dimanche 9 mars 2014

Catharsis

On leur aurait donné le bon Dieu sans confession. Et c'était là précisément le drame. Car une implosion est toujours plus déroutante qu'une explosion, on n'arrive pas à comprendre. Des dirigeants conservateurs gouvernaient un peuple conservateur avec des cadres conservateurs. Le nec plus ultra, pour les concernés. Les kémalistes, eux, narguaient le peuple, ses valeurs, son orientation. Ilker Basbug, qui venait de se frayer un chemin au milieu de la pétaudière, n'avait pas dit autre chose : l'armée s'était trop préoccupée de la barbe et du voile de ceux et celles dont les fils allaient au feu. Pour la première fois donc que le pays réel et le pays légal concordèrent, ils attendirent autre chose que ce qu'il se passa. Un État au bord du détraquement, une nation coupée en deux, des vies brisées sans merci, une culture religieuse pervertie. Et des kémalistes pliés en quatre...

C'était l'euphorie, pourtant. On se partageait les tâches, on s'offrait des fonctions, des chapelets, des dithyrambes. Le dirigeant conservateur reconnut qu'il avait remis clefs en main la justice du pays à des fonctionnaires non moins conservateurs. L'exécutif donc, avoua se reposer sur le judiciaire pour... pour quoi d'ailleurs ? Faire des injustices ensemble ? Dévaliser coude à coude ? Gouverner de concert ? On distribuait et on acceptait des postes indûment, dans une "démocratie religieuse" ? Surtout dans un domaine régalien et "divin" comme celui de la Justice ? Leur religion leur interdisait les passe-droits, pourtant. Tant pis. En jetant toute vergogne à bas, ils installèrent une organisation. C'est ce que prétendait la rumeur publique. En tout cas, si l'on en croyait la fureur éruptive du "magnanime" et le silence gêné des "bénéficiaires"...

Mais une "main invisible" grippa le système. Ou le "doigt de Dieu". Le "très honorable Révérend" devint un félon, un faux prophète, un parrain et le "très respectable Premier" devint le démon, le corrompu, le dictateur. Conformément à la nouvelle mode, des vidéos accablaient le brailleur. Qui fouettait à son tour le taiseux. Et le plus dramatique fut que les volés s'en donnèrent à cœur joie pour défendre le voleur. La sociologie politique disait sans doute des choses sur le profil de ce citoyen atypique. Mais tout le monde s'en battait. Et la remise en cause, à quoi bon ? Tout était donc bobard. Les "grands procès" devinrent truqués du jour au lendemain, le souci des droits de l'Homme, de la poudre aux yeux. Le climat devint inquiétant : on bâillonnait l'opposition, on faisait pleurer des patrons de presse, on nommait à la tête du Conseil d'Etat, on annula des marchés publics. Heureusement qu'il y eut une déflagration, pensèrent les moins sentimentaux. L'abcès... 

Voilà donc à quoi ressemblait une guéguerre des conservateurs. Le niveau ? L'étiage. Car, comme disait l'autre, "pour penser, il faut être". Être. Savoir réfléchir. Savoir soupeser. Savoir trancher. Tout cela se faisait avec un cerveau, précisément. Leur livre sacré ne disait pas autre chose lorsqu'il en appelait, à maintes reprises, à la raison, "ne réfléchissez-vous donc pas !" Sous forme exclamative, en plus. L'islam s'appuyait sur la volition et le discernement. Il n'y avait pas et il ne saurait y avoir d'instinct grégaire, chacun allait avoir son procès, ses humiliations, ses peines. Pourquoi alors se ranger automatiquement derrière une opinion ? Parce-que le conservateur croyait ce que son gourou lui demandait de croire. C'est en cela que la bataille des dévots affola...  

Le Coran disait : "que l'aversion que vous ressentez pour un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices" (5; 8). Que nenni ! avaient répondu en chœur les protagonistes. "Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges", n'est-ce pas... "Qu'ils aillent tous au diable", avaient fini par éructer certains. "Nous avons proclamé la démocratie, il nous reste à trouver des démocrates", pleuraient d'autres. Et puisque c'était la guerre des croyants, d'autres lançaient "tuez-vous, Dieu reconnaîtra les siens". Et les "islamistes" au pouvoir furent ainsi éprouvés. La conclusion coula de source : des gobeurs, on ne saurait faire des démocrates. Pour la simple raison que la Justice, qui tenait pourtant le haut du pavé dans l'échelle des valeurs islamiques, n'était et n'avait été, en réalité, une préoccupation pour personne...