dimanche 14 mars 2010

Charlatanesque

Il ne manquait plus que les Blonds. Les Suédois. Les types les plus beaux, les plus veloutés, les plus droits de la planète. BCBG. Eux aussi viennent de légiférer. La loi n°... du... portant reconnaissance du génocide des Arméniens, Assyriens, Chaldéens, Syriaques et des Grecs pontiques. Tout ça par les Ottomans, évidemment. Oui oui l'empire ottoman; celui qui se targuait d'être arc-en-ciel. Un beau matin, il avait décidé de décimer toutes ces (et ses) populations sans raison. C'est comme ça. "Ah bah, c'est des gens sérieux qui disent ça hein, c'est pas des charlots", "ouais". En tout cas, une vingtaine de pays a demandé pardon au nom des Ottomans qui n'existent plus. Et comme les Turcs sont négationnistes, il fallait bien que d'autres émissent un son, n'est-ce pas.


Cela pèse moralement, évidemment. Les Suèdois ont donc lâché. Ils n'en pouvaient plus. En général quand des élections approchent, les parlementaires ont besoin de laver leur conscience à grande eau. C'est que les seaux se bousculent en ce moment. Même la Catalogne a vu là un génocide. D'innombrables autres provinces dans le monde entier ont "succombé". Mais la baffe la plus indue est venue de l'allié stratégique; le comité des affaires extérieures de la Chambre des représentants s'est aussi aventuré. Certes, tous les ans c'est le même scénario mais la Turquie ne se lasse pas de bouder, à chaque fois que l'occasion se présente.


La Turquie se contente dans ces moments-là d'appeler l'ambassadeur pour consultation. "Alors vas-y raconte-nous ça en détail". Si bien que tout le corps diplomatique commence à trembler. Comme on le sait, les centenaires sont l'occasion d'un bouillonnement tout spécial. Et 2015 approche. Alors les Arméniens de la diaspora, qui ont fondé toute leur fortune sur cette cause, travaillent comme des boeufs. On estime donc que la plupart des grands pays vont légiférer à tour de bras dans ces cinq prochaines années, histoire d'atteindre l'apothéose en 2015. Et donc des bisbilles diplomatiques en perspective. Si bien qu'en retirant à chaque fois les ambassadeurs, ces derniers vont finir pas faire carrière en Turquie ! Mais c'est une simple protestation d'usage, heureusement. Ils repartent comme ils viennent. Sans défaire valise. Lorsque la France avait voté en 2001, la Turquie avait rappelé son ambassadeur; mais Madame son épouse, la célèbre artiste Filiz Akın, était restée en France et avait été très critiquée par les nationalistes. Alors qu'elle le savait elle, c'était juste une "formalité"; une comédie...


Une question d'honneur national, nous a-t-on appris à penser. Comment le grand peuple turc aurait pu assassiner ? Bonne question. C'est l'enjeu, cela dit. Il y a en fait, un véritable déshonneur national. Le vote est acquis par une voix de différence aux Etats-Unis et en Suède. Et la Grande Turquie accorde de l'importance à ce "match". Le thé dans la main, les chips dans la bouche, les Turcs se sont plantés devant leur poste de télévision pour suivre le résultat d'un vote d'un comité d'une assemblée d'un pays étranger... C'est cela l'humiliation. Et que dire du ministre des affaires étrangères turc qui appelle le président du CHP, parti de gauche, pour qu'il active ses réseaux au niveau de l'Internationale afin de dissuader deux ou trois socialistes suédois de voter pour la reconnaissance ! C'est cela l'humiliation.


Pour ma part, je n'ai toujours pas compris comment des hommes politiques peuvent être convaincus de la qualification de génocide alors que les historiens eux-mêmes en sont toujours au crêpage. Et quels historiens ! Certains écrivent des articles et même toute une série de livres sur cette question sans maîtriser, excusez du peu, l'osmanli ! Ecrire l'histoire sans analyser les archives, voilà bien une nouvelle méthodologie... "Bah nan hein, moi je fais avec les traductions !","t'as raison mon brave, tu seras un grand historien plus tard"... Heureusement que j'ai une licence d'histoire, ça permet de séparer le bon grain de l'ivraie. Oh oh...


Un travail de sape, en réalité. Il est vrai que les protocoles de normalisation signés par la Turquie et l'Arménie sont déjà tombés à l'eau; c'est que la Cour constitutionnelle arménienne a vidé de son contenu une disposition essentielle, celle de mettre en place une commission d'historiens. La Cour a estimé que cette commission ne saurait en aucun cas remettre en cause la qualification de génocide ! "Bah alors pourquoi on réunit une commission du coup ?", "bah pour parler des réparations, haha...".


Toute cette gesticulation turque ne doit pas cacher une absurdité qu'il ne faut cesser de dénoncer : les parlements n'ont aucun titre de compétence pour écrire l'Histoire. Quel que soit l'événement. Libre à eux de s'excuser pour les faits avérés. Le parlement français peut voter une résolution sur l'Algérie, par exemple. Ou les Etats-Unis sur Hiroshima et Nagasaki. Ces derniers peuvent aussi nous expliquer pourquoi les Indiens ne touchent pas aux billets de 20 dollars. Howard Zinn, mort dernièrement, ne qualifiait-il pas Andrew Jackson d' "exterminateur" ?


C'est vraiment pathétique. Un sujet sérieux, si difficile, est bassement traité. Les parlements votent mais les gouvernements appellent immédiatement Tayyip Erdoğan pour exprimer leur regret ! Une momerie. La Turquie doit dire des choses, certes; s'excuser, exprimer ses regrets, se désoler ne serait-ce que pour les "crimes de guerre". Mais ce n'est pas avec un poignard sur la gorge que cela se fait. Sinon on aboutit seulement à un forcement, pas à une prise de conscience. Et cela ne fait pas un pas en avant mais seulement un pas latéral... Bref, un trépignement pour tout le monde.