mercredi 9 novembre 2011

"Ô Abraham ! Tu as ajouté foi à la vision..." (37; 105)

Le cerveau rempli de sermons et d'objurgations, les croyants s'attelèrent à la tâche; égorgèrent un animal au nom de Dieu. Qui un mouton, qui une vache, qui un chameau. Allah leur l'aurait imposé. Lorsque le Seigneur des mondes décrète, les croyants agissent avec entrain. Car ils L'adorent et il est établi qu'on obtempère toujours aux désirs, a fortiori aux ordres, de l'être aimé.

Dieu dans le coeur, du sang dans les mains, des calculs dans la tête, chaque amoureux choisit donc le "réensemencement". Le slogan des jours "consacrés". Le motto du Sacrifice. Le mot adulé de tous les hommes de religion. Il devait sacrifier une bête pour se rapprocher de son Créateur, Lui soumettre ses formules de soumission. L'imam fut prompt à déclamer sa prose des "jours sérieux", il réclama des "têtes", il fit des promesses au nom de Dieu, il harangua, il demanda des sacrifices. Tête baissée, le croyant écoute : "C'est pile le moment de sacrifier ses travers, ses prurits les plus dissolus, d'aspirer le souffle divin et de s'amender !".

Sa femme lui avait bien remis les coupants, les sacs elle les garda. Le mâle dut se contenter d'aller poireauter à la porte de l'abattoir. Les plus chanceux attendirent au pas de leur portail, on se chargeait de leur apporter leur dépouille. Les darons endossèrent et revinrent au foyer; ils dépecèrent, désossèrent et s'en allèrent méditer on ne sait trop quoi, ailleurs. Ce fut le tour des daronnes. Avec leurs bedaines à couper le souffle qui s'affaissaient et bondissaient dans les collines de viande, elles se mirent à décortiquer.

Les bras et les yeux; les deux organes qui devaient travailler ce jour-là. Vêtues de guenilles pour l'occasion, elles se confièrent des tâches; les plus frêles gravitèrent comme elles pouvaient, histoire d'exposer un minimum d'agitation, les plus expérimentées arrangèrent leurs compas dans l'oeil. Elles se mirent en branle, des coutelas, des haches, des couteaux circulaient. Les plus audacieuses lâchèrent de temps à autre, des expressions toutes faites, des discussions mille fois résolues sur la religion et l'art de sacrifier. Les mains étant à l'oeuvre, personne n'ouvrit les oreilles. Les yeux suivaient de près le mouvement des abats, des tripes que tout le monde refilait à sa voisine. L'accent de l'une se brisait sur l'incompréhension de l'autre, les timbres étaient enjoués, une hilarité se diffusait.

Les mères furent ravies, au bout du compte, de stocker des kilos de viande pour un bon moment; celles qui n'avaient jamais réfléchi à quoi que ce soit de grave dans la vie, firent leur devoir, "faire tourner" la maison, servir la maisonnée. Pendant quatre heures, tout fut pesé, adjugé. On rit à gorge déployée. On goûta. Et chacune se pourlécha les babines, les nécessiteux ne couraient pas les rues en France, la part qui devait revenir à chaque famille s'en trouvait ainsi gonflée. Les femmes ont cette aisance par rapport aux hommes, elles savent se quereller en douceur. C'est donc à elles qu'il incombe de faire les rudes calculs de parts. Tant de kilos pour le bifteck, tant d'autres pour les côtelettes, le reste au hachage.

Nous remplîmes ce que nous avions à remplir; les assiettes, les réfrigérateurs, les estomacs. Et la journée se termina ainsi, un verre de thé dans la main, un succulent baklava dans la bouche, une série télévisée sous les yeux. Nous nous étions sacrifiés toute une journée pour Dieu, il fallait maintenant se reposer. Comme le disait le Très-Haut, "ce fut là une bien rude épreuve" (37; 106). La conscience tranquille, nous rangeâmes les saignoirs; Dieu devait certainement être content devant ce formidable fourmillement, eh ben nous aussi, la charcuterie était bonne et le prix de revient du kilo de viande assez avantageux...