Les coquineries des députés turcs continuent de provoquer des dégâts. On croit vraiment rêver. L'an dernier, c'était Deniz Baykal, la figure de proue des kémalistes, qui disparaissait du devant de la scène politique. Aujourd'hui, ce sont les caciques du parti nationaliste, le MHP, qui démissionnent à tour de bras. Le secrétaire général Cihan Paçacı (un des rares nationalistes qui trouvaient grâce à mes yeux); Mehmet Ekici, le député de Yozgat (ma circonscription en Turquie) et le retors en chef du parti, l'ex-diplomate Deniz Bölükbaşı (et surtout fils d'Osman Bölükbaşı, une légende du nationalisme turc).
"L'immoralité" des uns se mêle à la mesquinerie d'autres. Une "cassette" est diffusée sur internet par on ne sait trop qui, l'Autorité des télécommunications bloque immédiatement l'accès, des zigotos affirment avoir contourné l'interdiction et visionné les vidéos et les députés concernés dénient les accusations d'adultère en même temps qu'ils démissionnent. Tintamarresque. Le journaliste Oray Eğin, un gay qui aurait lui-même fait l'objet d'un chantage pour une cassette compromettante, a même poussé l'exercice jusqu'à faire une analyse sociologique de la sexualité de nos élus. Ainsi, ils ne seraient pas très performants, ne sachant ni caresser ni rouler des pelles ni "consommer". Ce qui, selon lui, serait très dommageable pour l'avenir de notre pays.
Eh bien, il faut le reconnaître, il a bien raison. Il est bon de le savoir, les décideurs de demain, les jeunes d'aujourd'hui, sont tellement cernés par des interdictions et des tabous qu'ils en oublient l'essence même de la sexualité : l'épanouissement. Celle-ci devient alors un accouplement mécanique à remplir dans les bras de l'autre certes, mais si possible chacun dans son coin... Une jeunesse qui ne sait pas faire l'amour, disent les spécialistes, est une génération perdue dans le gouvernement d'un pays. Frustration entraîne renfermement qui cause lui-même irritation, éruption et finalement violence. Le romantisme, chers amis, une panacée tangible ! Merci Messieurs les députés d'avoir donné l'occasion de dispenser la leçon...
Le député Ekici (dont le nom signifie, ironie de l'histoire, "planteur", "semeur" !) a adopté une autre ligne de défense; "c'est ma seconde femme", a-t-il tout bonnement lâché ! Eh oui, une spécialité turque. Un mariage civil avec l'une, un mariage religieux avec une ou plusieurs autres (quatre, au plus). Un argument qui, ipso facto, l'absout. Car la "population profonde" tolère la polygynie mais pas l'adultère ! Ça ne rigole pas... Or quelle est la différence entre ces deux états ? Rien, si ce n'est la prière sacramentelle devant un imam. C'est bien la raison pour laquelle Sibel Üresin, une conseillère conjugale et familiale d'un quartier d'Istanbul qui a profité de l'occasion pour demander la légalisation de la polygynie, a raison. "C'est le meilleur moyen de protéger les coépouses et les maîtresses", a-t-elle dit. Ou éructé, pour certains. Ceux qui s'entêtent à ne voir dans cette proposition qu'une "résurgence chariatiste".
On s'en souvient, dans une affaire portée devant la Cour européenne, une femme turque qui invoquait son mariage religieux pour obtenir les droits sociaux (pension de réversion et sécurité sociale) de son "mari" défunt avait été déboutée (affaire Şerife Yiğit, 12/11/2010). Elle avait pourtant six enfants avec cet homme, devenu juridiquement un étranger du jour au lendemain. La Cour européenne avait donné raison au gouvernement qui invoquait, dans sa défense, le principe de laïcité et la protection de la femme. Le gouvernement avait attiré l’attention sur le contexte turc : « Si le mariage religieux devait être considéré comme légal, il faudrait en reconnaître toutes les conséquences religieuses, par exemple le fait qu'un homme peut épouser quatre femmes. Le seul moyen d'éviter cela est de promouvoir le mariage civil et de ne pas attacher de droits au statut du mariage religieux » (§ 62). La Cour s'était laissé convaincre et avait présenté le mariage religieux comme « une tradition du mariage qui place la femme dans une situation nettement désavantageuse, voire dans une situation de dépendance et d'infériorité, par rapport à l'homme » (§ 81).
On s'en souvient, dans une affaire portée devant la Cour européenne, une femme turque qui invoquait son mariage religieux pour obtenir les droits sociaux (pension de réversion et sécurité sociale) de son "mari" défunt avait été déboutée (affaire Şerife Yiğit, 12/11/2010). Elle avait pourtant six enfants avec cet homme, devenu juridiquement un étranger du jour au lendemain. La Cour européenne avait donné raison au gouvernement qui invoquait, dans sa défense, le principe de laïcité et la protection de la femme. Le gouvernement avait attiré l’attention sur le contexte turc : « Si le mariage religieux devait être considéré comme légal, il faudrait en reconnaître toutes les conséquences religieuses, par exemple le fait qu'un homme peut épouser quatre femmes. Le seul moyen d'éviter cela est de promouvoir le mariage civil et de ne pas attacher de droits au statut du mariage religieux » (§ 62). La Cour s'était laissé convaincre et avait présenté le mariage religieux comme « une tradition du mariage qui place la femme dans une situation nettement désavantageuse, voire dans une situation de dépendance et d'infériorité, par rapport à l'homme » (§ 81).
