vendredi 13 septembre 2013

De profundis...

Les foyers qui pleurent un mort se transforment toujours en charniers. L'occasion est unique : on accumule les morts. A tire-larigot. Car ceux qui ressentent le besoin de soutenir les proches du défunt déballent leurs propres nécrologies. Une transe collective, une élégie diffuse. L'affliction ne dure qu'un temps et l'affluence atténue volens nolens ce sentiment de vacuité qui se profile. Alors chacun y va de son expérience douloureuse. Le deuil se noie dans l'amertume des souvenirs. Et c'est tellement bien...

On pense aux morts; pas à la mort. Quoi qu'on dise, elle effraie le commun des mortels. Or, la mort, c'est le point de départ lorsqu'on veut se forger une conception de la vie. L'idée de finitude dessèche l'âme. Elle fait "rentrer dans le rang". Pour le croyant s'entend; l'autre pense qu'il n'a pas de compte à rendre, il n'a qu'une morale à satisfaire autant dire macache. Plus on avance dans l'âge, plus les démons s'ameutent, ils nous prêtent leurs pensées, on voyage dans leurs rêves. Et c'est tellement bon...

"Toucher le cadavre de son père est une véritable action purificatrice", m'a soufflé le cousin. "Je le sais", ai-je répondu. L'inhumer est une autre histoire. Déposer un linceul à même la terre, aux bras des fourmis, au sein des bestioles, des serpents peut-être, au bon plaisir des canidés et aller recueillir les condoléances comme si de rien n'allait se passer. Un monde s'écroule, un monde s'écoule. Deux mots de réconfort, une pensée passe-partout font l'affaire. Les larmes "publiques" sont déjà taries...

La religion islamique nous apprend qu'à peine enterré, le trépassé voit arriver deux anges soucieux d' "arracher" les bonnes réponses à leurs questions. La tradition veut que l'imam reste quelque temps pour les lui souffler. Le temps des soliloques. "Oh ! Untel, fils d'unetelle ! Dis qu'il n'y a de dieu qu'Allah, que Mouhammed est son Prophète, etc. etc.". Un pré-examen qui augure de la suite des événements; entre-temps, les proches serrent des mains et zyeutent les processionneurs. Un nid de bourdons...

Dans une maison endeuillée, la malséance n'est plus une singularité. L'instinct de vie reprend le dessus; seulement trois jours de peine sont demandés, c'est déjà trop. Les petits comités se forment, les recoins sont occupés. On cancane. On sourit. On s'esclaffe. Personne n'a l'idée d'allumer le téléviseur, heureusement. La dernière vergogne qui nous reste. Chaque convive entre l'air grave, se déride vite et s'en va naturel. Une voix rogue blâme parfois la "dégradation" des valeurs. On l'étouffe...

Inanité de la vie. Ah oui, c'est le dévot qui prend la parole. Un être humain, ce n'est qu'un cerveau de quelques cm² qui ne commence à se réveiller que quelques années après sa naissance et qui finit souvent par s'éteindre quelques années avant sa mort. Et il n'y a pas plus misérable qu'un tel cerveau qui se sente légitime pour lancer des sentences sur la Création, toujours là quand il sera poussière. Quelle prétention ! Quelle torpeur ! Quel flegme ! La gaieté, au fond, c'est une forme de vulgarité...