Ca commence bien. Quatre morts, deux blessés et un appel à l'extermination. Tout ça pour accompagner le "processus de paix". L'énième. Des papotages sont organisés à Washington. Car c'est une coutume, les dirigeants israéliens et palestiniens ont besoin de l'étreinte américaine. Ils ont besoin de traverser mille terres pour s'adresser la parole. Un arbitre qui ne cache pas, cependant, sa "passion" pour Israël. Tant pis; c'est le seul saint auquel on doit se vouer. Les négociations durent depuis des décennies, tout le monde se connaît, tout le monde a appris par coeur les doléances des uns et des autres, seul le Président des Etats-Unis change de temps en temps mais il reste quand même la seule personne capable de faire avancer le schmilblick. Etrange, quand même. Les peuples concernés, les croyants concernés, les humanistes de tous bords n'ont d'yeux que pour lui, l'Empereur.
Appel à l'extermination, donc. Ou plutôt au génocide divin. C'est l'éminent théologien ultra-orthodoxe juif qui priait ainsi. Le petit père Ovadia Yosef. Avec ses lunettes roses. Abdullah Youssef pour ses compatriotes iraquiens. Un "rabbi". Un maître, quoi. "Heureusement que tu précises, je faisais une crise cardiaque !", "calme calme, rabbi en hébreu voudrait dire mon maître, rien d'autre". C'est que chez nous, musulmans, rabbi signifie littéralement "mon dieu". "Yâ Rabbi" dit-on à longueur de journée. Tiens, prenons le chapelet en ce jour de ramadan : Mon Dieu, my God, mein Gott, Allah'ım ou Tanrım en turc ou мае хчыцау en ossète. Il faut savoir empocher les مثوبة "mathwaba" (sg. ثواب "thawâb"), les "récompenses divines", keh keh keh...
Abdullah donc. Il envoyait au diable Mahmoud Abbas et son peuple. L'anathème, ce que sait faire le mieux un théologien. Le curé lillois, par exemple, qui priait Dieu de foudroyer le président Sarkozy. Une crise cardiaque, par exemple, serait tombée à propos. Khamenei, aussi, aime rappeler son souhait le plus tendre : la destruction d'Israël. Seul le Saint-Père sait faire des louanges, on dirait... Abdullah, "le serviteur d'Allah", a préféré pointé les habitants, les Palestiniens. Car, il faut le dire, ces derniers sont grossiers : ils occupent une terre que la Bible a donné aux juifs; ils refusent de disparaître de la circulation; ils enquiquinent sans arrêt les maîtres. Ils parlent de droits, par-dessus le marché, allez comprendre. On est en 2010 et ils n'ont toujours pas vidé les lieux. "Scandalistique", vraiment...
Et quand on pense que certains se fatiguent les méninges pour le disculper. "Ah oui, regarde, il a dit 'ces' palestiniens, en hébreu ça donne ça : האלה . Ils parlaient donc que de ceux qui haïssent les juifs et toc !" Une analyse grammaticale, donc. Pourquoi pas; tant mieux, d'ailleurs, si Abdullah n'est pas un boutefeu. On s'en réjouirait. On a juste l'impression de l'avoir déjà entendu, cet "esprit élevé". Il parlait d' "anéantir les Arabes", la dernière fois... Et quand on pense que Lieberman s'était dit intéressé par cette rhétorique; le ministre des affaires étrangères, censé être la colombe par excellence de tout gouvernement, avait pris possession de son ministère après avoir déroulé des plans sur la table pour fixer les points de largage de la bombe atomique... "Mais c'est un taré, il faut pas'l prendre au sérieux, pfff, on peut plus rien dire !". Taré ou pas, ministre chargé de la diplomatie; analyse du vocabulaire : diplomatie = habileté à mener avec tact une affaire délicate. CQFD...
