conteste, les plus grandes scénaristes du monde, ça n'arrête pas.


A une cousine qui vient de mettre au monde (quelle expression !), je lui ai demandé presque en direct si ce fameux instinct existait, finalement. "Oh que oui ! Ne m'en parle pas, ma propre mère me fait la leçon maintenant, 'je t'ai comprise maintenant' je lui ai dit"... "C'est indicible", a-t-elle insisté. Indicible. En apparence, le mot qui semble le plus absurde; comment indicible ! Comment ne peut-on pas le dire, décrire, raconter ! J'ai cela en tête et moi, ça me suffit pour me lancer dans les bras de ma mère. Elle est divine donc, puisque ineffable... Salut à celles qui meurent d'envie d'être mères ! Et bouh le Comité national d'éthique, le rabat-joie ! Toujours niet, toujours niet...