Ce fut, pour ainsi dire, la drôle de guerre version 2020. Du jour au lendemain, les médecins devinrent généraux, les généraux devinrent soignants. Les citoyens se terrèrent dans leur tranchée et se morfondirent dans un embêtement exquis. Tout fut à leur portée, des livres aux denrées, des jeux aux réseaux, des enfants aux animaux, mais ils ne parvinrent pas à tuer le temps. Car l'esprit, accoutumé aux délices de la liberté depuis Voltaire, Rousseau et compagnie, était enchaîné. On ne savait plus s'ennuyer. Et surtout, comme le dirait Zola, "il y avait [désormais] entre eux un nouveau lien, la mort toujours présente"...
Après les élections municipales, le chef de l'État décréta un confinement général. Sa stratégie, à la va-comme-je-te-pousse, fut unanimement taxée de bancale. Ce fut comme le Carême qui succède au carnaval, sans transition. Ses ministres multiplièrent les suppliques et les sanctions. Celui de l'Intérieur imposa des amendes aux "imbéciles". Celui des Affaires étrangères prescrivit de la "patience" aux Français bloqués à l'extérieur. Celui de la Santé hérita d'une pagaille et fit ce qu'il put faire. Sa devancière fut traînée en justice pour négligence. Il faut dire qu'elle avait quitté son poste en pleine tempête pour devenir l'édile d'une ville. Une "mascarade", de son propre aveu...
La mort rôdait. L'Ange Azraël avait étendu son manteau sur le globe. Un spectre traversait la planète, fauchant par-ci, terrorisant par-là. Le fantôme, qui mesurait 1000 fois moins qu'un cheveu, réussit à terrasser la planète entière. L'Empire du Milieu avait atteint, là, le summum de l'exportation. Un "virus chinois", avait habilement tranché le président américain. On avait tous eu envie de lui donner raison mais on préféra rester poli. Finalement, c'est l'Iran et l'Europe qui furent sévèrement touchés. L'Europe, à la limite, on comprenait; à chaque crise mondiale, c'est elle qui trinquait. Mais l'Iran ? Pour une fois qu'il n'avait enquiquiné personne...
On se mit tous à l'hygiène. Si bien que les chrétiens s'adonnèrent aux ablutions à la mode islamique, les musulmans se réfugièrent dans les solutions alcooliques et tout le monde se salua à l'orientale. Les enfants étaient séparés de leurs mémés qui, Dieu merci, pouvaient sortir leur chien. Les couples eux-mêmes craignaient la promiscuité. Sans le dire, les autorités espéraient au moins que de ce mal, sortirait un bien : une armée de Capricorne en décembre 2020-janvier 2021. Le million de docteurs, d'infirmiers et de pharmaciens fut envoyé au casse-pipe. Les masques manquaient. Le gouvernement l'avoua du bout des lèvres...
Puisqu'une calamité avait cerné l'humanité entière, les soutaniers de toutes les religions s'auto-convoquèrent également qui pour apaiser, qui pour effrayer. Sa Sainteté fut le plus généreux : il accorda l'indulgence aux victimes. Avec une foultitude de conditions certes, mais le geste était là. Les imams fermèrent les mosquées même pour la très canonique "prière du vendredi". Personne n'osa broncher. Il faut dire que l'entêtement n'avait plus aucune utilité. C'était le branle-bas généralisé, on n'avait plus l'énergie de s'écharper. Nos fors intérieurs étant vides, on se tourna vers le monde réel. Les eaux s'assainirent. La qualité de l'air s'améliora. Le chant des oiseaux devint mélodieux. Les mauvaises langues dirent que la Nature prenait sa revanche, une terrible revanche. Le silence des espaces infinis fut effrayant...