vendredi 30 octobre 2009

Epilogue ?

"Un bout de papier" avait juré le Général Başbuğ; la Turquie entière était accrochée à ses lèvres; il était question d'un document supposé préparé par un officier de la marine et destiné à enflammer la Turquie. Le but était clair : affaiblir le Gouvernement et finalement le démissionner. Mettre fin à la "dictature" du "régime AKP", nécessairement fasciste-islamiste-terroriste-despotique. L'Armée. Sa messianité est clairement admise par certains kémalistes...


C'est rassurant, cela dit. Les militaires veillent; la République ne saurait somnoler. La démocratie, peu importe; un parent pauvre; on l'aime bien mais elle est mineure, seconde par rapport à la République. Ca tombe bien, la soldatesque ne cache pas sa "naturelle stature" dans son activité de patronage. Elle a déjà un "casier judiciaire" assez gribouillé dans ce domaine, elhamdulillah.


L'on était à la recherche de ce document; c'est que l'on avait déjà une photocopie mais le droit est ce qu'il est, il fallait prouver l'authenticité de la signature. Personne n'avait réussi à le faire; le Général s'était donc crispé devant les journalistes : "je vous l'ai dit, bande de contre-révolutionnaires, l'Armée ne fomente plus des troubles, c'est un bout de papier sans valeur, regarde caaaart...". Malgré toute leur bonne volonté, les experts n'avaient rien trouvé : la véracité de la signature de l'officier-zoro n'a pu être attestée. Pas de flagrance.


Or désormais, on sait que ce document n'est pas un faux; un vaillant soldat, une taupe disent déjà les kémalistes, a "balancé"; l'honneur, cela s'appelle; et l'amour de la Patrie. La loyauté au gouvernement démocratiquement élu. "Arrête de dire des bobards, c'est les Américains qui les ont placés ici, tu le sais !", "moi je dirais même les Juifs", "ouais c'est ça, les Fethullahçi aussi j'pense"...


Les soldats ont donc rechuté dans ce qu'ils savent faire le mieux : chasser des gouvernements. Par la stratégie de la tension, quelques assassinats de chefs alévites, quelques pisse-copie sommés de déblatérer autant que faire se peut contre le gouvernement, quelques munitions placées dans les établissements des "Fethullahçi", etc. Une bonne stratégie. Perspicacité d'un militaire. Rappelons que cet officier zélé est un "docteur", il a écrit une thèse de doctorat. Un homme intelligent, en somme. Quoique. L'on sait comment les universités turques distribuent les titres de "docteur" aux militaires, il suffit de frapper à la porte pour qu'un professeur les accueille les bras ouverts; "je suis à vos ordres mon caporal !"...


Pourtant les services de l'Armée auraient fait des heures supplémentaires pour "nettoyer" les archives. Des autodafés. Des sacs de documents auraient ainsi été détruits pour ne pas qu'ils passent aux mains de l'ennemi, la justice turque. D'ailleurs, sa première réaction a été révélatrice, "p'tain, comment vous avez fait pour trouver ?"... Grâce à une taupe. Le tragi-comique dans cette affaire, c'est que certains journalistes entichés de l'ordre militaire ne cachent plus leur déshonneur : "euh... ben... et tiens d'abord, pourquoi la taupe en question parle maintenant ? Hein ? Dites-le ? Quel est son but ? Qui le pousse ? Pourquoi était-il resté silencieux pendant tout ce temps ?", "mais c'est un détail ça, et sur le fond alors ?","nan, bah nan, moi je suis procédurier...". D'accord. Noyer le scandale dans le superfétatoire. "Détailliser" le schproum. Comme pour l'affaire de l'Ergenekon. Des journalistes.


C'est que les lumières de l'état-major restent allumées jusqu'à tard dans la nuit, nous dit-on. Les généraux sont en conclave, "bon alors, qu'est-ce qu'on fait ?", "on a qu'à faire un coup d'état !", "nan nan, c'est démodé, proposez autre chose","euh, on fait sauter l'état-major", "mais arrête de déconner vieux, qui va mourir pour ces cons","bon bah, on trouve un lampiste et on ferme le dossier", "génial !". On a donc trouvé l'annonce officielle : "j'te jure, le chef d'état-major, lui, ne savait pas","c'est ça ouais !", "bah nan hein, c'est vrai, pfff", "la preuve ?", "ma parole", "et ben on n'est pas sorti de l'auberge"... La parole du militaire ne vaut plus un kopeck, malheureux.


Il est sans doute bon de rappeler qu'un militaire ne sert qu'à une chose dans un pays, garder les frontières. Faire la guerre quand on lui demande, faire la paix quand on lui ordonne. En Turquie, il sert surtout à donner les grandes orientations de la politique. C'est comme ça. Toujours le même refrain, "s'il vous plaît, ne critiquez pas l'armée, sinon les souris dansent". Il faut aimer l'armée. Sinon, tout saute. "La bonne piété, à l'ancienne, solidement assise sur la terreur" (Jean-Paul Sartre).


Evidemment, les politiciens font semblant de s'indigner; le très kémaliste Baykal, un homme de gauche comme on le sait, est de ceux qui pinaillent sur l'identité, la motivation de la taupe; les ministres en général jettent le manche après la cognée, "encore !"; le Premier ministre dit des choses classiques qui commencent par des louanges aux militaires et qui se terminent par la même détermination à lutter contre ceux qui veulent s'en prendre à l'ordre démocratique. Fait remarquable, certains demandent la démission du Général en chef; une option, effectivement. Soit il était au courant et c'est une infraction, soit il ne l'était pas et c'est une faute. Il avait promis d'en tirer toutes les conséquences; espérons que ça ne va pas se résumer à briser la vie de la seule taupe...