Il l'avait annoncé, pourtant : "femme, argent, judéité". Les trois lances que ses adversaires pourraient pointer en sa direction. Il n'avait sans doute pas imaginé que les agaceries seraient couplées aux deux autres. La totale. Une chambre à 3 000 dollars la nuit et une femme "musulmane pratiquante". Le seigneur contre la domestique, le prédateur contre la gazelle et le juif contre la musulmane. Il ne manquerait plus qu'al-Qaida prît la défense de la "soeur musulmane" comme elle aime le faire pour les "soeurs coptes converties" mais séquestrées dans des monastères. Malheureusement, on veut en faire un événement religieux, les insinuations se font de plus en plus libres : les juifs derrière lui, les musulmans derrière elle...
La justice nous apprendra la vérité ou plus précisément la version définitive qui fera autorité. On sait seulement que là-bas, on parle d' "auteur présumé" (d'où le "perp walk") et ici, d' "innocent présumé". Et on admire au passage le politiquement correct des déclarations du genre "on respecte la présomption d'innocence de DSK mais également la victime présumée". Personne ne relevant que la deuxième partie de la phrase est en totale contradiction avec la première... Il faut sans doute le rappeler : à ce stade, il y a une accusatrice et un accusé, lui, présumé innocent ! C'est la procédure judiciaire qui confirmera ou renversera la donne et non la légende polissonne de l'un ni le portrait poignant de l'autre.
Nous voilà en tout cas, nous Français, accusés d'un penchant cryptique. Admirez la critique : "pourquoi vous ne déballez pas la vie privée des hommes politiques ?", "pourquoi les journalistes ne lancent-ils pas des manchettes enflammées ?", "pourquoi vous ne révélez rien ?", "pourquoi vous ne cassez pas du politique ?", "pourquoi ceci ?", "pourquoi cela ?". On a envie de répondre, "mais parce-qu'on est bien élevés, ma pauvre biche" ! En France, nous sommes plus sereins, car comme le dit Madame Strauss-Kahn, "ces choses peuvent arriver dans la vie de tous les couples" (avec mention spéciale pour les hommes)... Chez nous, heureusement, les galipettes des hommes connus n'est pas un "débat d'intérêt général". On dit, pardon, "vie privée"...
Certains s'évertuent à présenter le peuple français comme un peuple dépravé qui accepte toutes sortes de coucheries et d'infidélités. Du jour au lendemain, la France qui a offert à la littérature mondiale le "french kiss" et le romantisme à la française devient l'incarnation du stupre ! D'ailleurs, ne dirait-on pas "relation non exclusive" pour la bonne vieille "aventure extraconjugale" ! Et vas-y pour passer d'une susceptibilité strictement juridique à une question largement morale. Il n'y a qu'à lire les journaux, on ne parle plus que de cela. Notre "présumé innocent" fait jaser sur nos moeurs; le bras de fer juridique est devenu un crêpage de chignons...
Et si seulement ils étaient vraiment ce qu'ils essaient de nous vendre, les Américains ! Des puritains, soi-disant. Avec un président et ses séances de fellation, un juge à la Cour suprême et son passé de harceleur, on devrait déjà commencer à gerber. Mais on ne voudrait surtout pas oublier le brave Bob Livingston qui fut un des fervents pourchasseurs de Bill avant de démissionner pour, précisément, adultère, ou le dégueulasse John Edwards qui trompait sa femme qui, elle, ferraillait contre un cancer, ou encore Eliot Spitzer, le grand Monsieur qui était célèbre pour sa lutte sans merci contre la prostitution jusqu'à ce qu'un jour on apprenne que..., vous m'avez compris. Ils sont puritains, donc. C'est bien. En France, on préfère rester olé olé si c'est cela le puritanisme.
Même par rapport à la Malaisie, on fait pâle figure, c'est dire. On s'en souvient; on avait déballé la vie privée d'Anwar Ibrahim. Une fois, il était condamné pour sodomie, une autre fois, on le chopait dans les bras d'une prostituée. Tout cela en Malaisie, s'il-vous-plaît. En France, nous eûmes au plus, une histoire de viol mais dans les marges. Chez Phillipe de Villiers. Un de ses fils accusait son frère de viol. Le père soutenait, si j'ai bien compris, l'accusé; histoire sans doute d'étouffer et de ne pas embraser. Depuis, il a disparu du paysage... En Turquie aussi, le canonique Deniz Baykal, l'éternel chef des kémalistes avait été mis hors jeu par une cassette. Depuis, il a démissionné et fait profil bas.
Certes, on s'intéresse tous au nid des autres. La presse "people" vend bien. Les femmes veulent connaître leurs possibles concurrentes, les mâles veulent savoir les femmes que leurs pairs sexuels ont "serrées". Mais on a, au moins, la décence de considérer que tout cela fait partie de la vie privée. Et nous avons l'heureuse surprise de constater que notre libéralisme social n'est pas que théorique. L'indignation ne relève pas d'un quelconque ordre moral mais de la conscience de chacun. Qui sont les véritables individualistes dans cette affaire ? Cocorico...