dimanche 18 juillet 2010

Nécrologie

Encore un qui s'en va. Le "sultanzade" Osman Nami Osmanoğlu. Petit-fils du Sultan-Calife Abdulhamid II, fils de la Sultane Ayşe et d'Ahmed Nami (ancien président syrien). Mort à 92 ans. Il vivait en Turquie depuis 1974. En septembre, c'est son cousin, le chef de la maison impériale, qui rendait l'âme. Şehzade Ertuğrul Osman Efendi.


Un "Beyefendi", il fut. C'est que dans le système ottoman, la titulature est précise : Şehzade veut dire prince. Si vous êtes un homme ayant pour père un Şehzade, vous êtes également Şehzade et on vous nomme Şehzade X Efendi comme Şehzade Ertuğrul Osman Efendi. Si vous êtes fille de Şehzade, vous êtes Sultane c'est-à-dire princesse. Et si vous êtes fils d'une Sultane, vous n'êtes pas Şehzade mais Sultanzade. Et votre appellation complète est Sultanzade X Beyefendi comme le défunt Sultanzade Osman Nami Beyefendi. Si vous êtes fille de Sultane, vous devenez Hanımsultan. Enfin, si vous êtes enfant de Sultanzade ou Hanımsultan, vous n'avez pas de titre. Vous faites partie de la famille ottomane mais pas de la dynastie... Ainsi, Kénizé Mourad qui est la fille de Selma Hanımsultan, la petite-fille de Hatice Sultane et l'arrière-petite-fille du Sultan Murad V, n'est pas une princesse ottomane. C'est une cousine, au plus.

Le Sultanzade Osman Nami Beyefendi a été inhumé hier en présence des hautes autorités de l'Etat, comme le veut désormais la coutume. Et de la population, surtout. Car les Turcs en général, les conservateurs en particulier, ont un profond respect pour la famille. C'est étrange d'ailleurs que les conservateurs prennent la tête du cortège. Car, faut-il le rappeler, la famille ottomane est loi, très loin, de vivre selon les canons de l'islam. C'est un fait, pas un jugement.


D'ailleurs j'ai la faiblesse de croire que c'est parce-qu'elle est déchue qu'elle émeut... En réalité, il y a deux clans dans la famille : ceux qui se sont installés en Occident et ceux qui ont vécu dans les pays arabes. Car après l'exil, ce fut la débandade. Certains membres se sont arrêtés en Bulgarie, d'autres ont continué en Suisse puis en France, une partie a atterri au Liban alors qu'une autre s'envolait aux Etats-Unis. Résultat : on ne parle plus le turc. Correctement en tout cas. Comme il se doit, plus précisément.

Pour ma part, j'ai noté que les membres de la famille qui se sont échoué sur le continent européen sont aussi solennels, aussi figés sinon aussi arrogants (pardon Monseigneur) que les pontifiards des aristocraties européennes. Alors que ceux qui ont grandi dans un espace culturellement plus proche, sont plus terre-à-terre. Sans chichi, sans hiératisme; pas du genre à tenir le menton bien élevé, l'échine bien droite et les lèvres bien collées...


Tiens, les Şehzade père et fils qui avaient participé à une émission de télévision; Orhan Osmanoğlu et son fils Yavuz Osmanoğlu (en haut, à droite, on voit le père du Şehzade Orhan Efendi, Harun Efendi, un exilé oriental comme on l'a compris); il boudait un peu le jeune prince, sa copine venait de le plaquer. "Elle est sotte, pfff ! T'imagines, coucher avec un empire !", "chut ma chère ! Quel langage !", "bah quoi c'est vrai, se faire troncher par le prince Yavuz, c'est comme coïter avec le grand Fatih Sultan Mehmed !","quelle bouche effrontée, vous avez là, ma petite ! Rezil ettin bizi, Allah canını almasın, hala konuşuyor...". Et que dire du prince Orhan Efendi ! On aurait dit une racaille, le torse bien ouvert "à la turque", un langage mal ficelé, une bonhomie trop exagérée... "Tu crois qu'ils mangent avec quinze cuillères et fourchettes, eux ? Qu'ils savent baiser une main ? Ou qu'ils portent des vêtements assortis ?", "bah on dirait pas mais bon, comme on le sait, un roi n'est jamais vulgaire, ses incartades deviennent immédiatement une mode", "ah ouais !", "en plus, ils sont simples, ma petite, ça fait modeste et comment vous dites déjà, ah oui, peuple"...

