Il nous arrive parfois de vouloir accoster une personne qui marche dans la rue et lui raconter notre vie; un morceau de cette vie. Un scénario parmi d'autres. Une oreille, il nous faut. Sans la bouche si possible. Déverser ses sentiments sans avoir la volonté ni le besoin d'écouter conseils, sermonnades ou futilités.
Dans le train, une femme s'installe près de moi. "J'espère que les contrôleurs ne sont pas là; vous savez, a-t-elle précisé immédiatement, je suis SDF". Et moi, dans la réserve qu'impose la rencontre d'une inconnue, j'ai affiché un léger sourire du type guindé et continué à rêver. Une de mes séries préférées venait de se terminer : Dudaktan kalbe (adaptée du roman de Reşat Nuri Güntekin). Kenan est-il au paradis avec Leyla ? Melek va-t-elle dire papa à Cemil ? Şaika va-t-elle dire oui à Sait Paşazade ? Et puis, Lamia, elle avait raison de toute façon.
Et cette inconnue me demande si je comprends français. Qu'est-ce qu'elle raconte. D'ailleurs, Kenan était un type invivable. "Oui", ai-je répondu. Elle a commencé à raconter sa vie; sa misérable vie. Bête qu'elle était. Mais les pauvres d'esprit vivent aussi, dans ce monde. Dès fois, je me demande à quoi bon vivre quand on est dans un tel dénuement ? Je l'écoute, elle est expansive. Je parle, elle écoute. Après un certain temps, on a tellement sympathisé que je me suis mis à la mettre à l'aise. "Vous savez moi non plus je n'ai pas de boulot, ce n'est pas une raison pour ....". Bref. Je lui ai proposé de faire carrière dans la gendarmerie ou la police, deux institutions qui affichent sans arrêt qu'elles recrutent. "Je n'ai pas le bac", m'a-t-elle rétorqué. "Ah !"
"Et le monastère" lui ai-je demandé. "Vous savez je crois en Dieu mais je ne pourrai pas toute une vie !" "mais vous restez un moment, le temps de vous remplumer ensuite vous leur faussez compagnie; les soeurs sont habituées et elles n'en tiennent pas rigueur, ne vous inquiétez pas elles ne sont pas du genre à lancer des imprécations", "ouais, pfff..."
Elle n'avait pas l'air de souffrir avec sa glace Magnum, qu'elle dévorait en jetant un regard dehors, un regard vers moi. "Et vous, vous êtes professeur ?" m'a-t-elle demandé d'un air sérieux. "Non". Et la conversation a chuté dans la routine. Celle qui ne m'intéressait pas, évidemment. Le nombre de trajets de Melun à Paris, ses dossiers à l'assistance sociale, ses demandes de logement à la mairie de Paris.
Voilà une amie en moins de deux. Et comme être ami, c'est cracher ses plus fidèles pensées, elle m'a dit qu'elle gagnait en moyenne 100 euros par jour. "Une belle somme" lui ai-je dit. "Donc vous avez la capacité de payer votre billet de train." Elle a arrêté de sucer sa glace, m'a regardé et pouffé. "C'est vrai". La gueuse. Elle était simple. Presque idiote. Sans importance dans la marche de cette terre, assurément. Un bout de vie que l'on mène comme ça, sans trop s'interroger.
Les gens simples, c'est bien parfois. Pas de métaphysique, pas de réflexion profonde, pas de rancune, rien. Ils vivent. Accrochés comme ils peuvent. Sans ambition. Je ne sais pas vraiment ce qu'est la banalité. J'en n'en ai ni l'envie ni le temps. Ca doit être bien parfois. Je ne sais pas.
Quand le train s'est arrêté, elle est descendue, a marché quatre mètres et s'est retournée; "au revoir". Gracieuse, qu'elle était. Frivole. Avoir le luxe de ne rien faire de sa vie, de ne s'occuper de rien de "grave", du genre à encombrer la cervelle. La politique, le portefeuille, le désir, Dieu, tout cela par-dessus bord. Un peu comme le grand frère de la Neige en deuil de Troyat. Une existence inutile.
C'est un mode de vie. Pas inintéressant en soi. Je ne sais pas, s'enfermer dans un "yalı" au bord de la mer par exemple, regarder les bateaux qui passent, pleurer de temps en temps, écouter de la musique, admirer les oiseaux, lire tous les romans du monde, poser son regard sur les inconnus qui passent devant vous. Tout compte fait, c'est une belle vie. Ne pas être encombré. Etre ailleurs. Une simplicité qui couronne un parcours complexe, en réalité. Peut-être que la resquilleuse était de la sorte. Qui sait. C'est difficile d'être simple... Je réfléchissais à ma série, moi. Lamia aussi était simple. Et elle est heureuse... "L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être" ricanent les deux autres. Un Magnum dans la main, un Cemil dans les bras... Ah Reşat Nuri ah...
