samedi 20 juin 2009

Turquie en gésine

L'Armée travaille comme un démon, tout le monde l'avait compris; mais pas à déminer la frontière turco-syrienne, que nenni ! Elle préfère sous-traiter, "ah oui oui, ça serait mieux, on n'a pas le temps, on peaufine d'autres plans"... Elle préfère réfléchir sur l'avenir de la vie politique et globalement sur le gouvernement de la Nation. Les militaires veillent. Et ils ne sont pas en reste par rapport aux mollahs, c'est clair; dans la méthode s'entend, évidemment. Dernièrement, le Général en chef pouvait ainsi déclarer que les militaires s'opposeraient toujours à la reconnaissance constitutionnelle de droits collectifs pour les Kurdes. Evidemment, ce type de déclaration ne jette personne dans les rues, on écoute. Sans broncher, si possible.

Depuis quelques jours, c'est encore le tohu-bohu. "Qu'est-ce qu'ils ont fait encore !" La routine, en réalité. Concocter des plans, des stratégies, des calculs. "Ah enfin, ils vont buter les terroristes ?", "doucement, tosunum !". Les terroristes sont toujours là, il n'y a pas le feu. Mais l'AKP aussi est toujours là; c'est long maintenant, sept ans. Trop. Il fallait intervenir. Voilà l'information : on a retrouvé chez un ancien officier reconverti dans l'avocature, un document qu'il avait préparé au sein de son service à l'état-major; il a planifié des choses.

Bien sûr, moi, je m'entête toujours à ne pas comprendre pourquoi ces esprits si féconds ne creusent jamais leur cervelle pour trouver les moyens d'éradiquer le terorisme du PKK. Leur métier, soit dit en passant. Alors donc, quel est ce nouveau plan ? Du classique : déstabiliser l'AKP de l'intérieur en activant les taupes et surtout s'en prendre au "mouvement Gülen"; mouvement impulsé par cet imam qui vit en exil aux Etats-Unis. L'homme le plus influent de Turquie, pourrait-on dire. Et même l'intellectuel le plus influent dans le monde selon Foreign Policy. Non pas qu'il soit figure de proue d'une quelconque troupe mais il a une bonne image, c'est tout; il est "moderniste" ("le voile, c'est un détail"), cultivé, presque romantique, adepte du dialogue des religions.




Et il accorde beaucoup d'importance à l'éducation d'où les innombrables écoles à travers le monde. Et le Turc moyen est fier de voir que de petits étrangers apprennent le turc et viennent chaque année en Turquie présenter leurs performances. Mais il gêne, aussi; il fait peur; c'est un homme de religion, il doit bien vouloir renverser l'Etat. Il est vrai que ses propos n'arrangent pas les choses; à un journaliste qui lui demandait s'il encourageait ses adeptes à filtrer dans la fonction publique en Turquie, il répondit : "personne ne filtre, ce sont des citoyens qui postulent". Trop subtil pour certains...

"Nan nan j'te dis, ce n'est pas moi qui ai donné un tel ordre !" va presque pleurer le chef d'état-major, de son côté; le général Başbuğ le Démocrate, sec comme un hareng qu'il est. Il fait la grosse voix, il n'en peut plus, "ça me révulse à la fin, arrêtez de dire que je ne pense qu'à faire un coup d'Etat !". Mais on n'arrive pas à le croire entièrement. Qui a bu boira... "Tenez vos langues et vos plumes, espèces de buffles !" a-t-il officieusement lancé à ses subordonnés trop turbulents.

Ca serait donc plutôt une junte qui ourdirait un tel projet séditieux. Nous en sommes habitués, il fut un temps où le chef d'état-major le plus démocrate de l'histoire institutionnelle militaire, le général Hilmi Özkök, ne mangeait pas à la cantine de l'armée; alors sa femme devait se réveiller tous les matins de bonne heure pour lui préparer ses mets préférés; et on voyait le général venir au camp en se dandinant avec sa gamelle. Comme à l'école. Officiellement, il était malade, il devait donc faire attention à sa nourriture; officieusement, il craignait un empoisonnement. Voilà donc pour une armée.

Bien sûr Baykal n'a pas immédiatement réagi; il ne savait trop que dire. Il faut rappeler que les incartades de l'Armée sont assez nombreuses, on ne sait plus comment réagir; c'est toujours difficile de se forcer à s'indigner, aussi... Mais pour une fois, il a dit des choses : "il faut immédiatement éclaircir cette situation et si besoin est, des têtes doivent tomber"; il n'a rien confirmé mais on a l'impression qu'il serait plutôt favorable à des démissions dans le haut commandement. "Ouha t'as vu !"

Et d'ailleurs, qui en est choqué ? La vieille mère au fin fond de sa campagne devant son rouet s'en fout comme de colin-tampon, le berger ne sait même plus comment s'appelle le chef du village et le petit paysan s'affaire à remplir ses piles de dossiers pour recevoir les aides que le Gouvernement distribue. La politique, c'est une affaire catégorielle. Chansons que tout cela !

Un nouveau gnon à la "démocratie", en tout cas. Les "plumes les plus autorisées" disent que la Turquie se trouve dans un moment des plus critiques pour le processus démocratique; d'autres sont plus réalistes, "allez au suivant !"; d'autres sont toujours sceptiques, "comment ! Et puis quoi encore ! Ces grands hommes ne vont tout de même pas faire un putsch !" Rien ne sera plus comme avant, fredonne-t-on, en général. L'histoire des lendemains qui chantent... Tabii yersen...