samedi 28 novembre 2009

Subreptice accoutumance

Faut-il commencer à s'inquiéter, c'est la question que je me pose. Quoique l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme est là, bien ancré, droit dans ses bottes : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi". Mais l'on a bien compris que l'on ne se situe plus dans la sphère purement normative. La stigmatisation a commencé; tranquillement, sans indignation, en douce, petit à petit. Une indolore mise en mouvement.

L'on a le droit d'être contre le voile; de "rétrograder" sa valeur religieuse, de repenser sa légitimité à notre époque, de pleurer sur le sort des "folles" qui le portent, de fustiger les phallocrates qui l'adorent, etc etc. Mais l'on n'a pas le loisir de porter atteinte au droit de celles qui ont décidé de le porter par conviction religieuse. C'est que la liberté religieuse est une des plus sacrées, c'est comme cela. Le fait est que le monde compte plus de théistes que d'athées. Et les premiers n'ont pas encore atteint l'état d'éveil des seconds; ils comptent donc sur des fables, des principes, des règles transcendantales pour mener leur barque. Et il s'avère que leur Créateur leur a imposé quelques devoirs; ce n'est pas qu'ils ne savent pas vivre et qu'ils n'ont pas envie de faire la fête sans arrêt, de forniquer à tout bout de champ, de balancer par-dessus bord toute rigidité, bref de s'installer dans ce monde; c'est que l'au-delà, l'hypothétique les préoccupe plus; d'autres se contentent d'être pascaliens et de réprimer leur naturelle insoumission "au cas où". Résultat : certains vivent "soumis" à Dieu et se concentrent sur leurs obligations vis-à-vis de Lui.

Il est vrai qu'en France, il est de tradition de pyrrhoniser; et les racines du concept de tolérance ne se perdent pas dans les tréfonds. Une histoire de greffe, parfois ça ne tient pas. L'Histoire de France n'a jamais été irisée. La mentalité n'est donc pas instinctivement portée vers la tolérance de l'Autre. Martine a beau jurer; dorénavant le Parti socialiste va reprendre du poil de la bête, nous dit-elle, il va se reconcentrer sur les valeurs de gauche dont le projet d'intégration est un des chapitres. Bien.

Mais comment changer ce qu'il y a dans la tête des gens. Les esprits guinguets existent aussi, il faut faire avec. Lorsque l'on disait burqa (ou niqab plutôt), il fallait en réalité comprendre, voile. Ce fichu qui symbolise la soumission de la femme. Et comme l'hypocrisie n'a jamais ruiné personne, l'on se complaisait à commencer chaque phrase par le distinguo classique entre le voile, nécessairement respecté, et le voile intégral, évidemment honni. Les hommes sensés ne sont pas en voie de disparition certes, mais l'on sent bien que quelque chose bascule. Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil d’Etat de 1995 à 2007, pouvait déclarer tout naïvement : « le milieu de l’enseignement public est très anti-religieux, très intolérant sur le plan religieux, alors qu’il est laxiste sur ce qui touche à la tenue vestimentaire des élèves. Je n’ai jamais compris, pour ma part, comment on laisse entrer des gamins avec des casquettes vissées de travers sur la tête ou des gamines avec des mini-jupes et le nombril à l’air, et qu’on se pâme de fureur à la simple vue d’un mouchoir sur la tête d’une jeune fille qui ne se livre à aucune provocation ni à aucun prosélytisme » (Droit et société 68/2008, p. 209). Dorénavant, l'on commence à préparer les esprits à une grande offensive; l'on essaie de légitimer les discussions les plus illégitimes, les plus dangereuses.

L'on rêve, en réalité; ça doit être ça. Des référendums sur des minarets par-ci ! Des députés qui crient haro sur le voile en plein hémicycle par-là ! Alors que Lubna al Hussein ne cache pas son désir de voir un jour une Mecque où les femmes ne seront plus voilées, l'on apprend qu'une Canan Aritman version française, commence à émerger. Madame la députée Françoise Hostalier. Furieuse. Enragée que l'on puisse venir aux portes du temple pour braver spécialement la République. Fanatisme. L'on se souvient encore du respect que les députés de la République avaient manifesté à l'égard d'un de leurs anciens collègues, un abbé.


Il fut un temps en Turquie où le Premier ministre social-démocrate Bülent Ecevit avait littéralement foutu dehors une députée qui avait eu le tort de porter un voile; voilée non pas du jour au lendemain mais depuis les origines. Elle avait été élue par le peuple dans cet état. Une impolitesse qui ne seyait pas à Ecevit, un Monsieur pourtant. Fanatisme.

Dernièrement, c'était en Belgique que l'on essayait d'enquiquiner une députée voilée. Echec. Elle triompha.

Madame la députée Hostalier, nous dit-on, avait rédigé une proposition de loi en vertu de laquelle le voile serait interdit "dans tous les établissements où est exercée une activité de service public"; comprenez l'espace public. L'on y arrive petit à petit. Et elle serait inconsolable sur la loi de 2004, elle aurait préféré que les universités aussi entrent dans son champ d'application... Le mérite des musulmans dans ce pays, c'est qu'ils contribuent à la définition de l'identité nationale; une contribution en creux, c'est déjà ça. "Cétait bien le temps où ils étaient dans leurs caves hein ?", "ouais franchement, plus ils sont visibles, plus ils nous narguent j'ai l'impression !","on les aura un jour ou l'autre tu verras, ils s'excuseront eux-mêmes d'être musulmans, les valeurs de la République, c'est ça mon ami, du vent, ça débarrasse...", "et d'ailleurs, s'ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à activer la hijra, hein, qu'est-ce t'en penses ?", "bah oui tiens, qui a dit que l'on ne pouvait pas fuir la patrie des droits de l'Homme ?"...