Dans une étude réalisée en février 2010, Pew Global Attitudes Project montrait que plus de 90 % des Jordaniens, des Egyptiens, des Palestiniens, des Libanais (musulmans et chrétiens) et plus de 70 % des Pakistanais, des Indonésiens et des Turcs avaient une opinion négative sur les juifs. L'opinion défavorable des chrétiens tourne autour de 40 % en Jordanie, Egypte, Palestine, Indonésie mais bizarrement, ce sont les Turcs qui sont en tête de liste (68 %). Comme quoi, la Turquie, héritière de l'empire ottoman, est devenu un pays hypernationaliste, infidèle à l'esprit de son ancêtre. Voilà à quoi on aboutit quand on devient un Etat-Nation à marche forcée...
Les Turcs, les juifs et les chrétiens, comment ils ont pu arriver à se méfier les uns des autres ! Quand j'y pense, tous les Arméniens, tous les Grecs, tous les Caucasiens, tous les émigrés balkaniques, tous les Arabes ont un lien très fort avec les Turcs. La diaspora arménienne, dit-on, mais c'est la diaspora de l'anatolie ! Des "gens de la Turquie" ! Il y a un paquet de gens célèbres qui ont des liens avec la Turquie : les Carasso, les Camondo (famille éteinte à cause de Vichy), Madame la Mère de Sarkozy, Marc Lévy, le maire de Londres (petit-fils d'un ministre ottoman), Balladur, Françoise Giroud, Paul Misraki, Mehmet Öz, Helmut Kohl et sa bru, même Robbie Williams et sa petite-amie. Etc. etc.
On apprend en réalité une chose toute simple : seulement 35 % des Arabes israéliens ont une opinion négative des juifs et 12 % des Libanais ont une opinion négative des chrétiens. Autrement dit, ceux qui vivent ensemble sont les moins hostiles. Car ils se connaissent; ils ne fantasment pas, ils ne rêvent pas, ils ne s'illusionnent pas. C'est la nature humaine : on a peur de ce qu'on ne connait pas. Les cantons suisses qui avaient voté massivement pour l'interdiction des minarets étaient les plus ignares sur l'islam.
Un de ceux qui occupent mon panthéon, Yadh Ben Achour, écrivait : "les civilisations souffrent d'ignorance. L'accélération des modes de communications nous a rendu plus sourds, plus ignorants, plus étrangers les uns aux autres que jamais. L'Europe, par exemple, vit quotidiennement avec l'islam, mais la majorité de ses sujets ignorent l'histoire, les principes, les sensibilités de l'islam, sinon par des clichés faux, incongrus et parfois haineux. Les musulmans d'Europe et d'ailleurs se cloîtrent, quant à eux, dans une autarcie culturelle et religieuse étroite, entêtée, propice au développement de la haine. Proximité sans convivialité : tel est notre présent" (Le rôle des civilisations dans le système international (droit et relations internationales), p. 313).
Quand on ne sait pas pourquoi on déteste quelqu'un, c'est qu'on est malade. En Turquie, par exemple, certains Turcs considèrent les Kurdes comme des ploucs. "Kıro", dit-on; c'est-à-dire "croquant". Les Tcherkesses, et j'en sais quelque chose, se méfient des autres ethnies. Les minorités ethniques vivent déjà dans leur bulle. En France, c'est la même chose; les clichés sur les Arabes, les Noirs, les juifs vont bon train.
Ces deux pays sont pourtant les deux endroits de la planète où le vivre-ensemble est un principe cardinal qui régit la société. Un principe vide de sens. Et inutile. La Fraternité ne se décrète pas. Or elle l'est en France. C'est un qualificatif de la République. Moi la dernière fois que je l'ai croisée, elle s'en prenait aux musulmanes. Elle leur demandait de déchirer leur voile. Au nom du vivre-ensemble. Elle est là ma définition du vivre-ensemble, pour ma part : "Je ne partage pas vos idées, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer". C'est un "daron" qui l'a dit; "eh bien garde-le ton daron, nous, nous sommes rousseauistes, coco ! Nanik"... Une loi va leur imposer de vivre comme les vraies françaises. Et il n'y aura plus de problèmes. Comme on avait fait en 2004. Les députés n'ont pas eu honte d'employer un tel argument : la loi a réglé le problème ! Je me demande vraiment ce qu'il va se passer dans ce pays quand le boisseau commencera à bougeotter...