mardi 30 septembre 2008

Fascistique

Comme dans une bonne dissertation juridique, commençons par une citation : Roland Barthes disait jadis que "le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire".
Sans transition, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, nous a encore pondu une ire "tirée par les cheveux". Pour le plaisir de clouer. Le voici, maintenant, se draper dans les habits d'un mufti : aujourd'hui, c'est la Fête du Ramadan (du moins pour les Turcs, le CFCM ayant opté pour le mercredi) ou, en arabe, l'Aïd el-Fitr.

Les Turcs, spécialistes en acclimatation religieuse, parlent du "Şeker Bayramı" ou "Fête du sucre" (ou des sucreries) car on fait bombance. On honore les enfants; le rituel est bien défini : on téléphone à la famille, on rend visite aux plus âgés et aux malades, on salue les voisins et proches, on leur baise furtivement la main et on empoche un bonbon ou une piécette d'argent. Quand j'étais plus jeune, moi et mes petits camarades ricassiers, nous nous lancions à l'assaut des maisons; c'était mécanique, un peu comme le Bonjour, Merci, Au revoir des caissières : ouverture de la porte, sourire, phrase sacramentale "Bonne fête", main droite tendue, un petit baiser, sachet de bonbon tendu et ciao. Et le soir, c'était une nouvelle dose de goinfrerie avec notamment le "baklava". Un coma à la fin de la soirée; une fête, quoi. Un "remplumage", un mois disetteux (tout ça dans la théorie), un jour gargantuesque.

Bref, M. Erdogan a donc décidé d'imposer le qualificatif "Ramazan" en lieu et place de "Sucre". Pour éviter une érosion culturelle, nous dit-il. "Les laïques font ça pour nous enquiquiner, ne les suivez pas, oh les croyants, les païens sont à l'oeuvre, attention !". Les journalistes qui forment le vivier de laïcistes, ont élevé la plume, bien sûr : le spécialiste du bon parler turc, Hakki Devrim, n'y va pas par quatre chemins : "laisse la langue tranquille, occupe-toi de la crise économique !"; un autre le nargue : "tu sais quoi, M. le Premier Ministre, ma grand-tante, une ottomane, offrait même du liqueur, hahaha, alors, qu'est-ce t'en penses ?".

Il faut dire que l'ambiance dans le Pays se prête à ces sermonnades pour le moins saugrenues. La diva turque, Bülent Ersoy, arpente les tribunaux pour avoir osé dire : "si j'avais un enfant (elle est une transsexuelle), je ne l'aurais pas envoyé au service militaire se faire tuer dans les montagnes pour une guerre qui dure depuis des années", "comment peux-tu parler de cette manière, pouffiasse, ose et tu verras...". C'est une star, en Turquie; les militaires ont froncé les épaulettes mais peu importe; c'est Bülent la Gracile. Sa seule vêture fait trembler; et ses bijoux qu'elle aime s'agrafer, personne n'ose l'envoyer en prison, c'est de l'art. Et la faconde ! Même le juge a dû s'agiter.



Et que dire du credo scolaire récité par la gossaille turque : "Türk'üm, doğruyum, çalışkanım", "Je suis Turc, je suis droit, je suis travailleur". Depuis, ni l'indice de développement ni le PIB se sont améliorés... Tout ça au nom de Mustafa Kemal, ils nous l'ont chipé, c'est comme ça. "Chut! baisse la tête et récite". Le par-coeurisme, un molestage intellectuel. Mais des adeptes, il y en a. Je ne pense comme personne, j'en suis fier; je ne pense jamais la même chose, j'en suis encore plus fier. Les néo-fascistes en redingote sont légion et knout en main, bronchent : "j'ai raison donc pensez comme moi; allez, enlevez, c'est pesé !".

Les Turcs le disent bien : "et ta mère, elle est belle ?"; les Français ne sont pas en reste : "et ta grand-mère, elle en fait de la planche à voile ?". Joyeuse Fête, cela dit. Et bonne année pour les Juifs.