vendredi 18 décembre 2009

De-ci, de-là...

Etre soufi; abolir l'Espace, déchirer le Temps. Vivre en suspens. Le temps passe si vite; on est déjà en 1431. Jadis, quand mon père luttait, le temps coulait plus lentement; l'on vivait au ralenti, presque. C'est qu'il menait une lutte. Le temps ne bronchait pas, il s'adaptait. Traître. Mon père parti, il s'est accéléré. L'aventure continue.


C'est bien la grève; on attend. On compte les minutes. Le temps défile devant nous, l'occasion de le narguer; le RER A fait grève, a-t-on dit. Heureusement. C'est que je prends le RER B. Et je voyais défiler plus de RER A que de RER B, ce matin. Je n'ai toujours pas compris.


Le temps se fige parfois; quand deux yeux étrangers s'enlacent; ils se frôlent d'abord, puis s'épient, enfin se fixent. "Instant indétectable pour la foule, éternité pour l'amant" disait Amin Maalouf. Il a toujours raison celui-là, ça énerve à force...


S'il y a bien une pensée qui me fait frémir, c'est celle de "tuer" le temps. Ne rien faire. Tiens, un conseil pour l'éphèbe : travailler, travailler, travailler. "Lève-toi, on a l'éternité pour dormir" disait Khayyam.


L'islam nous prévient : le Jour du Jugement, Dieu va fouiner. La convocation. Le grand Oral. Et tout penaud, l'on dévoilera les heures passées à ne rien faire, à ne pas réfléchir sur la Nature. Les voyages en train sont formidables en réalité pour tout psychologue ou sociologue; les uns qui lisent, d'autres qui papotent quasiment avec tout le train, d'autres encore qui parlent au téléphone; le petit capuchonné en train de rouler une cigarette. Tout le train attend avec impatience s'il va l'allumer; les yeux rivés sur lui. Mais personne n'ose rouspéter à voix haute; c'est comme ça. Il parle verlan, il porte capuche, il est incorrect. Il fait peur. Même Nadine tremble.


Moi je lisais Mahmoud Darwich; pour la première fois, je l'avoue. Honte. Il le dit : "Ce siège durera jusqu'à ce que l'assiégeant, comme l'assiégé, réalise que l'ennui est l'un des attributs de l'Homme". Encore le Temps. Paradoxalement, dans ce cas, il reste discret, le Temps. D'ailleurs, on ne l'attend plus, qu'il aille au diable ! Oh hisse !


Ah oui, mes deux yeux, j'en étais resté. Ca ne s'oublie pas; l'amour ? Le Temps obviera. Encore lui. L'on vante souvent l'aspect thérapeutique du temps; il effacerait, apaiserait, récompenserait. Le "sabr" dit-on, "l'endurance", la "patience". Une éponge, soi-disant. Mais qui a dit que je voulais oublier, pfff ! Barbouiller le Temps de ses larmes...


Il y a les nostalgiques, aussi; les otages du Temps. Ou ses hôtes, pourquoi pas. Dans l'islam, beaucoup de barbus veulent absolument disparaître dans l'antique; "émigrer" vers l'époque du Prophète. Pourquoi pas. J'ai tellement envie de le voir; de le consulter; de me confier. Qu'il tranche donc tous nos débats. Qu'il nous aide à pleurer. Qu'il nous dise qu'il nous aime toujours. Qu'il nous console. Temps révolu... Personne n'ouvre.


La mort, in fine. Notre famille a une connexion très forte avec la Finitude. Une sorte de "rigolade". L'on ne pleure même plus; l'on guête le suivant. La Mort donc, la fin du Temps. L'apaisement. Eternité. Première question à poser à Dieu : le Coran est-il créé ou incréé ? C'est que le cours de droit musulman m'obnubile; les mutazilites ont dit que... les asharites ont pondu que... Juste pour savoir si c'était une "prise de tête". Je prends note.


Les soufis ont vraiment de la chance, eux. Ils sont ailleurs, par définition. Entre ciel et terre. Ils montent l'escalier et se dépouillent au fur et à mesure. Ils ont assommé le Temps. Ils ont aboli les frontières. Un peu de "zawq" Yâ Rabbi !


"Tu délires ?". L'on ne comprend certaines choses qu'avec le temps; à mettre dans cette catégorie. Je déteste l'écoulement du temps. Un tas de chose à faire. "nan, c'est rien, c'est la fatigue"...