On est bien au XXI è siècle. Pas de doute. Les juifs, eux, sont en 5770. Au LVIII è siècle. Mais le nombre des années n'est pas en soi, comme on le sait, un étalon. Au LVIII è siècle donc, en Israël, parce-que la Cour suprême a décidé d'abolir une ségrégation, 100 000 personnes ont halené dans la rue pour exprimer leur colère. On croit rêver. Quand on dégomme une discrimination, rognonner ouvertement est déjà, en soi, scandaleux; de là, à croiser des rouspéteurs fiers de l'être, on se frotte les yeux.
C'est que 100 000 Askhénazes sont mécontents; la Cour suprême a mis fin à la ségrégation qui existe dans une école religieuse pour filles entre les élèves askhénazes et les élèves séfarades. Car les Askhénazes, les arrogants d'entre les arrogants, ne voulaient pas que leur pure filiation frayât avec les Séfarades, des ploucs, comme on le devine. Culturellement et religieusement inférieurs, apprend-on. Mais quand même éléments du "peuple élu", évidemment. "Élus" face aux goyims, "béotiens" dans la communauté, sont donc les Séfarades. Osons le jeu de mots : les philistins de la judéité...
"A blatant ultra-Orthodox racism", "the racist social norms (...) characterize the entire ultra-Orthodox worldview" dit Haaretz. Quand on critique des juifs, il faut toujours citer un autre juif car personne ne veut perdre sa réputation en courant le risque de se faire taxer d'antisémite. Saramago qui vient de rendre l'âme en savait quelque chose...
"There is no greater consensus in secular Israeli society than hatred for them" nous apprend Gideon Levy. Soit dit en passant, il se demande pourquoi les politiques, la société et les juges ne sont pas aussi audacieux pour s'en prendre aux colons. Encore plus "racistes", "violents", "violateurs du droit", "plus coûteux". C'est lui qui le dit, toujours aussi percutant (mais c'est moi qui souligne) : "The Ashkenazi Haredim treat the Mizrahim abominably. It is racism. But at least it is not violent, like the racism of the settlers toward Palestinians. The Haredim put their women at the back of the bus; the settlers not only bar Palestinians from their buses, but from the entire road at times. The Haredim erect barriers between Ashkenazim and Mizrahim in their schools; the settlers carry out ethnic cleansing under the state's aegis, like that of 25,000 residents of Hebron. So who's the real racist here? Compared to the settlers' hilltop youth, the yeshiva boys are models of morality. But who gets castigated? The Haredi of course. When will the courts come out against settler racism as they have against Haredi racism? They themselves maintain different systems for penalizing Jews and Arabs. When will we hear about the thousands of fictitious civil service positions held by settlers - a salaried security official in every mobile home - in the same way that we hear about the Haredi parasites? And what about the thousands of soldiers who have to guard the settlers, the superfluous roads that have been built to serve them, the electricity and water supplies laid for illegal outposts? All of it, everything, paid by us, more than we pay for Torah study as a Haredi occupation".
"Nothing else can explain the phenomenon of tens of thousands of religious zealots, dressed in black hats and coats, congregating under the glaring midday sun to fight for the right to discriminate against their fellow Jews" dit le Jerusalem Post. Même son de cloche dans Yediot Aharonot : "The haredim may think that the law isn’t fair, but if they go down this path, they will be hurt more than anyone else. After all, unfair laws safeguard their ability to make a living without working, unfair laws enable them to study at yeshivas while our children join the army, and unfair laws safeguard the outrageous possibility to open education networks that put up a wall in the face of a girl whose only sin is being the wrong color".
Certains sont donc plus élus que d'autres. Comble du comble, lorsqu'on visite les forums des juifs de France par exemple, certains ne se focalisent même pas sur l'événement, on trouve des commentaires du type : "ça profite aux antisémites", "c'est une manipulation", "on est la risée du monde", "nos divisions profitent à nos ennemis", etc. On aurait voulu voir : "droits de l'Homme", "dévoiement du judaïsme", ou si on a quelque scrupule, au moins un truc du type "bêtise".... C'est la pathologie universelle, en réalité : sauvegarder l'apparence face aux autres. Des autres qui sont nécessairement des ennemis qui font feu de tout bois. L'individu est noyé dans le vernis du collectif. L'eau dort, l'ennemi ne dort jamais, comme on le sait.
