samedi 15 août 2009

Conservatisme, cas pratique

La cellule familiale est, comme on le sait, le noyau le plus cher pour un conservateur. Car elle engendre, éduque et encadre. Le cocon. Et les enfants foudroyés par les déchirures familiales peuvent avoir des orientations hasardeuses et donc néfastes pour la communauté. Société chérie !


Tout naturellement, les divorces posent donc problème. Pour tout le monde : le couple se déchiquette, l'enfant pleure et, évidemment, le conservateur se désole. L'idéal est brisé. Le gouvernement AKP, inconsolable, a décidé d'intervenir. La "direction des études sur la famille et la société", rattachée au Premier ministre, a décidé de s'intéresser de plus près aux divorces. Il n'est point homme plus intelligent que celui qui travaille dans les services d'un ministère, comme on le sait. En France, ils sont très doués; les énarques. Mais il est de coutume de les détester; la jalousie, un fléau.


Bien sûr, le nombre de divorces augmente. La "structure familiale turque" se désagrège; encore elle... Le remède a donc été trouvé : l'éducation des familles. L'on va donc préparer des prospectus sur les relations conjugales, la santé, l'éducation des enfants, la communication intra-familiale, etc. Salutaire. Et surtout, des leçons de consommation. La femme consomme beacoup, comme on le sait. Le mari se foule la rate du matin jusqu'au soir et la femme, dont l'activité journalière s'est résumée à faire une soupe, un peu de dentelle et beaucoup de palabres, dépense. La femme aimerait l'argent. La crise économique ayant frappé fort, elle n'arrive plus à assurer son train de vie. Et le mari qui ne veut surtout pas que sa bien-aimée sépare son lit (le grand fléau), s'échine encore plus; mais la réalité c'est comme un mur, la seule réflexion ne suffit pas à la mater. La femme, alors, quitte; "ma vie se résume à la serpillière et toi, tu ne fais aucun effort, je retourne chez papa !", "mais je t'aime", "on ne vit pas d'amour !"... La jeune épouse de Halis Toprak doit bien se sentir tout chose; son mari vient d'être déclaré officiellement en faillite... Jadis, une discussion avait enflammé la population; pourquoi l'homme est plus enclin à tout quitter pour vivre l'amour avec une femme de ménage alors que personne n'a encore surpris une femme riche s'enfuir avec son jardinier ? Le corps d'un homme riche est toujours succulent, en effet.


D'autres conseils pourraient également être donnés; comment satisfaire sa femme : "mais nan bovin, c'est pas comme ça ! Bon, allez va acheter de la glace, ça sera plus facile !"; comment satisfaire son mari : "je veux", "j'ai mal à la tête !", "je m'en fous l'islam dit que tu dois toujours être disponible même si le plat est au feu", "ah ouais, ose et tu verras !"... Un sujet sensible, évidemment. La relation forcée. Le viol. En Afghanistan, Hamid a trouvé la solution : désormais, il est officiellement interdit à une femme chiite de se refuser à son mari. C'est du juridique; et la peine est tout de même bizarre : privation d'aliments. La communauté internationale avait jadis protesté; puis Karzaï a dû déployer des trésors de séduction : "il y a les élections, je suis obligé de signer la loi", "mais c'est contraire à votre propre Constitution", "hein, qu'est-ce qui dit !"...


Et le ramadan approche; alors les imams, muftis, théologiens recadrent leurs calottes; "vous pouvez faire ça que les nuits bande de pervers !", "et au moment de l'iftar, je peux hocam ?", "mais bien sûr mon taureau !".


La direction concernée n'a pas osé parler du mariage arrangé, évidemment. Puisque les statistiques montrent que les couples ainsi formés connaissent moins de problèmes que ceux qui ont contracté un mariage d'amour. Les mères turques sont de véritables "chasseresses de têtes" : "tiens, celui-là est fonctionnaire, boulot garanti à vie, et t'auras de la considération", "ouais maman, tu dis vrai; il est comment ?", "très respectueux, il ne boit pas, il fait ses cinq prières, il fume c'est tout, qu'est-ce t'en penses, il est beau hein ?"...


Certains rouspètent : "On ne se refait pas, assurément. L'Etat turc ne fatigue jamais dans l'aiguillage. Un Etat qui, du haut de ses bureaux, dit aux gens ce qu'ils doivent faire, penser, dire, porter, etc. Une organisation qui entre désormais dans l'intimité la plus close", "mais c'est juste des idées, voyons, tu veux vraiment une claque !"... L'Etat conservateur est ainsi fait; l'Etat pose un postulat : le divorce est mauvais. Il veut l'ancien temps; celui où l'on était théoriquement heureux jusqu'à la mort. L'on vivait avec lui/elle par la force des choses. En France, le mariage n'est plus une institution, c'est un passe-temps. Le fruit d'un caprice. Et l'on divorce rapidement. Histoire de ne pas bousculer le plaisir des gens; de ne pas encombrer les cerveaux. L'individu est roi. Le XXIè siècle. L'un essaie d'apaiser les divorces, l'autre veut les freiner. L'Etat conservateur ne prend jamais acte; il dispute le terrain. Il devient partie. Et lorsque le conservatisme se combine au républicanisme, alors l'individu est complètement disqualifié; il dit liberté, on lui rétorque valeur, il dit Epicure, on lui renvoie Kant. Conservatisme et républicanisme, même combat en sorte, se rattacher à des hauteurs. Mais les cieux sont différents. Assurément.