mercredi 5 août 2009

Crêpage de chignon

C'est tout de même un drôle de pays, la Turquie. Le problème majeur du pays, la "question kurde", est en voie de résolution, nous dit-on. Tant mieux. La solution militaire, comme on le sait, ayant été un fiasco. N'en déplaisent aux militaires qui croient toujours avoir oeuvré pour le bien du pays depuis trente ans.


L'aventure commence. Un beau jour, le Président de la République, Abdullah Gül, a décrété : "un avenir radieux nous attend". Tout le monde attendait avec impatience. "Vas-y balance, M'sieur le Président, on attend". Les jours passent; le silence prend de l'épaisseur. Du coup, le Premier ministre a pris le relais; il a également dit des choses. Et s'est tu. Du coup, il a jeté le bébé au ministre de l'intérieur, le très morne Beşir Atalay, universitaire d'origine. Et celui-ci n'a pas trouvé mieux que de réunir un cénacle de journalistes. Des chroniqueurs pour discuter du problème. Et l'on dit que la liberté de la presse est malmenée...


En France, les journalistes sont souvent raillés par les "sachants". Un de mes professeurs de droit, le très sarcastique Jean-Marie Denquin, s'en prenait joyeusement à leur crasseuse inculture. Un journaliste. C'est vrai que le boulot nécessite de l'hardiesse. Discuter sur tout. Donc savoir tout. En France, les journalistes ont souvent une spécialité : relations internationales, politique, sport, etc. En Turquie, chaque chroniqueur est capable d'analyser les relations entre le Fatah et le Hamas avant de donner son avis sur "l'ouverture" aux Kurdes ou s'en prendre à la politique sociale du gouvernement. Du coq à l'âne.


Bien sûr, le MHP, parti de droite nationaliste, s'en tient au discours officiel, "nous ne voulons pas la paix, nous voulons les buter jusque dans les chiottes !". Devlet Bahçeli, le "gourou", a dit non. Point. L'on attend plus que les bastonnades reprennent dans les rues. Des nationalistes. "Allez s'te plaît, on veut régler le problème avec ton aide, viens, ouvre tes bras !", "jamais, vendus, nous ne voulons pas l'apaisement, nous voulons la guerre, oust !".


Et le Sieur Bahçeli sait crier, aussi. C'est connu, la masse aime ceux qui crient. Il est énervé. En colère. C'est donc que le gouvernement AKP "vend" le pays... Et l'on a peur pour sa santé; les veines jugulaires gonflent tellement que l'on a envie de pleurer. Le CHP, un parti qui, bizarrement, est toujours membre de l'Internationale socialiste, ne sait plus trop ce qu'il pense des Kurdes. Jadis, il ouvrait ses listes aux députés kurdes; aujourd'hui, il affirme ne pas s'en souvenir...


Bien sûr, toutes les options ne sont pas discutables : ni insinuer le fédéralisme ni prendre langue avec le "terroriste en chef" Abdullah Öcalan. Et le chef d'état-major des armées avait, jadis, décidé (tout seul, bien sûr) que l'Armée s'opposerait à la reconnaissance constitutionnelle de quelconques droits culturels. Voilà fixé un cadre. Certains ont même quelques difficultés à parler d'un "problème kurde"; "mais nan, j'vous dis, c'est une question de pognon, on leur file de l'oseille et c'est réglé". Les Kurdes, des gueux comme les autres, en somme. Une simple question socio-économique. Et leur langue, leur culture, leurs morts au nom de la raison d'Etat, par-dessus bord. C'est connu, l'on prend au sérieux que ceux qui sont présentables. Le dédain tombe toujours sur les "simples". Si les Kurdes étaient tous instruits, capables de défendre leur cause, et s'ils étaient plus modernes, blonds aux yeux bleus, on serait ailleurs. "Tu veux dire quoi, qu'ils sont rustres !". L'apparence oriente toujours l'attention, c'est tout. Ecouter Izzettin Doğan défendre avec brio les Alévis n'a pas la même saveur que tendre l'oreille à un "dede" lambda qui bredouille de colère.


Une entrave, à coup sûr. La Turquie est un grand pays. Bien sûr, l'on ne peut éponger les larmes des mères de soldats "şehit", comme il est coutume de dire. Ceux qui ont témoigné de leur foi pour la défense du pays. Un pays laïque. Mais bon. Disons, en plus profane, "morts pour la patrie". Il faut aussi prévenir d'autres détresses. Assurément. Régler ce problème. Un boulet.


Discuter. Ouvrir la bouche, quoi. Mais loin des disputes de harpies de quartier sordide. C'est en criant que l'on croit se faire entendre. Et si c'était faux ? Certains en sont aux baïonnettes, d'autres lancent des fleurs, d'autres encore se fâchent tout rouge. Les militaires n'ont pas encore donné leur "avis" sur ce dernier épisode. Il faut dire qu'ils ont préché sept ans pour un carême. L'on ne s'attarde donc pas trop. La question ne relève plus de la cour des grands.


Evidemment, il y a loin de la coupe aux lèvres. L'on pense, l'on veut, l'on désire passer à une phase supérieure. Celle de la réconciliation. De la reconquête, presque. Vouloir la paix, on a compris; c'est devenu un peu "élémentaire mon cher Watson". L'on sait au moins que l'on ne joue plus du pipeau. L'avenir sera radieux, disait le Président. Espérons. Et après tout, la démocratie n'impose pas de séduire les obstinés. Espérons que les séides seront peu nombreux. "Il ne sert à rien de parler de la vie à un cadavre" (Rûmi). Il n'est point de plaisir sans épines...