vendredi 6 novembre 2009

De l'identité nationale


Nous sommes donc à la recherche des piliers de l'édifice national; c'est que les élections régionales approchent, on a donc un besoin pressant d'étreindre les valeurs qui font la France. C'est connu, notre classe politique ne prend au sérieux les Le Pen qu'à l'approche des élections; ça tombe bien, le contexte est particulièrement morose, il fallait donc faire papoter la masse, histoire de faire un peu de "démocratie participative". Et Marine Le Pen d'aller frapper à la porte de l'Elysée, "ouvrez, c'est moi, la prêtresse des questions d'identité, je viens vous donner les définitions, allez !", "euh, Monsieur le Président ne croyait enclencher que la phase traditionnelle de palabres sur l'identité, une tradition liée à la période électorale", "ah, mince alors, bon bah j'vais crier ailleurs","oui oui, c'est ça...". Ca sent le rance.



Le Ministre de l'identité nationale, celui qui sans doute est un des meilleurs parleurs du Gouvernement, veut que les Français planchent sur la question; "allez, sortez les tablettes et appliquez-vous; premièrement, les définitions, deuxièmement, les exceptions, et bourrez bien la catégorie exceptions, haha". C'est que lui-même s'est lancé : il faut, nous a-t-il enseigné, commencer par avoir "le culte de la République". C'est donc bien parti...



Evidemment, les réponses se bousculent. Tant mieux. D'autres, comme les socialistes (sauf Ségolène Royal), préfèrent bouder; c'est que la Nation est un sujet qui n'enflamme pas les hommes de gauche modernes. Dites "République", ce sont les premiers à compter les cervelles à sauver, mais les discussions sur la Nation, l'Ordre, la Sécurité, etc. ne relèvent plus vraiment de leur intérêt depuis l'affaire Dreyfus. Des thématiques de droite.



En réalité, l'identité de la France est déjà connue; elle est même couchée par écrit; notre Constitution ne cite-t-elle pas des mots ô combien ronflants du type Liberté, Egalité, Fraternité. Pour ma part, je préfère la première phrase du préambule : "Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004".




D'ailleurs, on est en droit de s'interroger : est-il légitime de parler d'une identité "nationale" au sens politique du terme ? Une identité française, une identité turque, une identité américaine, une norvégienne, une afghane. L'Homme n'a-t-il pas une égale dignité partout ? Des valeurs universelles, éternelles, intangibles n'existent-elles pas ? Beaucoup de théorie. Trop d'abstraction. L'identité de la France, son mérite, à mon sens, c'est d'avoir pu universaliser sa préoccupation, les droits de l'Homme. Evidemment, les identités culturelles sont différentes; et tant mieux. Des civilisations existent. Les traditions, la morale, la gastronomie, la bienséance, etc.; mais ce n'est que le volet culturel, le reste ne peut être relatif à la localité; l'on ne devrait pas estimer que dans certains coins de notre planète, les atteintes à la dignité des femmes relèvent d'une conception "nationale" des droits de l'Homme. L'Immortel Claude Lévi-Strauss ne l'avait-il pas dit : différence et universalité ne sont pas, au fond, des antagonismes; le fameux structuralisme.


La France, c'est donc le respect des droits de l'Homme, la culture scientifique, littéraire, artistique, la protection des opprimés et le défenseur de la Dignité. Un phare dans le monde. Ce n'est pas un pays où l'on en vient à renvoyer en correctionnel un ancien Président de la République pour, excusez du peu, détournement de fonds publics, un pays où l'on minimise les propos racistes d'un Ministre de l'Intérieur, un pays où l'on est tenté de légiférer sur les habits des gens, un pays où l'on en vient à renvoyer en Afghanistan des étrangers en situation irrégulière, contrée où règne la terreur (d'ailleurs, le ministère français des affaires étrangères l'a tellement bien compris qu'il déconseille de s'y rendre et l'ONU s'apprête, de son côté, à rapatrier quelques centaines de ses membres), un pays où le nom d'origine étrangère entraîne fichage, discrimination, suspicion, un pays où l'on perd sa dignité à peine posé le pied sur le seuil de la prison, etc.



La France prend les airs d'une princesse descendue de son plein gré au marché du coin mais qui refuse néanmoins de saluer toute la "gueusaille" qui l'entoure; une incapacité structurelle à s'adapter. Un problème congénital avec l'altérité. A-t-elle des outils, une mentalité, une expérience pour changer ? Difficile de répondre par l'affirmative; il lui manque la quintessence : l'expérience de la tolérance. Et la formule "Black-Blanc-Beur" n'est restée qu'un slogan enserré dans le seul domaine sportif.


Il faut donc discuter, nous dit le Gouvernement. Fouiller les cartons. Mais une identité ne se décrète pas, on le sait aussi; celle-ci a besoin d'être partagée par le corps social. Une identité qui ne laisse personne au milieu du gué. Le défi est ailleurs, en réalité; la vérité est que les concepts n'ont jamais réussi à changer le regard des autres. Il ne suffit pas de dire que la France est la patrie des droits de l'Homme pour que ses habitants se transforment illico presto en enfants de choeur. C'est la mentalité des gens qu'il faut changer. La normativité n'est d'aucun secours. On devrait surtout rechercher un nouveau regard; casser des atomes, en somme. Bon courage !