jeudi 17 septembre 2009

Liberté pour le péché !

Comme on le sait, la démocratie est avant tout, une culture. Une valeur. Tout se passe donc dans la tête des gens. C'est aussi une question de résilience, de sincérité et de constance. On est démocrate ou non; ni peu ni prou, ni à moitié ni passionnément. La démocratie récuse les adjectifs. Il faut donc s'indigner à chaque coup de canif, d'une manière indiscriminée.


Evidemment, la consommation d'alcool déplaît à tout bon conservateur. C'est que Dieu l'a interdite. Les légistes s'opposent sur les boissons défendues à proprement parler mais d'une manière générale, il est admis que l'alcool est un mal; d'ailleurs, aucun théologien n'a encore été surpris en train de sabler le raki. Pourtant, le grand imam Abu Hanifa (699-767), le fondateur de la première école juridique (madhab), pour lequel d'ailleurs, on ne peut qu'avoir une passion, serait plus "soft" s'agissant des boissons prohibées. Jouant sur le mot "hamr" explicitement interdit, il en a conclu que d'autres boissons alcoolisées étaient licites sous réserve de ne pas sombrer dans l'ébriété. Modérément, comme dirait le païen. Une lecture littérale, ça s'appelle. Etonnant d'ailleurs de la part de celui qui passe pour être le chantre du "qiyâs" (raisonnement analogique). "Allez, ouvrez les cannettes ! Je casque", "vas-y, vas-y, pour une fois qu'un péché saute !"...


Il est certains péchés qui apparaissent comme intrinsèquement extrêmes par rapport à d'autres. Par exemple, la consommation d'alcool, la fornication, l'acte homosexuel, etc. Personne ne s'offusquera de voir à sa droite, front par terre en train de dire à la va-vite trois fois "Gloire à mon Seigneur, le Très-Haut" (Sübhane Rabbiyel Ala), celui qu'il vient de croiser deux minutes auparavant, balancant sur la vie privée de son voisin de palier. Le fameux "dedikodu", le cancanage. Car potiner est un grand péché dans l'islam. Mais tant pis, tout le monde le fait. Que serait une réunion d'amis si l'on ne peut plus jaser sur les absents ? Mais voir un poivrot notoire dans la même posture, attire immédiatement l'attention; "tu crois qu'il a arrêté ?", "j'pense pas, j'l'ai vu biberonner tout à l'heure", "Hmmm", "on lui jette des pierres, hein, c'est ça ?"...


Pécher, d'ailleurs, est un droit dans l'islam. Divinement accordé, par-dessus le marché. Alors, suppôts de Satan, de Bacchus, de Vénus ont droit de cité. Par décision du Créateur en personne, c'est dire. Bien sûr, on comprend les bons sentiments de ceux qui veulent aider leurs prochains en les invitant à ne pas pécher; pour leur bien. Un peu le réflexe de la "non-assistance à personne en danger". Il suffit juste de comprendre que tout le monde n'a pas la même conception du "danger".


Me voici donc à défendre le droit de boire de l'alcool à trois jours de la Fête. C'est que le maire d'Ankara m'a irrité; le Sieur Gökcek a décidé de soumettre à référendum la question de savoir si la mairie doit autoriser la vente d'alcool dans une rue précise de la capitale. Une ineptie; pis, une faute. Soumettre une question relative à la liberté des uns au vote des citoyens ! Evidemment, les laïcistes sont aux premières loges. L'alcool, comme on le sait, est devenu l'étendard de ceux qui continuent à se définir, malgré l'absurdité de la formulation, "laïques". Il est difficile de leur faire comprendre; vaut mieux peigner une girafe. Et nul n'est besoin de mobiliser la laïcité pour combattre ces offensives lèse-libertés; il suffit d'être démocrate. Il faut dire que le premier réflexe des "laïques" n'est pas d'invoquer la démocratie... Irrécupérables.


Le Ramadan permet à tout le monde de se calmer; plutôt à ceux qui ne peuvent plus boire par respect ou par peur. Même Reha Muhtar, le légendaire journaliste bon vivant mais néanmoins fils de théologien, assure qu'il se retient. Chacun est libre de se rincer le gosier. On n'invite personne à s'émécher, évidemment. On prend seulement acte d'une liberté. Pas de contrainte en religion, aime-t-on rappeler. Dieu l'a ainsi décidé; il nous reste plus qu'à nous incliner. Nolens volens.