Les esprits simples ont cette formidable chance de ne pas se soucier de la nuance. Stéphane Hessel a voulu faire du prosélytisme propalestinien, un juif a grondé, on a donc annulé; la République française a voulu rendre hommage à Louis-Ferdinand Céline, un autre juif a froncé les sourcils, on a donc annulé; Leïla Chahid a voulu causer sur Jean Genet, l'administration a eu peur de cette Palestinienne, on a donc annulé. Avec ces prémisses, l'esprit simple tricote et tricote et "après mûre réflexion, et non sous le coup de l'émotion", il en conclut que les juifs contrôlent le pays. Qu'ils ont, en tout cas, l'oreille des hautes instances. Et l'esprit simple en sort indigné, en même temps qu'épaté : pourquoi une telle sollicitude à leur égard ! Finkielkraut l'a compris, lui, s'agissant de l'affaire Céline : "cela va accréditer l'idée que le "lobby juif" fait la pluie et le beau temps en France". Pour ma part, je n'en sais rien. Je ne suis pas un antisémite. Et je crois au hasard.
Le CRIF a beau crié sur tous les toits qu'il était lui-même à la manoeuvre pour amplifier l'agitation dans l'affaire Hessel, moi, je ne crois pas que la direction de l'ENS ait été influencée par lui. Non non, c'est un hasard. D'ailleurs, Raphaël Enthoven, l'ancien beau-fils de BHL et l'ex de Carla Bruni pour ceux qui ne connaîtraient pas cet illustre philosophe, dit vrai : "quand il s'agit des juifs, on ne croit plus au hasard. Les coïncidences sont toujours des collusions". J'y crois, moi, monsieur. Vallahi ve billahi. Et quand Serge Klarsfeld ordonne la censure de Céline et que la République obtempère dans les quelques heures qui suivent, je crois toujours au hasard. Oui Monsieur ! Le ministre de la culture, Monsieur Mitterrand, a décidé tout seul, comme un grand. C'est le hasard. Et ce qu'il arrive à Leïla Chahid n'a rien à voir avec une quelconque pression du lobby juif; au plus, un malentendu. Un fonctionnaire de la mairie de Marseille s'est hasardé à ne pas comprendre les instructions de ses supérieurs. "Examinez les mesures de sécurité" s'est, sans doute, transformé dans sa tête en "annulez la rencontre pour cause de sécurité". Encore le hasard, donc.
Non, c'est qu'il faut être sérieux. L'ENS l'a dit : question de sécurité. La mairie de Marseille, aussi : question de sécurité. On attend le motif du ministre; peut-être, question d'ordre public. La liberté d'expression n'est pas absolue, jeannot. On peut la restreindre. L'ENS et la mairie de Marseille n'ont pas les moyens d'assurer la sécurité de Monsieur Hessel et de Madame Chahid. Car ces deux personnalités sont menacées de mort par des organisations occultes, comme on le sait. Elles sont obligées de vivre cachées. Et on pousse le nonagénaire Hessel à changer de logement tous les deux jours; ah ouais, hein, ça rigole pas. Madame Chahid, elle, est certes ambassadrice, mais on ne sait pas comment faire pour la protéger. Car la France a beau proposer à la Tunisie le professionnalisme de ses forces de sécurité, elle est incapable de déployer ce professionnalisme en France. On ne sait pas, que veux-tu. C'est une question technique, rien d'autre. Que personne ne se mette à élaborer des théories de complot !
