dimanche 7 décembre 2014

La Restauration...

En gros, ils cherchaient un "sénateur" à la tête de la République. Un pondérateur. Un homme ectoplasme. Classique, cultivé, calé. Ah oui alors, quand il pondait une analyse géopolitique sur le Moyen-Orient, on ne pouvait que se taire et écouter. C'est qu'il connaissait la zone mieux que sa poche. Il parlait anglais, arabe, allemand et se débrouillait en français et persan. Et entendre les mots anciens du genre "azîzim" (mon cher), "anayasanın tadilatı" (la révision de la Constitution), "tezyif" (raillerie), quelle succulence, ce fut...

Ekmeleddin Ihsanoglu. Le meilleur président potiche que les Turcs pouvaient dénicher hic et nunc. A un malin, à un écervelé qui lui demandait si les écoles coraniques allaient fermer s'il triomphait (puisque candidat du CHP), il glissa du tac au tac : "si je suis élu, je vais te faire réciter le kıraat-ı aşere" ! Ma parole, le nunuche n'avait pas dû comprendre la réponse... Mais "l'aristo" avait perdu. Il se retira on ne sait trop où, la bouclant à demeure. Et "l'homme du peuple", le candidat de la foule, s'installa dans le fauteuil présidentiel.

Erdogan, d'extraction plébéienne et faubourienne, se fit construire un palais. Les observateurs prétendaient qu'il était le fruit d'un goût raffiné qui combinait touche ottomane et structure seldjoukide. Nous autres béotiens, nous préférâmes croire et admirer. Après tout, la concierge qui avait envoyé le roturier au Palais blanc n'avait jamais eu le temps de se pencher sur la question. Et comme d'autres, moins béotiens, se pâmaient d'admiration devant ce mastodonte, elle se rallia à l'avis des "sachants". Erdo méritait bien cela.



C'eût été bien qu'un journaliste prît la peine d'aller interroger les altesses ottomanes. Celles qui, bien que désormais modestes, n'en avaient pas moins une certaine idée de la munificence. Après tout, le président de la République ne disait pas autre chose : la "nouvelle Turquie" voyait les choses en grand. Il rabroua les misérabilistes qui fustigeaient dépenses pharaoniques et magnificence mal placée. "Espèce de cornichon, le palais ne compte pas 1000 chambres mais plus de 1150, ouah ah  ! ah ! ah !", avait-il lancé au chef de l'opposition...

Jadis, quand il se présenta à je ne sais plus quelle élection législative, il vint à une émission de télévision pour répondre aux questions des citoyens. Une fille "moderne" lui demanda, en anglais s'il vous plaît, la langue qu'il allait utiliser pour papoter avec ses homologues. Et le diablotin Erdogan de lâcher : "je vais communiquer en turc !". Tonnerre d'applaudissements. C'est qu'il ne parlait ni anglais ni français ni même arabe, il maîtrisait la "langue du peuple". Tellement qu'il avait réussi à faire défendre un palais par une concierge...

Oh, ce n'était pas moi qui allais rouspéter. Au contraire, un palais à Ankara, c'était bien. L'héritier des sultans devait éblouir. On n'était ni au Zimbabwe ni en Islande. Mais voilà quoi. Il y avait quelque chose qui clochait. Un palais et une fortune respectable pour celui qui affirma naguère : "si vous entendez qu'un jour Erdogan est devenu riche, c'est qu'il a péché !". Et toute une kyrielle de mesures conservatrices plaquées sur la société. Le père de la Nation appliquait ses recettes pour le bien de tous. Mais ce qui était encore plus affolant, c'est que, contrairement à Atatürk, Erdogan avait le soutien du peuple. Oligarchie kémaliste vs ochlocratie erdoganiste. Voilà où nous aboutîmes...