La cinquième année en droit est sans doute la plus difficile; elle veut sans arrêt que l'on s'occupe d'elle, elle ne nous lâche pas; lorsque l'on s'évade, elle reste bien polie dans un coin de notre cervau; je suis là, allez au boulot pour le mémoire !
Hier, j'ai lu au moins 100 arrêts, décisions, jugements; j'ai la cervelle pleine à craquer; mais elle accepte, elle intègre et elle change; elle est obligée de s'adapter mais elle fait ressortir sa réticence puisqu'elle provoque des céphalalgies.
Le travail intellectuel est passionnant, on se sent discuter avec la raison, les livres, leurs auteurs; on est au-dessus de l'ignare multitude; on crée une pensée; lorsque l'on se met à créer des pensées, seul dans sa chambre, seul devant un film, seul devant une femme, on commence à penser différemment; on n'est plus comme avant; la réflexion nous fait autre ou nous mène à nous, tout le nous, celui qui a caché son existence jusqu'à ce que la réflexion le dévoile. Tout le monde est intellectuel; qu'est-ce qu'un intellectuel sinon celui qui prend le temps de réfléchir ? On réfléchit à tout bout de champ.
Le travail intellectuel est aussi éreintant; pourquoi ? je n'en sais rien; plus on réfléchit plus on se fatigue, plus on regarde la télé plus on en veut encore. Qui ne veut pas que l'on réflechisse plus que le nécessaire ? Dieu ? Sans doute ! La réflexion poussée mène à la perte. Tous les intellectuels intégristes sont fous. Fous parce-que loin de nous. Fous parce-que loin de Dieu. Fous parce-que près de l'abstraction.
Un mémoire en droit n'est pas une compilation; on ne nous demande pas d'additionner les réflexions des autres; ce que les autres ont pensé, on doit le penser à notre tour, l'avaler et ensuite ? On formule une nouvelle pensée; celle-ci ne vise pas à bouleverser le système juridique en place; on n'attend pas cela d'un étudiant, les Professeurs eux-mêmes n'arrivent pas à le faire ! On se morfond; et on continue.
Bref, j'ai un sujet à traiter: "les groupes minoritaires au sein des religions devant la Cour européenne des droits de l'Homme".
Un sujet passionnant pour l'initié, intéressant pour le profane, couci-couça pour le commun des mortels. Un mémoire, c'est un passeport. Tout diplôme est un passeport; mais on ignore toujours la destination. On n'a pas pensé au visa ! Quand on l'a, c'est parti; où ? vers d'autres passeports; notre vie, c'est un ensemble de passeports sans destination. Nul ne sait pourquoi il est venu au monde; personne n'a de destination mais tout le monde sait la destination finale car, comme le dit Jean d'Ormesson, "vivre, c'est déjà commencer à mourir".