vendredi 21 novembre 2008

Misère que misère !

La perspective des élections révèle toujours des bizarreries; les politiciens accordent alors des exceptions à leurs grands principes, font des déclarations attrappe-tout si bien que le citoyen, déjà empêtré dans les prospectus-fleuves, n'arrive plus à faire un choix. C'est sans doute un des rares moments où les partis politiques défenestrent certains pans de leurs idéologies.


Deniz Baykal, le président du CHP (parti officiellement de gauche), nous a, encore une fois, fait montre d'une élasticité politique digne d'être enseignée dans les Instituts d'études politiques; il a agrafé la rosette du Parti aux nouveaux adhérents; rien d'extraordinaire, même si de nos jours, les gens ne se bousculent pas trop. Il s'agissait, en l'occurence, de femmes voilées et mieux encore (ou pis encore), de femmes portant ce que l'on appelle le "çarşaf" c'est-à-dire le voile intégral avec la seule ouverture au niveau des yeux ! Le CHP, le parti qui s'est démené pour faire annuler l'autorisation du port du foulard dans les universités, le parti qui boycotte les soirées au palais présidentiel parce-que la Première Dame est précisément voilée, ce parti, delta historique des laïcistes, a ouvert ses adhésions aux femmes de cet acabit.


Canan Arıtman, une députée de ce parti, avait même osé : "mes chères soeurs, enlevez vos voiles et libérez-vous !". Une autre, Nur Serter, ancienne vice-présidente de la prestigieuse université d'Istanbul, avait également dit des choses : "le voile marginalise la femme, il la refoule"...


Bien sûr, il faut tempérer l'événement; à un journaliste qui lui demandait s'il allait cesser de s'opposer aux voilées dans les campus, il a rétorqué avec la célérité d'un idéologue pris en défaut : "ah ça, coco, jamais"... Il faut donc se pencher sur les subtilités; selon sa classification, il y aurait donc des femmes en "çarşaf" qui seraient simplement conservatrices mais pas réactionnaires. Parmi celles-ci, il y aurait celles qui veulent porter leurs voiles dans les universités; la réponse est alors claire : NON. Pas de voile dans les "nids du savoir et de la science". "Nous acceptons toutes les pauvres d'esprit; seules elles, peuvent se voiler"... Voilà donc le message en substance. Bienvenue aux "techniciennes de surface", aux "paysannes", aux "ouvrières". Il les appelle "mutaassıp"; bien sûr, Baykal connaît les mots, c'est sans doute l'un des plus doués parmi les hommes politiques. Mais les dictionnaires ne mentent pas quand même : mutaassıp = borné, fanatique, obtus. Chassez le naturel, il revient au galop...


D'ailleurs, les contestations au sein du parti commencent à poindre; "si elles entrent, moi je sors !"; un pas en avant deux pas en arrière. Les chroniqueurs "républicanistes" pleurent : "toi aussi ! Porte une calotte en dentelle et crie "ALLAH est grand" pendant que tu y es !". On n'est pas habitués.


Le mari de la femme voilée a mis les points sur les i : "chers amis, certes ce n'était pas une mise en scène, mais j'dois rappeler que dans ma conception de la vie, la femme ne doit pas trop se mettre en avant, elle doit préparer le futur, quoi de mieux donc que de pondre et d'élever la marmaille". Bon vent !


Mais les félicitations et les auto-satisfactions pleuvent aussi : "T'as vu, comme on est tolérant ! Et toi, misérable AKPiste, est-ce que tu peux ouvrir les portes de ton parti aux gays ?". Voilà donc une bonne interrogation proportionnée. Le MHP (parti de droite nationaliste) a dû faire des concessions aussi : "et nous, nous reconnaissons le fait alévite !". Oui mais encore ? "Ta gueule". "Bon au moins, dans l'apparence, ils délaissent le kémalisme de garde-robe, allez déride un peu !". Les journalistes conservateurs sont déjà ailleurs : "allez, c'est pesé, la prochaine je vote pour toi".


Les simples citoyens savent rougir, eux. Ils savent faire la part des choses aussi. Toutes les analyses politiques le montrent : il n'y a pas électeur plus réfléchi que le citoyen turc. Il braille, proteste, insulte mais retrouve la raison dans l'isoloir. C'est bien de poser les boucliers; allez, encore un peu de sincérité : mouchetez vos lances et on avisera.