La décision avait été rendue à l’unanimité des 17 juges mais deux juges avaient émis une opinion concordante pour préciser leurs points de vue. Ainsi, le juge grec Rozakis releva que « (…) compte tenu des nouvelles réalités sociales qui se dessinent peu à peu dans l'Europe d'aujourd'hui, se manifestant par un accroissement progressif du nombre de relations stables hors mariage et remplaçant l'institution traditionnelle du mariage sans nécessairement saper la structure de la vie familiale, je me demande si la Cour ne devrait pas commencer à revoir sa position quant à la distinction justifiable qu'elle admet dans certains domaines entre le mariage, d'un côté, et d'autres formes de vie familiale, de l'autre, même lorsqu'il s'agit de droits de sécurité sociale et de droits analogues ». Le juge russe Kovler se montra, quant à lui, particulièrement critique : « ce que je ne peux pas accepter dans le texte de l'arrêt, ce sont les jugements de la Cour sur le mariage en vertu du droit islamique. Je pense qu'il aurait été plus sage de s'abstenir de toute appréciation de la complexité des normes du mariage islamique, plutôt que d'en donner une image réductrice et par excellence subjective (…) Le langage des politiciens et des ONG n'est pas toujours approprié pour des textes adoptés par une instance judiciaire internationale »...
Pour ceux qui savent encore réfléchir sereinement, le paradoxe apparaît comme le nez au milieu de la figure : l’imam réputé Ali Riza Demircan avait déclaré à la suite de cet arrêt : « cette décision viserait à protéger les femmes ; il faudrait m’expliquer comment on protège Şerife Yiğit en lui refusant le droit à la pension et le droit à la sécurité sociale ! ». Dans un pays où le mariage religieux est une réalité dans certaines régions, il est légitime de s’interroger sur la pertinence d’une telle politique. Au nom, précisément, de la protection des femmes.
Il faut surtout se débarrasser de cette manie qu'a l'Etat de vouloir définir l'ordre familial qui doit s'imposer à tous. A partir du moment où tous les protagonistes sont d'accord, la polygamie est légitime. Aussi bien la polyandrie que la polygynie. Et je ne dis pas cela en guise d'expédient pour faire mieux passer la pilule de la polygynie au nom de l'islam (je suis de ceux qui pensent que le verset sur la polygynie est, aujourd'hui, abrogé puisque sa raison d'être n'existe plus) mais parce-que je le pense profondément. Il ne faut pas avoir peur du dérèglement moral pour la simple et bonne raison que le concept même de morale est caduc à mes yeux. La polygamie n'est pas une question qui concerne la société ou l'Etat mais seulement le couple. L'Etat n'a pas à promouvoir un modèle familial, il doit s'adapter aux différents modes de vie et envisager juridiquement toutes les situations possibles. Car c'est l'individu qui prime; l'Etat n'est qu'un instrument de satisfaction des orientations du peuple, rien d'autre.
Il faut surtout se débarrasser de cette manie qu'a l'Etat de vouloir définir l'ordre familial qui doit s'imposer à tous. A partir du moment où tous les protagonistes sont d'accord, la polygamie est légitime. Aussi bien la polyandrie que la polygynie. Et je ne dis pas cela en guise d'expédient pour faire mieux passer la pilule de la polygynie au nom de l'islam (je suis de ceux qui pensent que le verset sur la polygynie est, aujourd'hui, abrogé puisque sa raison d'être n'existe plus) mais parce-que je le pense profondément. Il ne faut pas avoir peur du dérèglement moral pour la simple et bonne raison que le concept même de morale est caduc à mes yeux. La polygamie n'est pas une question qui concerne la société ou l'Etat mais seulement le couple. L'Etat n'a pas à promouvoir un modèle familial, il doit s'adapter aux différents modes de vie et envisager juridiquement toutes les situations possibles. Car c'est l'individu qui prime; l'Etat n'est qu'un instrument de satisfaction des orientations du peuple, rien d'autre.
Le penchant polygamique n'ayant pas vocation à disparaître, il est tout bonnement démagogique (et comique) de vouloir lutter contre. C'est bien la raison pour laquelle l'adultère n'est plus, en France, un délit et n'est même plus une cause péremptoire de divorce. Il faut en prendre acte et agencer le droit. C'est simple : pourquoi l'Etat se mêle du choix des individus ? Le libéralisme nous l'apprend : les histoires en dessous de la ceinture des uns, les chaînes de mariages des autres, peu nous en chaut. Il suffit seulement de se débarrasser des habitudes de pensée et des pesanteurs culturelles et morales. A chacun son système de valeurs et son éthique. Amoralisme, dit-on, je crois. Une bonne philosophie, quand j'y pense...