mardi 8 juillet 2014

A la va comme je te pousse...

Conseil d'Etat (27/07/2001). Une bonne sœur surveillant en prison peut porter sa cornette et recevoir une prime de sujétion spéciale. Laïcité ? Circulez, rien à voir : "Considérant que la convention conclue le 6 décembre 1995 entre l'Etat, représenté par le garde des sceaux, ministre de la justice et la congrégation des sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde a pour objet de permettre aux membres de cette congrégation d'apporter leur concours au fonctionnement de trois établissements pénitentiaires sous la forme soit de "prestations spécifiques non assurées par les fonctionnaires de l'établissement ou des partenaires extérieurs", soit de "fonctions complémentaires de soutien à la prise en charge des détenues" ; qu'il est spécifié que bien que les sœurs soient dans l'exécution des tâches qui leur sont confiées placées sous le contrôle de l'administration pénitentiaire "il n'existe aucun lien contractuel entre chacune d'elles et l'administration" ; qu'il est prévu que les sœurs "assurent par elles-mêmes leur couverture sociale" ; que cependant, l'administration prend à sa charge "le logement des sœurs, les charges d'eau, d'électricité et de chauffage" et que la rémunération des tâches qui leur sont confiées est assurée par le versement à la Supérieure de la congrégation, "d'une indemnité globale équivalente, pour chaque sœur, à un traitement correspondant à l'indice brut, 226, augmenté des indemnités de résidence, de sujétion et de chaussures" ; Considérant, en premier lieu, qu'en décidant de conclure cette convention, le ministre s'est borné à prévoir les conditions de rémunération du concours apporté au fonctionnement du service public pénitentiaire par les membres d'une congrégation, dont il n'est pas contesté qu'elle a une existence légale ; qu'eu égard à l'objet de cette rémunération, il ne saurait valablement être soutenu qu'il y aurait méconnaissance des dispositions de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 en vertu desquelles "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte".  

Arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme Lautsi contre Italie (18/03/2011). La présence de crucifix dans les classes ne pose pas de problème. Ne saurait poser de problème, n'est-ce pas : "Il n'y a pas devant la Cour d'éléments attestant l'éventuelle influence que l'exposition sur des murs de salles de classe d'un symbole religieux pourrait avoir sur les élèves ; on ne saurait donc raisonnablement affirmer qu'elle a ou non un effet sur de jeunes personnes, dont les convictions ne sont pas encore fixées". (§66); "De plus, le crucifix apposé sur un mur est un symbole essentiellement passif, et cet aspect a de l'importance aux yeux de la Cour, eu égard en particulier au principe de neutralité. On ne saurait notamment lui attribuer une influence sur les élèves comparable à celle que peut avoir un discours didactique ou la participation à des activités religieuses" (§72).

Arrêt CEDH Eweida contre Royaume-Uni (15/01/2013). British Airways interdit à une salariée de porter une croix discrète, la Cour européenne s'en attendrit, évidemment : "On one side of the scales was Ms Eweida’s desire to manifest her religious belief. As previously noted, this is a fundamental right: because a healthy democratic society needs to tolerate and sustain pluralism and diversity; but also because of the value to an individual who has made religion a central tenet of his or her life to be able to communicate that belief to others. On the other side of the scales was the employer’s wish to project a certain corporate image. The Court considers that, while this aim was undoubtedly legitimate, the domestic courts accorded it too much weight. Ms Eweida’s cross was discreet and cannot have detracted from her professional appearance. There was no evidence that the wearing of other, previously authorised, items of religious clothing, such as turbans and hijabs, by other employees, had any negative impact on British Airways’ brand or image". (§94).  

