vendredi 25 juin 2010

Récréation...

Voilà. C'est fini. Deux ans. On a passé deux ans de notre vie à suivre cette histoire. Quand je termine un bon roman, un bon film ou une bonne série, j'en suis toujours affecté, moi. J'ai passé du temps avec l'oeuvre, j'ai eu l'occasion de rêver, de pleurer, de me détacher, de m'égayer, de muser et aussi, de me débaucher. Il faut tout connaître, c'est le slogan de ma vie. Tous les sentiments, tous les goûts, toutes les pensées.


Voilà donc. Bihter s'est suicidée, Behlül a pris la fuite, Beşir est mort, Nihal est devenue quasi-folle et la majestueuse Firdevs Hanım est paralysée. Tous dévastés. Adieu la joie, la beauté, le sybaritisme, le luxe, le raffinement, bref la vie. On avait espéré un coup de théâtre jusqu'au dernier moment. Moi, en tout cas. En règle générale, je préfère les histoires où tout se termine mal, nature pessimiste oblige. Une fois, j'avais lu le Nom de la rose, le Crime du Padre Amaro et la Faute de l'abbé Mouret à l'affilée. Que du noir, des dévastations, des vies brisées, des morts.


Dudaktan kalbe aussi s'était terminée ainsi. Un suicide. Là aussi, ça m'avait occupé un instant. J'en faisais encore l'analyse dans le train. Une réussite, assurément. Car réaliste. Ca ne finit pas en beauté où tout le monde se réenchante, s'aime, oublie tout. Les séries-éponges, ce n'est pas mon truc. Il faut des larmes. Des larmes. Mais là, j'aurais voulu une autre fin. La bassesse jusqu'au bout, en somme; la fuite de Bihter et de Behlül pour vivre leur "amour interdit".


Il faut l'avouer, tout de même. L'histoire d' Aşk-ı Memnu était un sujet très grave; dramatique, rare. Un cran en-dessous de la relation incestueuse. La relation incestueuse, par exemple, on ne peut pas la montrer à l'écran en Turquie. Eh bien, on croyait la même chose pour ce genre de relation. Un neveu qui couche (entre autres) avec la femme de son oncle. Ce n'est pas tant cette idée qui dérange puisque cette série avait déjà été adaptée dans les années 1970; c'était le fait de voir des scènes chaudes entre ces deux corps "indignes", "ignobles", "nauséeux". Mais bon, on a tous regardé. Comme quoi...


On ne saura pas ce qui adviendra de la famille Ziyagil après cette tragédie. "Matmazel" (Mademoiselle, la gouvernante) pétillait. Son tour était arrivé, sans doute. On est libre d'imaginer, désormais. C'est Nihal qui me préoccupe le plus, moi. Elle était amoureuse de son cousin (Behlül) depuis sa plus tendre enfance. Celui-ci était un bourreau des coeurs, pourtant. Il multipliait les conquêtes. "Helal olsun, valla". Elle avait patienté. Et elle l'avait obtenu, d'accord grâce aux coups de boutoir de Firdevs Hanım mais au final, elle l'avait; pour elle toute seule. Et patatras ! Après tant d'années passées en cousins, tant de jours en amoureux, paff, le vide. Il faut tout oublier car le dégoût est passé par là. Mais si elle le revoyait des années après, ce serait peut-être négociable, non ? Et Behlül, qu'est-ce qu'il pourrait bien devenir ? Déconsidéré, banni de la haute société, sans un sou. D'ailleurs, il ressemblait à un clochard dans la dernière scène. "Je suis un assassin", il a lâché. Oui, un assassin. Un "briseur" plus exactement. Tant de vies... On peut imaginer, j'avais dit : moi, je le vois comme prostitué aux Etats-Unis, par exemple. Il a le corps pour ça, le désir pour ça, l'absence de repères et surtout le déshonneur pour ce faire. L'homme de la souillure et de l'opprobre jusqu'au bout...


Il ne nous reste plus qu'à prendre position; Behlül a aimé Bihter. On le sentait tout au long de l'histoire. Sur sa tombe, il l'a avoué. Il lui a offert une rose. Il a pleuré, oh que oui, la ménagère et les âmes sensibles avec lui. Il voulait se la jouer résipiscent en épousant sa cousine Nihal. Mais il aimait Bihter. La bouche disait non, le corps brûlait. Ca se voyait tellement; quand un homme ferme les yeux à moitié, colle fermement les lèvres, lève le menton et inhale le parfum de la femme qui se tient près de lui, il ne faut surtout pas le déranger; il est en extase. Or à chaque fois que Bihter se cramponnait à lui, il prenait cette posture. Et sa bouche disait non... On avait compris. Il se nettoyait en épousant Nihal.



Il faut donc prendre position. "Behlüliste-Bihteriste" ou "Nihaliste-Adnaniste". Je suis "behlüliste", pour ma part; on n'arrive pas à lui en vouloir. Il a aimé, au fond. Un lâche, d'accord. Mais il a tellement bien interprété l'amour; et respect pour Bihter. Une "pouffiasse" qu'on a envie de respecter, étrangement. On est dérouté. Tout le monde a ses raisons. Dans l'absolu, on est tous "nihaliste-adnaniste"; mais dans l'absolu. C'est la force de l'art, il nous permet d'être dégueulasse sans mouiller la chemise. On s'est défoulé dans la fiction, la pratique d'une telle relation semble encore plus abjecte. "Tu vois au fond, c'est une oeuvre de salut public et quand j'pense que tout le monde appelait le CSA pour interdire la série, pfff"... Alors ? Nihal toujours amoureuse de Behlül ? Elle aussi, ses yeux disent non... Moi je me suis déjà projeté dans cinq ans dans ma p'tite tête et les scénarios se bousculent... "J'imagine, coco, j'imagine, t'énerve pas"...