Ca y est. Ali vient d'être élu. Le Bongo. Son père lui a laissé le trône. Après tout, ne peut-on pas avoir de dynasties dans les démocraties. Si le peuple aime une famille et que celle-ci sait se faire aduler et élire à chaque fois, personne n'a rien à dire. Les Bush, les Kennedy, les Bongo, les Hatoyama, les Koizumi, les Papandréou, etc. Le cumul vertical des mandats.
Il y a aussi le cumul horizontal, celui qui consiste pour une même personne à rafler le plus de mandats possibles. Une spécialité française. La France, une démocratie, comme on le sait. Alors, l'Assemblée nationale et le Sénat regorgent de députés-maires-présidents d'agglomération, sénateurs-présidents de conseil régional, etc. Toutes les combinaisons imaginables. "J'ai des problèmes avec le fisc, il faut que j'aille voir mon député, tu sais c'est qui ?","bah c'est ton maire"... Tant de fonctions donc tant de choses à penser et à faire. Surhumain. Heureusement que les adjoints sont là. Quand j'étais en 5è, j'avais été élu délégué. Les honneurs, la considération. Tout naturellement, je voulus donc renouveler mon mandat en 4è. Mais mon adversaire avait plus de mérite. Il fut donc élu. Et moi je devins le "délégué-adjoint". Fonction que je n'ai jamais exercée, évidemment. Personne ne frappait à ma porte. Et quand le délégué était absent, comme par hasard, aucun problème n'émergeait. Etre rétrogradé, un crève-coeur. Mais je récupérai ma titulature en 3è. Honneurs, considération, j'ai connu; à mon humble niveau... Et en terminale, je perdis les élections. Pathétiquement. Alors je décidai "de me retirer de la vie citoyenne scolaire". Plus candidat à l'université. Mais une chose est sûre : même à cet âge-là et avec cette fonction-là, le "titre" enchantait.
L'on a rétabli l'aristocratie, murmurent quelques-uns. Certains voient la politique comme un métier et non un sacerdoce. L'on vient, l'on siège, l'on reste et l'on s'en va quelques temps avant d'être sénile ou de mourir. L'on donne sa place à un poulain, d'ailleurs. Et si un rejeton passe par là, tant mieux. Les "héritiers", les appelle-t-on. Les Kosciusko-Morizet, Poniatowski, Bachelot-Narquin, Alliot-Marie, etc. Et peut-être les Sarkozy, un jour. Tant mieux, il faut laisser la politique à ceux qui y connaissent quelque chose...
Et voilà Martine nous jurer que dorénavant, les socialistes vont mettre fin à cette pratique; Ségolène en pleure de joie, elle fut une pionnière. Désormais, les députés et sénateurs vont donc travailler. A Paris. Et dans l'hémicycle, non plus exclusivement dans les commissions. Car le refrain est bien connu : "ouais bon d'accord, je viens rarement à l'assemblée mais je travaille comme un dingue dans la commission, regarde mes rapports, notes, interventions ! Je mérite mon salaire !".
Effectivement, le salaire. Très important dans la vie d'avoir un traitement régulier et surtout convenable. Il faut vivre. Alors, on s'échine à créer des secrétariats d'Etat pour permettre à ceux qui n'ont plus rien de vivre quand même de la politique. Frédéric Lefèbvre connait la souffrance de ne pas avoir un poste. Il n'est pas au chômage non plus, mais tout comme. Plus de titre, plus de considération, plus d'ambition. "Al gülüm, ver gülüm" disent les Turcs; "aujourd'hui moi, demain, toi"...
Il faut sans doute aller plus loin, en limitant le nombre de mandats. Deux par exemple. Dix ans. Car après tout, l'on vote pour des idées, pour un programme, pour un parti et non pour une personnalité. Tout cela dans la théorie, bien sûr. L'on pourra donc continuer à soutenir le parti X mais avec un nouveau candidat. Mais que faire alors des retraités, nous demande-t-on ? Un député ne peut être un vulgaire chômeur; un sénateur retournant au champ, et quoi donc ! Et l'on veut oublier que les élus sont quasiment toujours "en détachement" d'une administration. Personne ne crèvera de faim, que l'on ne s'inquiète guère. En Turquie, autre exemple, les députés avaient beaucoup réfléchi à leur avenir; en plus de l'avenir du pays, voyons, ne versons pas dans l'antiparlementarisme primaire. Ils avaient alors décidé de mettre en place un système de retraite qui leur permettait d'avoir une pension convenable après avoir exercé leur mandat seulement quelques années. Et la raison était implacable : un ex-député ne retrouve jamais de boulot. Il déplaît à tout le monde, à ceux qu'il a refusé de pistonner et même à ceux qu'il a ardemment aidés; car "les gens se vengent des services qu'on leur rend". Une pathologie universelle.
Etre au pouvoir, avoir du pouvoir, diriger, ordonner, être considéré; c'est le levier essentiel de tous ceux qui sont en politique. Je persiste à le croire. Et cela n'a rien d'insultant; la nature humaine est ainsi faite. Tiens, Benoît Hamon a décidé de ne pas profiter du système; n'étant plus député européen, il a cherché du travail, comme tout le monde, le "poste de porte-parole du parti socialiste n'étant pas rémunéré".
Au moins chez nous, on se contente de cumuler, c'est tout. Dans d'autres coins du monde, on amasse aussi. Et toute honte bue, on expose en plus. Le "roi des rois d'Afrique" vient de donner à son peuple une formidable leçon de droit budgétaire version accélérée. J'oeuvre pour votre bien; et votre bien passe d'abord par le mien, admirez donc...