Le balayage a repris; la justice turque s'acharne sur les nervis de haute volée qui avaient juré de restaurer l'ordre républicain par la force. Encore des bureaucrates, des généraux, des intellectuels en partance pour la détention provisoire (cf : http://sami-kilic.blogspot.com/2008/07/nettoyage.html).
Deniz Baykal, président viager du CHP (parti républicain du peuple, fausse gauche), qui s'était, jadis, proclamé "l'avocat de l'Ergenekon" (nom donné à cette organisation séditieuse animée par la "stratégie de la tension"), refait le boute-feu de service : "vous mentez ! On se dirige vers un Etat policier, où tous les opposants sont brimés, où les problèmes économiques et sociaux sont noyés dans ce tapage factice !" Or, il le sait mieux que quiconque, c'est un professeur de droit : le Parquet ne dépend pas du ministère de la Justice, en Turquie. Mais il faut crier; une exigence. Pour avoir l'air de faire son boulot, le seul qu'il assume depuis qu'il est en politique : l'opposition.
Bien sûr, on ne peut que s'étonner de la position de certains : la police a ainsi fouillé le domicile de l'ancien Procureur général près la Cour de cassation, Sabih Kanadoğlu, celui dont personne n'a encore pu admirer le sourire.
Ce haut magistrat qui avait obtenu l'interdiction du Parti de la Vertu et qui avait été à l'origine du blocage institutionnel au moment de l'élection présidentielle (affaire dite du "367"), s'est immédiatement précipité vers les microphones : "Attention, vous dis-je, on se dirige vers un Etat sharaïque, l'AKP entame la République laïque ! Allons citoyens, ne restez pas les bras ballants, protestez, on bascule !". Encore cette idée de "basculement". Depuis 2002, on bascule, soit dit en passant.
L'ampleur de l'affaire est évidente, pourtant : des armes, des bombes et autres explosifs ont été trouvés dans des caches, découvertes grâce aux croquis retrouvés chez un ancien des Renseignements. Mais certains persistent à s'attendrir : "on n'embarque pas le gratin comme ça voyons ! Comme des malandrins; un peu de décence !" D'autres sont fermes : "c'est un coup monté, j'parie; comment mettre dans le même sac un agent des services secrets visiblement mauvais garçon et un ancien président d'université ? Hein !" Comme si la propension à commettre des infractions dépendait du niveau intellectuel. Il est respectable, comment se fait-ce ! Bah, ça se fait.
Toujours les tranchées, toujours les mêmes pions, les mêmes indignations et, au fond, ce sentiment absolutoire de penser que cette engeance agissait "pour le bien" de la République laïque : la débarrasser des scories AKPistes. Sans délégation démocratique, évidemment. Par les armes. Les tentatives de coups d'Etat en 2003-2004, l'assassinat de Hrant Dink, l'attentat du Conseil d'Etat, des troubles par-ci, des manifestations par-là... Toute cette folie au nom d'un principe supérieur : la sauvegarde de la laïcité et de l'unité du pays. Un pays où l'on ambitionne de protéger le fondement idéologique par les armes; une République qui avance bardée d'explosifs, "au cas où". Et certains ne trouvent rien à redire. C'est normal. La fleur au fusil. Au nom de la laïcité et du patriotisme. Insanie, que dire ? De quoi se flinguer, vraiment...