jeudi 4 juillet 2013

Le général Tahrir...

"Tu vois, a dit l'ami Muhayyel, ces Arabes ne peuvent pas adopter la démocratie; c'est une question de nature, c'est anthropologique, ça ne colle pas !". "Oulala, mais non ! me suis-je empressé. Une bonne révolution dure toujours, allez, au moins un siècle. Et ça fait chic de se dresser contre l'autorité. Non ? La liberté de manifester est primordiale, coco". Comme ces jeunes bourgeois de la Turquie, comme ces jeunes affamés du Brésil, ces jeunes désœuvrés de l'Egypte avaient le droit de jeter le gant. Hélas, trois fois hélas. De là à signer un chèque en blanc à l'armée... Le jour où une absurdité pour un esprit français le sera également pour un esprit "oriental", nous ferons un grand pas. Pour l'heure, les choses sont simples : l'amiral Guillaud dépose le président Hollande démocratiquement élu et installe Jean-Louis Debré à l'Elysée. "Arrête de déconner !". Bah oui mais voilà quoi... 

Heureusement, les pépères turcs n'avaient pas sollicité l'armée. D'ailleurs, on avait oublié le nom du chef d'état-major. C'est qu'il était au boulot. Comme le directeur de la police nationale ou celui de la sécurité sociale. L’Égyptien, lui, Sissi (comment oublier ce nom ?), faisait des plans. Comme un énarque, il réfléchissait sur l'avenir de son pays. Tout comme le Cheikh d'Al Azhar qui donna sa bénédiction. Car les hommes de religion sont avant tout des hommes. Ils ont une peau à sauver, une carrière à bâtir. Ses devanciers de l'Empire ottoman n'allaient pas de main morte non plus lorsqu'il s'agissait de délivrer la fatwa qui "décapite". C'est que le motif était irréfragable : la préservation de l'ordre public, le danger de la "fitna", la discorde, la guerre civile. Pur hasard, ce furent toujours les putschistes qui apparaissaient comme les garants de la concorde nationale et non les autorités légitimes en place... 

Quand la démocratie sue le "péché", il faut avoir peur. Et c'est bien beau de crier du seuil de son palais qu'on n'accepte pas le coup d'Etat, ça ne sert strictement à rien sur le plan pratique. Mais cela a sa grandeur. Salvador Allende en est l'exemple topique. L'Histoire retiendra que dans le pays des pharaons, des nommés réussirent à saboter la première expérience démocratique. Avec, s'il-vous-plaît, le concours des électeurs. Au XXIè siècle, un vote et les mandats n'ont plus de sens, très cher. Élu pour quatre ans ? On s'en fout, passez l'expression, la rue a dit un an. "Euh, oui mais, si ça devient une "pratique", plus personne ne pourra gouverner !", t'inquiète zozo, c'est juste une parenthèse, une exception, une dérogation, juste une fois quoi, j't'jure...

Le drame de l'islamiste, c'est qu'il a été renversé alors qu'il n'a rien fait de "suspect". Il aurait été sur le point de couper des bras, on aurait compris. Il aurait pendu les non voilées, d'accord. Il aurait légalisé une discrimination religieuse, ça passe aussi. Le seul tort, c'est qu'il ne sait pas gouverner. Est-ce un motif en France ? Il n'a pas redressé l'économie. Est-ce un motif en France ? Il n'écoute pas l'opposition pour passer ses lois. Est-ce un motif en France ? Trois fois non. Mais trois fois oui là-bas. Applaudir à son départ forcé n'est donc pas une performance, c'est un crime. Un crime contre la volonté de la majorité qui l'a placé là-bas. Les commentateurs pressés, appelons-les totos, s'explosaient les mains. Un islamiste qui risquait d'imposer la charia était débarqué. Ouah, l'analyse ! Dans un pays quasi-sharaïque, où la religion innerve déjà tout, destituer un islamiste qui risquait d'imposer la charia ! "Totologie"...

Bon bah, à la prochaine élection, je conseille aux Égyptiens de voter pour le "général Tahrir". Ou alors, on gouverne Le Caire à la suisse et on élit un président pour le reste de l'Egypte. Oui tiens, bonne idée. Puisque la "connerie" (mille pardons) est désormais supra-constitutionnelle dans ce pays, pourquoi pas. Ça évitera de convoquer tous les ans le fellah qui ne demande rien à personne. Ou alors, il faut refondre les manuels de sciences politiques et de droit constitutionnel pour consacrer le soulèvement comme un mode démocratique de dévolution du pouvoir. Surtout quand il permet à celui qui tient un fusil de prendre au collet celui qui tient une délégation avec la bénédiction de celui qui tient un livre sacré. Et quand le président d'une Cour constitutionnelle (qui plus est énarque) est le premier à déchiqueter la légalité pour arriver au Palais sur un char, ça devient tout bonnement excitant. Une belle thèse d'anthropologie juridique. Et on se tournera vers notre ami Muhayyel, "pff, dégage"...