jeudi 12 mai 2011

Parangon

"Gavés, m'a dit un ami, nous sommes gavés de ce type !". Et moi de ronchonner, en turc évidemment : "hop dedik !". Un coup de boule ou une volée de gnons, me demandais-je. Être "gavé" de François Mitterrand ! Quelle ineptie ! Quelle nigauderie ! Quelle ânerie, au fond ! D'accord France 2 avait commencé à 20h40 pour finir vers 1 heure du matin et d'autres chaînes s'étaient également attardées, les gazettes avaient rappelé des choses, les chroniqueurs avaient rabâché d'autres choses. Mais de là à être "gavé". Comment un cerveau peut-il se lasser de Mitterrand, un des plus beaux romans de la littérature mondiale ? Je ne saisis point...


Les âmes éthérées le savent, la République encorsète, la Monarchie enversaille. Tout compte fait, je crois qu'il faudrait que je m'installe au Royaume-Uni. Car apporter la monarchie en France, c'est impossible. Mieux vaut aller là où il y a déjà une Reine, des princes, des ducs, des comtes, des barons, des palais, des carrosses et des laquais. Tout cela nous permet, à nous, "vile multitude", de rêver. En France, chômage, laïcité, islam, immigration, Guéant, football, Noirs, Rebeus, etc., ça insupporte. Toujours les mêmes concepts, les mêmes déchirements. Nous sommes un pays coincé. Là-bas, une roturière s'encaprice d'un noble et le tour est joué. Ah oui alors ! Dans la vie, il faut être Roi ou Pape. Plus on restreint le collège électoral, plus le prétendant a de la magie. A côté de ces deux souverains, un président de la République élu par le peuple sonne trop ringard.


Mais. On connaît l'exception; la seule : François Mitterrand. Le dernier Roi de France. Homme de gauche, sans doute. En tout cas, statue de marbre; l'incarnation même de celui qui peut et qui doit être le "leader" d'un pays comme la France. Charisme, stature, visage. Distant, imposant, magistral, impérial. On ne devient pas chef par hasard. L'expression du visage, l'allure du corps et la dignité de l'âme sont innées. Marguerite Duras le disait si bien : "Je crois qu'on est pauvre de naissance. Même si je suis riche un jour je resterais avec une sale mentalité de pauvre, un corps, un visage de pauvre, toute ma vie j'aurais l'air comme ça" (L'Amant de la Chine du Nord).





Avoir un physique de chef, c'est sûrement cela. Et c'est ce qui manque en France. Aujourd'hui, il faut faire jeune, gigoter, rire à gorge déployée, étaler son intimité, tutoyer, tapoter des épaules. L'actuel, par exemple. "Il restait secoué en continu par des nervosités. Qui l'a vu fixe et arrêté ? Il ne bougeait que par ressorts (...). Il marchait des épaules, avec une façon personnelle de se dévisser le cou" (Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas Ier)... On avait même eu droit à un ministre de l'éducation qui vantait le langage mal ficelé du Président; ça faisait "peuple" !


Alors que lui ! Il écrivait et surtout parlait un français exceptionnel. Or les deux registres ne se charpentent si bien que très rarement. Un bon écrivain n'est pas forcément un bon orateur. Et un bon parleur n'est pas naturellement un bon gendelettre. Lui l'était. Comme de Gaulle, cela dit. Deux des pontes de la langue française. Admirez la réponse que doit lâcher la réalisatrice embêtée par un Mitterrand qui veut savoir pourquoi elle emploie le mot anglais "ok" : "parce-que j'ai tort monsieur le Président"...



Tout le monde lui courut sus, évidemment. C'est qu'il avait une personnalité assez "spé" comme dirait un potache. On lit : "Il a toujours compartimenté son entourage pour ne pas en dépendre. Aucun de ses collaborateurs n'a jamais eu la certitude d'être le seul à traiter une question" (Pierre Péan, Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, p. 181). "Il y avait chez François Mitterrand une disposition plus affirmée que chez d'autres à adapter les moyens aux fins" (Claude Gubler, Le grand secret, p. 115); "avec François Mitterrand, on ne peut avoir de certitudes. Il pouvait confier à une lointaine relation ce qu'il cachait à ses proches" (p. 167); "la gratitude, un sentiment qu'il éprouva rarement et qu'il n'exprima jamais" (p. 185). "Il était d'un commerce difficile. Dans certaines circonstances, je n'ai jamais vu plus casse-pieds. Le pouvoir absolu doit faire tourner la tête. Outre le mystère qu'il cultivait autour de sa personne, cette façon de brouiller les pistes, ses réactions imprévisibles qui y contribuaient, la part mystérieuse de l'être humain, autrement mystérieuse que le trouble voulu, était chez lui beaucoup plus présente et palpable que chez d'autres" (Daniel Gamba, Interlocuteur privilégié, pp. 154-155). "Mitterrand est passé maître dans l'utilisation des structures pour conquérir le pouvoir réel" (Pierre Péan, Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947, p. 411).



Eh bien oui ! Les naïfs croient que le peuple veut un Président qui lui ressemble. Archi-faux. Il faut un piédestal. Une physionomie. Le PS en est toujours au stade des éléphants, lions, rossards, caméléons. L'UMP essaie de nous vendre un Président proche des gens. D'autres font je ne sais trop quoi. Et au final, aucun "pharaon" n'émerge. Alors, on en profite pour reglisser : "Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, connaissez-vous plus bel alexandrin de la poésie politique française ?".