On lui recherchait une porte de sortie depuis un certain temps. On allait presque remercier son engrosseur qu'elle s'est précipitée à la Cour de cassation pour assister à sa "rentrée solennelle". "Bon, Rachida, on va supprimer le juge d'instruction, fais comme si tu le savais !", "oui, chef !". Ségolène Royal n'a pas tardé : "harcèlement moral, Sarkozy la pousse au stakhanovisme ! Vas-y Rachida, reste à la maison, allaite, ma soeur !". Même Fadela qui n'avait pas apprécié l'attitude de sa collègue, en reste pantoise : "Oh tu m'énerves Ségolène, arrête d'ouvrir la bouche, qu'est-ce qu'elle raconte encore...".
C'est vrai que passer du statut de "ministre" à celui de "député", qui plus est européen, n'est pas une promotion au sens classique du terme. Mais avec le Président Sarkozy, le classique fait sa mue; "va prendre de l'air, ensuite tu reviendras en force dans mon nouveau gouvernement, d'accord ?", "oui, chef ! Donne-moi du pouvoir, des logements de fonction, des chauffeurs, ça me suffit; il faut que je fasse l'exemple pour la canaille banlieusarde : regardez, j'ai réussi; mon Dieu, que je suis belle !". Il faut lui donner l'haleine, elle a mené moult réformes.
Mais Rachida Dati préfère demeurer au Ministère pendant la campagne; elle est éligible, elle est le symbole de l'ouverture à la diversité, elle est donc dégagée de toute compétition suante... Un peu comme de Gaulle : "que voulez-vous que je dise ? Moi, le Général de Gaulle, sauveur de la Nation, je demande vos suffrages...". Il faut qu'elle demeure en politique, elle vient de la zone. Tout un symbole. Indéboulonnable. Et Raffarin n'en finit plus de l'encenser, à sa manière : "Quand vous êtes le soleil, c'est bien d'avoir des étoiles qui expriment la diversité. Et puis l'étoile doit devenir soleil, et à ce moment là il faut l'aider". D'accord. Her star is shining, si j'ai bien compris. Mais Mevlana le disait d'une autre manière : "quand le soleil se lève, les étoiles disparaissent". Quand les compétents arrivent, les autres dégagent...
Michel Barnier a accepté, sans état d'âme, d'être la "locomotive" pour l'Ile-de-France. Pas pour être un vulgaire député européen, bien sûr; il rêve d'un poste à la Commission, comme avant. Les élus français ne sont pas, comme on le sait, très enthousiastes à l'idée d'être à Strasbourg. Rama Yade l'avait exprimé sincèrement; depuis, elle est en sursis. Et ceux qui y sont brillent par leur absentéisme. Les Le Pen, de Villiers et autres. C'est difficile d'être à la fois eurodéputé et porte-parole d'un parti politique français aussi, par exemple...
Ce qui reste frappant, c'est ce dévouement des politiciens français. Ainsi, l'on voit Roger Karoutchi et Valérie Pécresse, deux ministres, se donner des coups de coude pour les régionales en Ile-de-France. Toujours ce besoin d'avoir un ancrage local. Et que dire de Xavier Bertrand ? Quitter un ministère pour devenir "secrétaire général"; l'avenir vient de loin disent certains... En Turquie, quitter la députation pour la mairie sonne comme une plaisanterie. On vient de la mairie à la députation. A Ankara; la capitale, les honneurs, les privilèges.
De toute manière, la politique se fait autrement ici : comment imaginer une seule seconde qu'une ministre, en Turquie, accouche en pleine fonction et, comble de "l'indécence", sans être mariée ou pis encore, en dissimulant l'identité de son compagnon. Un "veled-i zina". Un enfant adultérin. Impossible. Ou comment assister sereinement à la révélation, par un ministre, de son homosexualité ? Insensé. Lourdise.
On a compris : donne un oeuf pour avoir un boeuf. Mais la question demeure : pourquoi la débarquer au Parlement européen ? On avait crû comprendre que le Président honoraire du Conseil européen avait une haute idée de "l'organe législatif" de l'UE; or, on le remplit de non-initiés. Soit dit sans offense, Rachida n'est pas très compétente en la matière. D'ailleurs, elle a l'air de ne pas s'y attarder, toujours la même phrase à la bouche : "si le parti en a décidé ainsi, je fonce !". Heureusement, personne ne se met martel en tête; les youyous des magistrats commencent à se faire entendre; même les procureurs doivent être ravis : la plume reste serve mais la parole redevient libre. Les traumatismes sont finis. Au revoir Madame. Comme un couperet.