Il est des gens qui portent bien le titre de noblesse. L'élégance, le raffinement, la délicatesse sont naturels. La Sultane Neslişah, par exemple. C'est une merveille. D'autres donnent l'impression de faire des efforts pour paraître "noble". Du coup, ça ne colle pas. "Des noms ! Des noms ! Des noms !...", "ah non alors !". C'est navrant tout de même d'être réellement noble mais de dégager une attitude de nouveau riche... Il y a donc au final trois catégories de nobles : les naturels, les artificiels et les gueux qui s'assument. A chacun de remplir ses listes...

La famille est donc dispersée. Mais, à ma connaissance, ils sont tous musulmans. Même Kénizé Mourad, élevée par une famille catholique, s'est convertie à la religion de ses ancêtres. C'est qu'elle était, le 10 juillet dernier, à cette même émission de télévision; et comme les Turcs étaient fâchés de devoir écouter une Ottomane parler en anglais, ils ont voulu savoir si elle était au moins musulmane. "Pourquoi elle ne parle pas en turc ?", "bah elle ne sait pas parler la langue", "comment !!! Une Ottomane qui ne parle pas le turc, yazıklar olsun ! Bon bah, je vais éteindre alors", "ce n'est pas de sa faute, la pauvre, pfff, bourrique !", "ok, allez ! Elle est musulmane au moins ?"...

La famille se doit d'être musulmane, en réalité. Désolé mais on ne peut être prince ottoman et être catholique. Car la dynastie appartient au peuple; en famille, ils font ce qu'ils veulent. C'est le chef de la maison impériale, à l'époque Şehzade Ertuğrul Osman Efendi, qui a décrété cela. Pas ouvertement; diplomatiquement. "Ah ah, il était si élégant !". Voici donc les circonstances : un beau jour, le Şehzade, qui vit à New York, reçoit un courrier d'un certain George Alexandre Said-Zammit. Celui-ci se prétend descendant du Şehzade Cem, fils de Mehmed II, mort en exil en Italie. En effet, après la mort de Mehmed II (le Conquérant de Constantinople), deux de ses fils ont provoqué une guerre civile. Le prince Cem s'est exilé en Italie et y est mort en 1495. Son fils, le Şehzade Murad, s'est converti au catholicisme et a été "créé" prince par le pape Alexandre VI. Le Sehzade Murad, petit-fils de Mehmed II, était devenu le prince Pierre... Eh bien, ce cher Georges Alexandre qui est, comme on l'a compris, un descendant du Prince Pierre (la branche chrétienne de la famille ottomane !), demandait à son lointain cousin, le Şehzade Ertuğrul Osman Efendi, de le reconnaître comme faisant partie de la famille. Bien embarrassé, le Şehzade décida de lui répondre ce qui suit : "Ce que vous dites est certainement vrai, nous avons bien un ancêtre commun, mais en acceptant d'être prince du Vatican, mon grand oncle, votre aïeul, a de jure renoncé à son titre de Şehzade. En conséquence, je ne peux vous compter parmi les membres de la dynastie"... Cette règle qu'il inventa sur le champ visait tout simplement à ne pas accepter un renégat au sein de la famille. Il avait avoué au journaliste Murat Bardakçi, avoir trouvé cette pirouette...

Eh bien qu'ils reposent tous en paix, ces grands Messieurs. Votre serviteur, le comte de Tchikolae, duc de Digorie, prince d'Ossétie. Ca l'fait... Ay heyecanlandım...