Voilà donc pour le discours officiel. Plus sérieusement, on parle de censure sous la pression du lobby pro-israélien. Ce qui, en soit, n'est pas absurde. Les lobbys existent et doivent exister. Ce sont les autorités qui ne doivent pas perdre la mesure dans l'appréciation. Dit en passant, Hessel, un juif, allait faire de l'anti-israélisme donc de l'antisémitisme. Chahid est une Palestinienne donc antisémite par essence. Céline, un antisémite notoire. Il faut donc interdire. Moi je préfère l'approche américaine. Interdire à quelqu'un d'exprimer une idée, une opinion, une bassesse, une bêtise, n'est pas une option, dans ma petite tête. Certes l'antisémitisme est une "passion" et non une "opinion" comme le disait Sartre, mais je pense qu'il doit également bénéficier de la liberté d'expression. On doit pouvoir dire à visage découvert qu'on n'apprécie pas forcément le juif, le musulman (affaire Redeker), le gay (affaire Vanneste), ou le Noir et l'Arabe (affaire Zemmour). Car celui qui a cette "passion" continue à l'avoir même si la société refuse de l'entendre ou le jette en prison pour l'avoir dit entre deux portes. Le meilleur moyen de traiter cette passion, c'est de la dégommer par l'argumentation contradictoire et non de laisser le type, dans son coin, la ruminer toute sa vie. C'est l'école américaine : tout peut être dit sauf l'injure, la diffamation ou l'incitation au crime. Et exprimer sa "pensée" est une chose, inciter à la haine ou à la discrimination, en est une autre. Nous avons cette manie de confondre les deux.
Tiens, par exemple, s'agissant des Assises internationales sur l'islamisation, la France avait décidé d'être sur le mode américain. A raison. Aucun directeur d'école, aucun ministre, aucun maire n'a, à ma connaissance, tenté d'interdire. Et ils ont eu raison; je suis un incorrigible "américain" : "La règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique (...), ou religieuse (...) voire raciste (...) n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions (...); en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent" (Elisabeth Zoller, "Les rapports entre les Églises et les États aux Etats-Unis : le modèle américain de pluralisme religieux égalitaire" in Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l'homme, Gérard Gonzalez (dir.), p. 45).
Censure donc pour Hessel, Chahid et Céline. Il faut saluer Monsieur Redeker, ici. On ne l'entend plus mais lorsqu'il s'agissait de dire des choses sur les musulmans, il défendait vaillamment la liberté d'expression : "Les réactions suscitées par l’analyse de Benoît XVI sur l’islam et la violence s’inscrivent dans la tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer". Ah oui alors ! On l'avait remarqué... Monsieur Hessel n'est pas à sa première persécution. Ce grand Monsieur a été taxé de "provocation publique à la discrimination" ! Raison : défendre le mouvement boycott-désinvestissement-sanctions. Et aujourd'hui, Prasquier voit en lui un homme qui "a fait de la détestation d'Israël une véritable obsession". Quelle arrogance ! C'est la méthode classique : mobiliser de lourdes répliques pour pouvoir disqualifier son interlocuteur. Certains parlent de "justice", de "droit international", d'autres s'enlacent aux "détestation", "haine", "antisémite", "délégitimisation d'Israël". Des mots qui interrompent ipso facto le débat puisque l'interlocuteur est censé avoir peur d'être considéré comme antisémite, il va donc atténuer ses critiques voire s'excuser. Certains rêvent de détruire Israël comme d'autres rêvent de faire capoter le projet d'un État palestinien. Lieberman rêvait de bombarder Gaza. Un ancien premier ministre disait vouloir voir Gaza "sombrer dans la mer"...
Censure donc pour Hessel, Chahid et Céline. Il faut saluer Monsieur Redeker, ici. On ne l'entend plus mais lorsqu'il s'agissait de dire des choses sur les musulmans, il défendait vaillamment la liberté d'expression : "Les réactions suscitées par l’analyse de Benoît XVI sur l’islam et la violence s’inscrivent dans la tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer". Ah oui alors ! On l'avait remarqué... Monsieur Hessel n'est pas à sa première persécution. Ce grand Monsieur a été taxé de "provocation publique à la discrimination" ! Raison : défendre le mouvement boycott-désinvestissement-sanctions. Et aujourd'hui, Prasquier voit en lui un homme qui "a fait de la détestation d'Israël une véritable obsession". Quelle arrogance ! C'est la méthode classique : mobiliser de lourdes répliques pour pouvoir disqualifier son interlocuteur. Certains parlent de "justice", de "droit international", d'autres s'enlacent aux "détestation", "haine", "antisémite", "délégitimisation d'Israël". Des mots qui interrompent ipso facto le débat puisque l'interlocuteur est censé avoir peur d'être considéré comme antisémite, il va donc atténuer ses critiques voire s'excuser. Certains rêvent de détruire Israël comme d'autres rêvent de faire capoter le projet d'un État palestinien. Lieberman rêvait de bombarder Gaza. Un ancien premier ministre disait vouloir voir Gaza "sombrer dans la mer"...