MAIS 

Arrêt CEDH Dahlab contre Suisse (15/02/2001). Une institutrice qui porte un voile peut heurter le cerveau des petites têtes blondes : "La Cour admet qu’il est bien difficile d’apprécier l’impact qu’un signe extérieur fort tel que le port du foulard peut avoir sur la liberté de conscience et de religion d’enfants en bas âge. En effet, la requérante a enseigné dans une classe d’enfants entre quatre et huit ans et donc d’élèves se trouvant dans un âge où ils se posent beaucoup de questions tout en étant plus facilement influençables que d’autres élèves se trouvant dans un âge plus avancé. Comment dès lors pourrait-on dans ces circonstances dénier de prime abord tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes. Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves. Partant, en mettant en balance le droit de l’instituteur de manifester sa religion et la protection de l’élève à travers la sauvegarde de la paix religieuse, la Cour estime que dans les circonstances données et vu surtout le bas âge des enfants dont la requérante avait la charge en tant que représentante de l’Etat, les autorités genevoises n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation et que donc la mesure qu’elles ont prise n’était pas déraisonnable".

Arrêt CEDH Leyla Sahin contre Turquie (10/11/2005). Une étudiante ne peut pas porter de voile à l'université. C'est comme ça : "La Cour note que le système constitutionnel turc met l’accent sur la protection des droits des femmes. L’égalité entre les sexes, reconnue par la Cour européenne comme l’un des principes essentiels sous-jacents à la Convention et un objectif des Etats membres du Conseil de l’Europe, a également été considérée par la Cour constitutionnelle turque comme un principe implicitement contenu dans les valeurs inspirant la Constitution (...) (...) En outre, à l’instar des juges constitutionnels (...), la Cour estime que, lorsque l’on aborde la question du foulard islamique dans le contexte turc, on ne saurait faire abstraction de l’impact que peut avoir le port de ce symbole, présenté ou perçu comme une obligation religieuse contraignante, sur ceux qui ne l’arborent pas. Entrent en jeu notamment, comme elle l’a déjà soulignéla protection des « droits et libertés d’autrui » et le « maintien de l’ordre public » dans un pays où la majorité de la population, manifestant un attachement profond aux droits des femmes et à un mode de vie laïque, adhère à la religion musulmane. Une limitation en la matière peut donc passer pour répondre à un « besoin social impérieux » tendant à atteindre ces deux buts légitimes, d’autant plus que, comme l’indiquent les juridictions turques (...), ce symbole religieux avait acquis au cours des dernières années en Turquie une portée politique. (...) La Cour ne perd pas de vue qu’il existe en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s’efforcent d’imposer à la société tout entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses (...) Elle rappelle avoir déjà dit que chaque Etat contractant peut, en conformité avec les dispositions de la Convention, prendre position contre de tels mouvements politiques en fonction de son expérience historique. La réglementation litigieuse se situe donc dans un tel contexte et elle constitue une mesure destinée à atteindre les buts légitimes énoncés ci-dessus et à protéger ainsi le pluralisme dans un établissement universitaire " (§115).

Arrêt CEDH Kervanci contre France (04/12/2008). Une lycéenne ne peut pas non plus porter de voile, la laïcité, que veux-tu  : "la Cour estime que la conclusion des autorités nationales selon laquelle le port d’un voile, tel le foulard islamique, n’est pas compatible avec la pratique du sport pour des raisons de sécurité ou d’hygiène, n’est pas déraisonnable" (§73).

Arrêt CEDH S.A.S contre France (01/07/2014). Le voile intégral, a fortiori, bouhhh : "La Cour prend en compte le fait que l’État défendeur considère que le visage joue un rôle important dans l’interaction sociale. Elle peut comprendre le point de vue selon lequel les personnes qui se trouvent dans les lieux ouverts à tous souhaitent que ne s’y développent pas des pratiques ou des attitudes mettant fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes qui, en vertu d’un consensus établi, est un élément indispensable à la vie collective au sein de la société considérée. La Cour peut donc admettre que la clôture qu’oppose aux autres le voile cachant le visage soit perçue par l’État défendeur comme portant atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble" (§122).

Cour de cassation (25/06/2014). La cerise sur le gâteau : "Attendu qu’ayant relevé que le règlement intérieur de l’association Baby Loup, tel qu’amendé en 2003, disposait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », la cour d’appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement dix huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché". 

Résultat : les femmes voilées privées de plage à Wissous. France, patrie des droits de l'Homme...