mercredi 6 février 2019

Vir ill

C'était au Moyen-Âge. Chez les musulmans. Sous Omar (634-644), l'argent coulait à flots. L'État engloutissait des terres et remplissait ses caisses. La classe moyenne s'embourgeoisait. Les femmes, en bonnes commerçantes, commencèrent à exiger des dots ("mahr") plus conséquentes. Soucieux d'entraver une inflation des "tarifs", l'émir des croyants osa fixer ex cathedra un plafond. Alors qu'il venait d'annoncer sa résolution, une femme de l'assistance se leva et, hérissée, lança à celui qui dirigeait au nom de Dieu : "Comment oses-tu limiter ce que ni Allah ni son Messager n'ont limité ! N'as-tu pas entendu le verset 'Si vous voulez changer d'épouse, ne reprenez pas les tonnes de biens que vous avez données à la première' !". Acculé, le calife, d'ordinaire sanguin, indomptable, impétueux, battit en retraite : "Omar a tort, cette femme a raison !"...

Nul n'eut l'idée de déverser des gardes du corps dans l'enceinte pour déloger la redresseuse de torts. Nul ne fut ébahi par l'audace de "l'opposante". Ni ne fut offusqué de cet "outrage au chef de l'État". La Révélation était passée par là. Le Coran avait restauré la dignité et nul rescapé de l'ancien monde n'avait l'intention d'abdiquer la liberté que Dieu en personne avait octroyée à chacune de ses créatures. Personne n'aurait imaginé que des siècles de poussière plus tard, leurs descendants pussent à ce point se fourvoyer...

Au XXIè siècle, l'Orient est infesté de despotes. Là où le soleil se lève, l'oriens, la liberté est prise entre deux feux, la violence et la vilenie. L'autocrate qui tient le knout n'est autre qu'un primus inter pares. Un phallocrate retors juché sur les épaules des phallocrates butors. Chaque strate reproduit le même schéma : un homme soumis face au plus fort, un homme viril face aux siens. À l'école, à l'usine, à l'armée, il reçoit des baffes. À la maison, il répercute. Il doit faire étalage de ses testicules. Et chaque humiliation de ses supérieurs devient un supplice de plus pour ses subordonnés...

"L’accueil du féminin peut contribuer à dissoudre l’injonction viriliste, à faire que le masculin s’enrichisse loin du bruit et des turbulences surmâles, et que l’homme se libère du fardeau qu’il s’est imposé à lui-même", dixit la philosophe. Avec une mère qui donne toujours raison à son bout de chou brutal ? En réalité, le vir oriental est à plaindre. Sa génitrice le croit dieu, elle l'élève monstre. Cette "ana", "mader", "oum", la grande bâtisseuse de l'ordre viriliste. Cette descendante de Aïcha qui restaure le patriarcat, naguère renversé par l'Envoyé. Cette mal mariée qui adore le fruit de ses entrailles au point de sacrifier l'exigence de justice. Cette soumise qui façonne de futurs vainqueurs, de futurs mâles, de futurs despotes. Cette dévote qui, inconsciente, milite pour un fiqh obsolète qui pérennise sa servitude...


Quand Erdogan confisque les paquets de cigarettes, quand Bourguiba ôte le voile des vieilles femmes qui l'entourent, quand Atatürk impose le chapeau, aucun mâle ne bronche. C'est un soliveau. Un ectoplasme. Une chose. Le caractère, la personnalité, l'individualité sont broyés par l'autorité. A ce stade, ce n'est plus du respect. C'est de l'obséquiosité. De la dépersonnalisation. De la trouille. Un abus de virilité qui dénote, comme le disait Romain Gary, une "dévirilisation profonde, une angoisse qui se manifeste à l'extérieur par le machisme, et par des fanfaronnades de virilité, une recherche de substituts virils"...

"Allah est doux et il aime la douceur en toute chose", nous apprend le Prophète. "Doux", "yumuşak", en turc. Une "tapette", dans son sens familier. On s'apitoie tous sur la "question des femmes" en terre d'islam, n'est-ce pas ? Or, c'est celle des "chochottes", des "eunuques" qui est prégnante. Une psyché qui a dévasté et dévastera des générations... Le Prophète a sans doute fourni la clé de compréhension : "Vos dirigeants sont à l'image de ce que vous êtes". Des âmes serviles, des esprits claniques, des réflexes tribaux, des attitudes primitives, il ne sortira jamais de "démocratie", mais seulement des "régimes". De la Constitution de Médine aux autocraties actuelles, que de chemin parcouru...