Céline est un immense écrivain. Celui qui m'a "déniaisé" sur le plan du style littéraire. Et un antisémite entêté. Philippe Sollers l'a bien résumé : "il n'y a qu'à lui tirer dessus à boulets rouges, mais pas demander une censure au président de la République, enfin !" (le Sieur Klarsfeld ayant "menacé" de monter l'affaire à l'Elysée si le ministre de la culture n'obtempérait pas)... Que fait-on de Wagner, par exemple ? Un juif nous le dit : "Si les survivants de la Shoah refusent d'entendre une note de Wagner, je respecte ce refus absolument. Mais pourquoi ceux qui le haïssent devraient-ils l'interdire à ceux qui veulent l'entendre, et qui heureusement sont assez nombreux ?", "il avait professé un antisémitisme nauséabond mais, je regrette de devoir le rappeler, plutôt banal à l'époque", "lors du centenaire de la mort de Wagner en 1983, les principaux spectacles étaient dirigés par Solti, Levine et moi-même : tous juifs". Ainsi parlait Daniel Barenboim (Diapason, n° 577, février 2010, pp. 23-24; dit en passant, à ne pas manquer). Comme quoi l'antisémitisme ne disqualifie pas le talent et n'appelle pas automatiquement ostracisme...
Les gens ont le droit d'être propalestinien; le CRIF est pro-israélien, tant mieux pour lui. Organiser une rencontre qu'avec des "propalestiniens" n'a rien de choquant, en soi. Depuis quand, doit-on installer des "contradicteurs" dans toutes les réunions de France ? Comme s'il y avait des contradicteurs aux "Assises internationales sur l'islamisation"... C'est absurde comme réflexe. Raphaël Enthoven, dans l'espoir d'épauler les censeurs, déçoit, cette fois-ci : "Si censure il y a, elle est uniquement dans l'absence de contradiction à la tribune d'un "débat", dans l'absence d'altérité dans une "rencontre"". On aurait honte d'écrire un argument aussi boiteux; on sent bien qu'il est tiré par les cheveux. Comme s'il faut nommer, par décret du président de la République, pris en conseil des ministres s'il vous plaît, des "contradicteurs" à chaque rencontre-débat sur Israël. Monsieur Enthoven s'était-il ému de l'absence de contradicteurs aux Assises internationales sur l'islamisation ? S'il ne rugit que lorsque Israël est en cause, n'a-t-il pas honte ? Y a-t-il une hiérarchie dans l'indignation ?
Car on part de l'idée que ces "propalestiniens" vont sûrement répandre le venin anti-israélien et, corrélativement, antisémite. Il faudrait interdire la diffusion du journal Haaretz, tant qu'à faire. Un mandat d'arrêt contre Gideon Levy devrait être délivré. On rêve; la liberté de parole qui existe en Israël même est refusée en France !
Le véritable scandale se trouve ailleurs. Il se niche dans cette allusion subreptice du président du CRIF : "La résolution du Conseil de sécurité de novembre 1967, dans sa version anglaise de référence, autorise des modifications par rapport aux lignes de cessez-le-feu de 1948". Le vieil argument qu'on devrait avoir honte de sortir au XXIè siècle. "Dans sa version anglaise". Car comme on le sait, la résolution 242 de 1967 fait référence au retrait "from occupied territories" en anglais et "des territoires occupés" en français. Une subtilité pour les esprits malins. "From occupied territories" prend, pour eux, le sens "de territoires occupés", c'est-à-dire pas de tous les territoires occupés mais de certains... C'est avec des gens comme ça que le processus de paix fait semblant d'avancer. Car la sincérité n'y est pas. Le représentant des juifs de France le dit clairement. Et personne ne s'en indigne. Elle est là, la "délégitimisation de l'Etat palestinien". Un autre fléau qu'il faut combattre avec autant d'énergie que celui de la délégitimisation d'Israël. Quand le hasard se décidera à devenir équitable, un jour...