C'est que les discussions ont repris. "Directes", cette fois-ci. Les subtilités du monde diplomatique. C'est le "président" déconsidéré d'un "Etat" occupé, assiégé et amputé qui va serrer des mains. Une table a été posée : Hussein Obama va s'y asseoir de "tout son poids", Moubarak va y être installé (c'est qu'il est souffrant), Sa Majesté Abdallah va également chiper une chaise. Et Nétanyahou, évidemment. Le chef d'un gouvernement rempli de ministres bien intentionnés, comme on le sait. Et Abbas a été convoqué pour l'occasion. Et tout commença très bien : à peine, Abbas dit "réfug..." que le Président Obama enchaîna : "Israël est un Etat juif"... C'est comme dire "la Turquie appartient aux Turcs" en ignorant les Kurdes; un responsable turc aurait dit cela, les plus grands défenseurs des droits de l'Homme seraient tombés sur lui. Mais l'Israélien a ce privilège : il peut associer un qualificatif discriminant à son Etat. Et c'est le Président des Etats-Unis d'Amérique en personne qui le proclame; celui-là même qui, en présentant ses voeux, évoque un Etat palestinien "indépendant, démocratique et viable". Démocratique, surtout, lorsqu'il s'agit de qualifier l'Etat des Palestiniens. Et si Abbas insistait pour qu'il soit plutôt un "Etat islamique" ? "Allez allez, si c'est comme ça, rentre chez toi, exile-toi à Gaza, tiens !"... "Etat islamique" déplaît, "Etat juif" séduit. C'est comme ça, jeannot.
Négociation, donc. Sans débarrer porte ni fenêtre. C'est une plaisanterie, en réalité; Abbas crie du seuil de la porte tout comme Nétanyahou. Les extrémistes d'Abbas le poussent, histoire de mieux le qualifier de "traître", les extrémistes de Nétanyahou le retiennent, eux. Abdullah, par exemple. Ou celui qui occupe le ministère des affaires étrangères mais qui aime parler comme un ministre de la défense. Ironie du sort, le ministre de la défense en titre parle, lui, d'une possible division de Jérusalem au profit du futur Etat palestinien ! En même temps, le vice-ministre des affaires étrangères Ayalon (celui qui avait humilié l'ambassadeur turc) dit des choses qu'on a du mal à saisir : il n'y aurait pas que les réfugiés palestiniens dont il faudrait parler mais également des réfugiés juifs qui ont été éjectés des pays arabes où ils résidaient depuis des siècles. Il a raison. On pleurera pour eux aussi, d'accord. Promis. Mais pourquoi ce sont les Palestiniens qui répondent de la bêtise des régimes arabes d'antan ? Mélanger les deux questions, voilà une épine de plus savamment posée sur le chemin de la paix... Monsieur le Vice-ministre, en direct : "It is vital that this issue return to the international agenda, so we don’t once again see an asymmetrical and distorted treatment of Arabs and Jews in the Israeli-Arab conflict". C'est qu'il n'a rien compris au processus, le Sieur : "Israeli-Arab conflict" ! No my dear ! Israeli-Palestinian conflict ! "Ah ouais tiens, tu peux ajouter le conflit turco-chypriote aussi et les masses de réfugiés qu'il a générées", "c'est quoi le rapport ?", "bah j'sais pas, j'tente"...
Les négociations dans les têtes n'ayant pas encore débutées, toutes ces gesticulations n'ont aucun sens. Même si elles prospèrent, l'essentiel reste à faire : faire germer la non-violence et le respect de l'autre. Sarcler la haine. Or, chacun attend vitriol en main. Les colons ont déjà commencé à endosser les sacs de ciment. Les extrémistes palestiniens font tout pour gâter le terrain. C'est quand les musulmans ne se rangeront plus mécaniquement derrière les Palestiniens et les juifs derrière les Israéliens qu'on aura le droit d'espérer. Car l'étalon sera alors la Justice. Le mot est là, prêt : la convivance. Inchallah.