Dans le train, une femme s'installe près de moi. "J'espère que les contrôleurs ne sont pas là; vous savez, a-t-elle précisé immédiatement, je suis SDF". Et moi, dans la réserve qu'impose la rencontre d'une inconnue, j'ai affiché un léger sourire du type guindé et continué à rêver. Une de mes séries préférées venait de se terminer : Dudaktan kalbe (adaptée du roman de Reşat Nuri Güntekin). Kenan est-il au paradis avec Leyla ? Melek va-t-elle dire papa à Cemil ? Şaika va-t-elle dire oui à Sait Paşazade ? Et puis, Lamia, elle avait raison de toute façon.
Et cette inconnue me demande si je comprends français. Qu'est-ce qu'elle raconte. D'ailleurs, Kenan était un type invivable. "Oui", ai-je répondu. Elle a commencé à raconter sa vie; sa misérable vie. Bête qu'elle était. Mais les pauvres d'esprit vivent aussi, dans ce monde. Dès fois, je me demande à quoi bon vivre quand on est dans un tel dénuement ? Je l'écoute, elle est expansive. Je parle, elle écoute. Après un certain temps, on a tellement sympathisé que je me suis mis à la mettre à l'aise. "Vous savez moi non plus je n'ai pas de boulot, ce n'est pas une raison pour ....". Bref. Je lui ai proposé de faire carrière dans la gendarmerie ou la police, deux institutions qui affichent sans arrêt qu'elles recrutent. "Je n'ai pas le bac", m'a-t-elle rétorqué. "Ah !"
"Et le monastère" lui ai-je demandé. "Vous savez je crois en Dieu mais je ne pourrai pas toute une vie !" "mais vous restez un moment, le temps de vous remplumer ensuite vous leur faussez compagnie; les soeurs sont habituées et elles n'en tiennent pas rigueur, ne vous inquiétez pas elles ne sont pas du genre à lancer des imprécations", "ouais, pfff..."
Elle n'avait pas l'air de souffrir avec sa glace Magnum, qu'elle dévorait en jetant un regard dehors, un regard vers moi. "Et vous, vous êtes professeur ?" m'a-t-elle demandé d'un air sérieux. "Non". Et la conversation a chuté dans la routine. Celle qui ne m'intéressait pas, évidemment. Le nombre de trajets de Melun à Paris, ses dossiers à l'assistance sociale, ses demandes de logement à la mairie de Paris.
Voilà une amie en moins de deux. Et comme être ami, c'est cracher ses plus fidèles pensées, elle m'a dit qu'elle gagnait en moyenne 100 euros par jour. "Une belle somme" lui ai-je dit. "Donc vous avez la capacité de payer votre billet de train." Elle a arrêté de sucer sa glace, m'a regardé et pouffé. "C'est vrai". La gueuse. Elle était simple. Presque idiote. Sans importance dans la marche de cette terre, assurément. Un bout de vie que l'on mène comme ça, sans trop s'interroger.
Les gens simples, c'est bien parfois. Pas de métaphysique, pas de réflexion profonde, pas de rancune, rien. Ils vivent. Accrochés comme ils peuvent. Sans ambition. Je ne sais pas vraiment ce qu'est la banalité. J'en n'en ai ni l'envie ni le temps. Ca doit être bien parfois. Je ne sais pas.
Quand le train s'est arrêté, elle est descendue, a marché quatre mètres et s'est retournée; "au revoir". Gracieuse, qu'elle était. Frivole. Avoir le luxe de ne rien faire de sa vie, de ne s'occuper de rien de "grave", du genre à encombrer la cervelle. La politique, le portefeuille, le désir, Dieu, tout cela par-dessus bord. Un peu comme le grand frère de la Neige en deuil de Troyat. Une existence inutile.
C'est un mode de vie. Pas inintéressant en soi. Je ne sais pas, s'enfermer dans un "yalı" au bord de la mer par exemple, regarder les bateaux qui passent, pleurer de temps en temps, écouter de la musique, admirer les oiseaux, lire tous les romans du monde, poser son regard sur les inconnus qui passent devant vous. Tout compte fait, c'est une belle vie. Ne pas être encombré. Etre ailleurs. Une simplicité qui couronne un parcours complexe, en réalité. Peut-être que la resquilleuse était de la sorte. Qui sait. C'est difficile d'être simple... Je réfléchissais à ma série, moi. Lamia aussi était simple. Et elle est heureuse... "L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être" ricanent les deux autres. Un Magnum dans la main, un Cemil dans les bras... Ah Reşat Nuri ah...