jeudi 31 décembre 2009

"Sur les cimes du désespoir"

L'on termine donc l'année 2009 comme d'habitude; peurs, pleurs, cris, violences. L'espoir s'est donc affalé sur 2010. Comme il fera de même tous les 31 décembres, en réalité; un monde "meilleur", nous souhaitons tous. Pas un monde où le Bonheur, la Justice, la Vertu, l'Abondance se détacheraient du monde des Idées pour devenir les plus beaux fleurons de la terrestréité. Ca n'existe pas. Le vice guide toujours les hommes, un seul diablotin suffit à troubler l'eau. Pessimisme. Ou réalisme, son synonyme.


Evidemment la liste est longue : chacun se cherche une cause à défendre : la majorité cagnarde, les musulmans ont leur dada, la cause palestinienne; les plus romantiques ne jurent que par le Dalaï-lama; les plus têtus écrasent une larme pour l'Afrique; les plus oisifs se soucient des droits des transsexuels; seul le Pape semble se désoler d'une manière indiscriminée.


L'Iran est la toute première cause de l'année 2010. La plus "fraîche". Celle que l'on a héritée de 2009. Les Iraniens s'agitent en ce moment; depuis juin, plutôt. Au nom de la Liberté et de la Justice. J'ai une attention particulière pour ce peuple si fascinant, un des plus instruits et cultivés de la planète; un simple pâtre adossé contre un arbre serait capable de réciter par coeur Ferdowsi ou Hafez, nous dit-on.


Ils viennent d'inhumer leur conscience vivante: Montazeri; le grand Montazeri. L'éminentissime. Une "source d'imitation", un marja-e taqlid. Le Déchu, aussi. En 1989, on avait choisi (Rafsandjani avait réussi à imposer, plus précisément) un "petit", Ali Khamenei, élevé en une nuit à la "dignité" d'ayatollah (âyatollâh = signe d'Allah). Un religieux qui n'avait d'autre mérite que de porter un turban noir (les "sayyid", descendants de Hussein, petit-fils du Prophète, ont ce privilège, les autres portant un turban blanc). Ali Montazeri révélait trop de choses; Khomeini n'appréciait pas. Il fut renvoyé à ses chères études...


Même Shîrîn Ebâdi a pleuré pour le Grand Ayatollah Montazeri; elle lui a attribué le titre de "père des droits de l'Homme en Iran" ("peder huqûq beşer Irân": پدر "حقوق بشر" ایران ) et s'est adressée à lui : "Je te demande pardon, père ! Je ne t'ai pas soutenu contre le Shah (...); je te demande pardon, père ! Je ne suis pas venue à ta visite lorsque tu as recouvré la liberté ! (...); je te demande pardon, père ! Je n'ai pas prêté l'oreille à tes dénonciations en 1987-1988 (...). Je te dis père car c'est de toi que j'ai appris à défendre les prisonniers politiques. Tu étais à ce point engagé que tu as repoussé les plus hautes fonctions de la République. Je te dis père car c'est de toi que j'ai appris comment défendre l'opprimé sans recourir à la violence (...), tu as des millions d'enfants et de disciples...". Un vibrant hommage, ça s'appelle. Une grande voix, assurément. Un grand théologien.


De son côté, la Chine s'est encore une fois manifestée en mal. L'on sait que la Chine déteste les ingérences. Comme tous les pays, d'ailleurs. Mais elle a une particularité dans ce domaine : c'est que, sincèrement, elle ne comprend pas ce qui peut bien pousser des étrangers à s'ingérer dans son intimité. Au nom de quoi ? Alors, l'on tente de lui expliquer la théorie classique : la souveraineté des Etats n'a rien d'absolue, elle doit se conjuguer avec l'attention légitime que pourrait porter les autres en matière de respect des droits de l'Homme. Mitterrand l'avait mieux dit, comme d'habitude : "l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance". Joli.


La Chine gronde en général dans ces moments. L'on se souvient de la tournée du dalaï-lama; en France, le président Sarkozy croyait pouvoir faire ce qu'il voulait chez lui. Pas de bol, la Chine avait haussé le ton. Et dégaîné la liste des contrats aussi. Alors, plus de rendez-vous. Ou des entretiens en catimini. Idem pour les "émeutes" de Lhassa, l'insurrection ouïgoure au Xinjiang. (Même le Turc Recep Tayyip Erdogan avait fait profil bas; pourtant, on trouve la ville de Kashgar dans la région; celle de Mahmud, le célèbre Kasgarli Mahmud, rédacteur d'un dictionnaire turc, le Divanü Lugati't Türk au XIè siècle). Derniers épisodes : les dissidents ouïgours sont pendus, le dissident Liu Xiaobo parlait beaucoup, on lui a promis onze ans de prison; un Anglais s'amusait à vendre de la drogue, malade mental qu'il était, on l'a exécuté. Brown n'était pas content, évidemment. Les Chinois s'en fichent : "souveraineté de la justice chinoise"... Une nouvelle grande puissance arrogante est née. La roguerie des Grands, un fléau.


De leurs côtés, les terroristes font toujours frémir; ceux qui se réclament de l'islam. Mais ceux que les musulmans rejettent. D'autres veulent absolument les qualifier de "musulmans"; une occasion rêvée pour taper sur du musulman, évidemment. "Pourquoi on se ment, hein ! C'est un dogme de l'islam que de tuer, reconnaissons-le, c'est un complot mondial !"... D'accord, je l'avoue : le milliard musulman se réunit tous les cinq ans quelque part dans le monde; en catimini; on prend nos décisions là-bas, on planifie des choses et on passe à l'acte le moment venu. Je l'avoue. Et à La Mecque aussi, tous les ans, en tournant autour de la Kaaba, vous ne pouvez pas savoir tout ce que l'on se murmure. Je l'avoue. Nous sommes mauvais, nous sommes dangereux, nous aimons le sang, nous adorons les cadavres, nous nous contentons des explosions ici ou là. Je l'avoue. Ca nous fait une belle jambe, comme on l'aura remarqué.


On a peur. On entre en 2010. On en sortira dans le même état. C'est ainsi. L'important est de rêner nos révoltes internes. Il y a bien quelque chose, quelque part pour entendre les hurlements des opprimés. Si l'on pouvait troquer nos rêves avec ceux des Gazaouis, des Tamouls, des Darfouris, l'on aurait compris un certain nombre de choses... Anna Tibaijuka, sous-secrétaire générale de l'ONU avait vu juste : "en Afrique, est pauvre celui qui est menacé de mort; en Europe, celui qui a du mal à payer son emprunt immobilier"... Un abîme. Pour comprendre la vie, il n'y a rien de mieux que de visiter les cimetières. Chaque année, on ne fait que déshabiller l'Espoir pour le monder et le rhabiller de ses haillons. Et on se souhaite bonne année. Bonne année, donc. Qu'elle soit joyeuse. Que l'on rie beaucoup. Que l'on s'éclate. "Tchin tchin, mon ami !"...