100 000 personnes sont descendues dans les rues pour réclamer la discrimination, en somme. On est en 5770, pourtant. Aux Etats-Unis, ce fut en 1954 que le pas fut franchi. En France, comme on le sait, les écoles privées ne peuvent discriminer à l'entrée. Les Haredims, eux, vivent dans leur bulle. Ils méprisent d'autres êtres humains, en bon français. Des juifs, pourtant. Les filles séfarades rabaisseraient le niveau. Elles sont là, en réalité. Il y a un quota pour elles. La Cour suprême a tout bonnement brisé le raisonnement qui était à la base de ce quota. Des hommes de religion s'en sont émus. Car leur lecture imposait une hiérarchisation. Tout saute; tant d'années, tant de constructions intellectuelles, tant de fatigue, tant d'énergies. Des hommes de religion mais entre guillemets. Car il est difficile d'y voir ne serait-ce qu'un hochement de tête de Dieu à pareille forfaiture.
C'est l'arrogance, encore une fois. L'histoire du judaïsme est présentée dans le Coran comme l'histoire de l'arrogance. La sourate que tout musulman connaît par coeur, c'est la Fâtiha; tous les jours, cette sourate est récitée une trentaine de fois au cours des cinq prières : les musulmans demandent à Dieu de les guider dans le droit chemin et non pas dans le chemin de ceux qui "ont encouru Ta colère (...)"; c'est-à-dire les juifs. Le peuple juif est, comme on le sait, le "premier amour" de Dieu. Il lui a promis des choses; et les juifs ont débarqué après 1800 ans d'absence pour récupérer leur terre promise. Personne n'a bronché à l'époque, sauf les propriétaires de céans. D'ailleurs, ils rouspètent toujours. Comme si c'était un drame. Un imam doit leur rappeler que cette terre est "promise". C'est écrit dans le Coran, voyons...
Les Haredim profitaient de l'argent public pour étudier la Torah et prier pour l'âme d'Israël; les "oratores", en somme. Or, nous disent les spécialistes, Maïmonide disait clairement que celui qui se consacre à l'étude de la Torah en comptant sur la charité, c'est comme s'il profanait le nom du Tout-Puissant et donc se privait de l'au-delà. Voilà qui est dit. On sort souvent des passages du Coran pour "démontrer" à quel point Mahomet détestait les juifs. Sa pratique ne l'aurait-elle pas montré, d'ailleurs. On sait que les chrétiens ont vécu des siècles durant en se forgeant un ennemi; de l'intérieur, de l'extérieur ou même existentiel comme les juifs, les "déicides". On apprend que les écoles religieuses d'Israël apprennent à leur petit la philosophie de Rabbi Kook; celle qui dit que "la différence entre les juifs et les gentils est incommensurablement plus grande que celle entre un gentil et un animal". Merci pour nous. Le Coran est plus "soft", lui : "Ne discute avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise (...). Dites : nous croyons à ce qui est descendu vers nous et à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu qui est votre Dieu est unique et nous lui sommes soumis" (29 : 46).
On doit s'éclater dans les cieux, c'est certain. Les religions célestes sont éclaboussées à qui mieux mieux; salies par les extrémistes. C'est le sort de l'extrémiste : à force de promettre l'enfer aux autres, il finit par bousculer tout le monde et par prendre la tête du cortège. Braise et extase ont partie liée comme on le sait mais, le plus souvent, le ravissement qu'on croit ressentir n'est rien d'autre que les chatouillements du Déchu. Il faut le savoir, chers novices, les "fous de Dieu" forment souvent l'état-major de Satan. "Satanocratique, mon cher, satanocratique..."