jeudi 9 septembre 2010

Joyeuse Fête

Voilà. Terminé. Fin du Ramadan. On est bien contents. Ou déçus. Ou même indifférents. Certains pleurent. "Arrête de déconner !". Si si. Les exaltés. Ceux qui aimeraient bien jeûner tout le temps. Ils ressentent des choses profondes et désirent naturellement faire du rabiot. Un droit, cela dit. D'autres sont soulagés de finir un jeûne dont ils n'ont jamais essayé de comprendre le sens, le ramadan étant perçu plus comme une "coutume" qu'un acte réfléchi de dévotion.

La mère demandait gentiment à son enfant, envahi par une courtepointe censée faire office d'isolant phonique, de se lever pour le repas du matin alors que le père en était déjà au pincement. "Höst, hadi lan...". Ah ces pères, qu'ils peuvent être brutaux; n'est-ce pas ? Les yeux bouffis, la tête brinqueballante, l'estomac déjà rempli, chacun essayait de bâiller comme il pouvait. Le moment idéal pour choper les fameuses "faces de carême". Le plus pieux était déjà en train de moudre, dans son coin, l' "intention" d'usage par laquelle le jeûneur prévient Dieu qu'il va bien jeûner et non entamer une grève de la faim : "Niyet ettim Allah rizasi için bugünki orucu tutmaya". Et tous, en cohue, se dirigeaient vers la salle de bain pour se brosser les dents; une bousculade due au temps. Car à 5 h 34 pétantes, on devait avoir scellé notre bouche jusqu'au coucher du soleil. Plus d'eau, plus de chewing-gum, plus de dentifrice.



Le but, comme on le sait, est de ressentir la détresse du pauvre et de mortifier ses sens. Pas de nourriture, pas de sexe, pas de cigarette. Et donc beaucoup de nervosité. A Yozgat précisément, on avait appris qu'un procureur avait été tabassé par la population affamée parce-qu'il avait osé allumé une cigarette en public. Il "a affiché ostensiblement ses croyances religieuses dans l'espace public", il a donc eu droit à une volée de bois vert. Scandale, évidemment. Comme le Lyonnais roué de coups par d'autres guignols zélés. Voilà à quoi on aboutit quand on vit son islam...


Les discussions théologiques sont allées bon train, aussi. On a appris par exemple que l'heure à laquelle on arrête de manger avait fait l'objet d'un mauvais calcul. Par exemple, hier à Paris, on devait avoir terminé de manger, de boire et de se tripoter à 5h34 selon la Direction turque des affaires religieuses et à 5h37 pour la Mosquée de Paris. Non, nous a dit un théologien turc, Abdulaziz Bayındır. Selon lui, le monde islamique s'est trompé dans le calcul du "fajr"; fajr c'est-à-dire "l'aube naissante", le point de départ du jeûne. En effet, nous a-t-il dit, on prend classiquement pour base le fait que le soleil doit former un angle de 18 ° au-dessous du soleil. Or le fajr, c'est ça :


Et ça, c'est quand on prend pour base 10 ° et non 18 °. Le verbe "fajara" en arabe signifie faire jaillir l'eau; par extension, "fajr" signifie aube, point du jour (donc ni aurore ni lever du soleil). Or à 5h34, rien ne point. Et c'est vrai d'ailleurs. Je me suis "amusé" à le constater de mes propres yeux. Tenez-vous bien : le fajr n'est intervenu qu'à 6h15 ! Soit 45 minutes de jeûne en plus... Elhamdulillah...


Ce même théologien nous a également enseigné qu'il n'y avait pas, dans l'islam, la prière de "tarâwîh". Que ce n'était en réalité que la "prière de nuit" que le Prophète avait l'habitude d'accomplir et non une prière spécifique au Ramadan. Ou encore que les femmes en règle devaient quand même jeûner alors que la jurisprudence classique les en défendait. "J'ai rien bitté, notre jeûne a été accepté ou pas, du coup ?", "oui selon la moitié des théologiens, non selon l'autre moitié; pour Dieu, il faut attendre coco"...

Et aujourd'hui, nous "fêtons" la fin du Ramadan. Les Arabes, c'est demain, eux. Encore une histoire de nouvelle lune mal perçue... Les Turcs se fondent sur la sourate 10, verset 5 : "C'est Lui qui a fait du soleil une lumière et de la lune une clarté. C'est Lui qui a déterminé les phases de celle-ci, afin que vous puissiez dénombrer les années et calculer la durée du temps. Ce n'est pas sans but sérieux que Dieu a créé tout cela. C'est ainsi qu'Il expose Ses signes pour ceux qui comprennent". Les Turcs en déduisent qu'il faut se fier aux scientifiques ("ceux qui comprennent") qui peuvent déterminer exactement le moment de l'apparition de la nouvelle lune ("Il a déterminé les phases de la lune"). Pas donc besoin de voir à l'oeil nu la nouvelle lune puisque Dieu reconnaît que c'est une mécanique. Certes le Prophète a demandé aux musulmans de guetter la nouvelle lune mais à son époque il n'y avait pas encore "ceux qui comprennent"; ce qui, évidemment, n'est plus le cas, aujourd'hui. Voilà bien une explication convaincante.


On va bombancer, donc. On va s'étreindre. On va se réconcilier. Entre Turcs. Car quand nous ferons tout cela, nos voisins arabes, nos frères musulmans, seront en train de jeûner un dernier jour. Bonne fête à toutes les oummas ethniques qui composent la oumma islamique. Car nous sommes musulmans, à la base, donc fièrement divisés. Comme d'habitude...